François Jacqmin : L'œuvre du regard

François Jacqmin, un livre et trois expositions à Liège

oeuvreregardNé en 1929 et décédé en 1992, le poète liégeois François Jacqmin est à nouveau d’actualité grâce à un livre aux Éditions du Taillis Pré, L’Œuvre du regard, un recueil de poèmes publiés dans des ouvrages à tirages limités réalisés avec des artistes, et grâce à trois expositions ouvertes en ce début d’année : « François Jacqmin, les livres d’artistes », « François Jacqmin et ses amis artistes » et « L’œuvre graphique de François Jacqmin ». Daniel Dutrieux et Gérald Purnelle, membres du Comité Jacqmin né à Liège en janvier 20121 nous rappellent qui était ce poète auteur d’une œuvre brève mais magistrale.

Pourquoi François Jacqmin a-t-il si peu publié ?

Gérald Purnelle : Après plusieurs plaquettes, dont L’amour la terre en 1954 et La Rose de décembre2 cinq ans plus tard, il n’a publié son premier recueil d’importance, Les Saisons, qu’à 50 ans, en 1979. Il était très sévère envers lui-même, il réécrivait beaucoup ses textes qu’il ne livrait pas facilement à la publication. Quand il élaborait un recueil sur un thème, il pouvait écrire cent ou trois cents poèmes pour n’en garder que cinquante ou vingt. Il a développé assez tôt à l’égard de la poésie une rigueur qui rendait presque suspect le fait de se mettre en avant, de s’exposer. Il n’a finalement publié que trois recueils relativement volumineux : Les Saisons, Le Domino gris en 1984 et Le Livre de la neige en 1990. Mais il y a énormément d’inédits qui ne sont pas pour autant publiables puisqu’ils n’ont pas reçu son imprimatur. S’il les a écartés, il est en effet très délicat d’aller les rechercher pour les publier. Toutes ses archives sont conservées aux Archives du Musée de la Littérature à la Bibliothèque royale à Bruxelles.

Est-ce pour cette raison qu’il ne jouit pas de la reconnaissance méritée, notamment en France ?

G.P. : Il a quand même publié dans des revues, a été tardivement édité en France et a reçu plusieurs prix3. Mais c’est vrai qu’il n’a pas reçu le soutien critique, éditorial qui l’aurait mis en avant. Mais les poètes belges reconnus par la critique et soutenus par l’institution en France ne sont pas si nombreux. En revanche, il a eu assez tôt une reconnaissance importante et de haut niveau dans les milieux littéraires belges. Il a été une figure reconnue et estimée.

En 1949, un an après son retour d’Angleterre où il a passé sa jeunesse, il rencontre Joseph Noiret, l’un des fondateurs du groupe CoBrA. A-t-il été lié à ce mouvement ?

Daniel Dutrieux : Il a beaucoup collaboré avec le plasticien Serge Vandercam [proche des surréalistes belges et membre de CoBrA].

G.P. : Il vient après CoBrA. La revue Phantomas, qui a un lien très fort avec la peinture et où il écrit, et dont Noiret est l’un des cofondateurs4, naît de la mort de ce groupe. Elle a été créée pour dépasser le surréalisme, pour former un groupe sans programme. Parmi les poètes de la revue, il est celui qui est le plus éloigné du surréalisme.

Il se méfait de tout lyrisme. Sa poésie s’apparente plutôt à une ascèse ?

G.P. : D’une certaine manière. Il veut arriver à dire ce que le sujet ressent face au réel, la nature par exemple, mais avec toujours le sentiment que le langage et la pensée sont incapables d’y arriver. Sa poésie est une réflexion sur la pensée, le langage, leurs contradictions, leurs paradoxes, leur impuissance. Cette pensée très puissante au service d’une critique de la pensée fait, avec ce que Francis Edeline a appelé la « transe » devant la nature, tout l’intérêt et l’originalité de sa poésie.

C’est donc une poésie critique ?

G.P. : Elle l’est souvent. Critique des prétentions de la poésie, du lyrisme, de la métaphore – un moyen facile de faire joli sans aller au fond des choses, même s’il en utilise lui-même –, de la position de l’écrivain qui veut être publié et se faire connaître. Mais, heureusement, elle n’est pas que cela. Elle dit aussi ce que le poète a ressenti. Notamment en marchant. Sa poésie se situe entre la construction rhétorique qui sert à exprimer une sensation ou même une description et la pure réflexion. Ses poèmes sont souvent construits par des successions de phrases assez lapidaires, affirmatives, comme des aphorismes. C’est une poésie qui peut dès lors être difficile.

D.D. : Dans l’ouvrage Camera oscura, ses poèmes accompagnent des illustrations d’Armand Silvestre, des silex taillés. La poésie de François Jacqmin, c’est vraiment cela : claire, nette. Sans la moindre fioriture. Il retravaillait d’ailleurs beaucoup ses textes. Pour certains, on a retrouvé trois-quatre versions différentes, et même parfois davantage.

L'oeuvre du regardQue contient l’ouvrage que vous publiez, L’Œuvre du regard ?

Nous avons rassemblé les textes qu’il a publiés dans des livres avec artistes à faibles tirages – de 8 à 50 exemplaires. Nous avons seize ensembles mais certains n’ont pas abouti au livre. Ce sont de très beaux textes, très variés. A la fin du volume, un cahier reproduit une œuvre par livre d’origine. Il se méfiait de ce genre d’entreprise confrontant un texte et une œuvre graphique. Quand il a commencé à en faire, il s’est rendu compte que, s’il écrivait à partir de l’œuvre, celle-ci mangeait le texte qui devenait ainsi secondaire. C’est pourquoi il écrivait ses poèmes sans voir les œuvres, puis les donnait à l’artiste qui faisait le livre. Il n’écrit pas sur l’œuvre graphique mais à côté. Il s’agit d’une confrontation presque expérimentale. Ce livre contient également des poèmes totalement inédits. L’artiste n’a parfois conservé qu’une partie de ceux que lui a envoyés Jacqmin. Nous avons publié les autres puisque le poète avait accepté qu’ils soient publiés.

Et les expositions ?

D.D. : Il y en a trois. Celle à la Bibliothèque Ulysse Capitaine, François Jacqmin, les livres d’artistes, présente l’ensemble de ces livres, notamment ceux dont les textes sont repris dans L’Œuvre au regard. A la Galerie Wittert, seront exposées un choix d’œuvres des artistes avec lesquels il a collaboré: Vandercam, Guy Boulay, Léopold Plomteux, Rachel Menchior, Armand Silvestre… Une bonne dizaine lui appartenait d’ailleurs. La troisième exposition, à l’Emulation, présente l’œuvre graphique très méconnue de Jacqmin. Il aimait beaucoup dessiner, peindre. Il a même fait quelques poèmes-affiches. Ces dessins, soit il les conservait, soit il les envoyait. Il aimait écrire des textes sur des papiers aquarellés, des vœux de Nouvel An, etc.

Michel Paquot
Janvier 2013

crayongris2Michel Paquot est journaliste indépendant.

 


 

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Gérald Purnelle mène ses recherches dans le domaine de la métrique, de l'histoire des formes poétiques et de la poésie française des 19e et 20e siècles.
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Daniel Dutrieux est plasticien, sculpteur et artiste-peintre.



 

1 En font également partie Francis Edeline, Daniel Higny et Marc Renwart.
2 Réédité en 2000 à La Différence avec une préface de Tristan Sautier.
3 Le Prix Triennal de Poésie de la Communauté française de Belgique en 1986 pour Le Domino gris et d’autres prix pour Le Livre de la neige paru en 1990, peu avant son décès.
4 Avec Marcel Havrenne et Théodore Koenig

 

Dossier de presse du projet consultable en ligne

François Jacqmin, les livres d’artistes

Du lundi au vendredi de 14H à 17H.
Lieu : Bibliothèque Ulysse Capitaine.
Adresse : Feronstrée, 120 - 4000 Liège.
Tél : 04 221 94 76
Entrée libre.

François Jacqmin et ses amis artistes

Du lundi au vendredi de 10H à 12H30 et de 14H à 17H30
Lieu : Collections artistiques (Galerie Wittert)
Adresse : Université de Liège, Place du 20-Août, 7 (bât. A1) - 4000 Liège
Tél : 04/366.56.07
Entrée libre.
www.wittert.ulg.ac.be

L’œuvre graphique de François Jacqmin

Du mercredi au samedi de 14H à 18H
Lieu : Société libre d'Emulation, Maison Renaissance.
Adresse : Rue Charles Magnette, 5 et 9 - 4000 Liège, Belgique
Tél. : 04/223 60 19
Entrée libre.