Mise en scène

benizioC’est lors d’une courte pause de 20 minutes, en pleine répétition, que Corinne Benizio nous consacre un peu de son temps. Elle lâche ainsi le micro qu’elle tient en permanence pour distiller ses remarques pour se tourner vers le nôtre.

Encore dans l’euphorie du spectacle, il nous est un peu difficile de revenir à la réalité. S’ils avouent « ne pas se prendre au sérieux mais faire les choses sérieusement », on sent les metteurs en scène très imprégnés de leur spectacle – qui, faut-il le rappeler, a été monté l’année dernière à Montpellier dans une distribution presque identique, à part Hélène – et sachant parfaitement quel ton et quelle couleur ils souhaitent lui donner.

Pourtant, les deux metteurs en scène, qui jouent et dirigent « pour le public » et en pensant en permanence « au sourd qui est on fond de la salle », se prêtent docilement au jeu de l’interview. Gilles nous rejoint après avoir, sur le plateau et au pied levé, incarné un Agamemnon malade pour deux jours. On le sentait d’ailleurs prêt à chanter au milieu de ses comédiens, tout baigné de l’ambiance festive qui règne sur la scène. À certains moments d’ailleurs, on perçoit que quelque chose met en relation intime Corinne, à la table de régie au milieu de la salle, et Gilles, sur scène : les attitudes reviennent, la voix de Shirley réapparaît, le duo comique se reforme spontanément, sans rien dire, puis s’efface tout aussi vite. On ne cache quand même pas si facilement un passé de duo de clowns, comme ils aiment à se définir eux-mêmes, commencé en 1985.

Conscients que « le public liégeois est demandeur de pleinement entrer dans le spectacle » et afin que l’ensemble de celui-ci soit le plus cohérent et précis possible, ils se sont adjoint les services d’un chorégraphe. Alexis Gutierrez règle les déplacements et les attitudes des comédiens. Ainsi dans un décor très sobre – un temple passant de cour à jardin, une tholos – magnifiquement mis en lumière, les déplacements sont réglés au millimètre afin que les chœurs soient toujours audibles et bien visibles. Comme dans la scène du jeu de l’oie qui a donné lieu à un échange de vues, qui incluait aussi Marcel Seminara, chef des chœurs, pour savoir si la table de jeu, sur l’avant et en plein milieu de la scène, ne cachait pas trop l’assistance spartiate.

ABC 5478La simplicité de ce décor est ici de bon aloi. Non seulement, il écarte ce spectacle de certaines autres productions qui avaient soit transposé l’histoire dans un présent trop réel, soit lui avaient prêté un décor complètement opposé à la période historique évoquée, mais en plus il permet d’ajouter une note de Shirley et Dino. Les couleurs sont vives mais pas agressives. Elles rappellent un décor d’une bande dessinée ou l’une des récentes adaptations cinématographiques des aventures d’Astérix le Gaulois. Il est impossible de cacher que l’inspiration vient ici aussi de leur monde onirique et un peu enfantin. Que l’on songe à leur mise en scène du spectacle Le soldat rose de Louis Chédid, tout en candeur et semblant émaner d’une adaptation Walt Disneyenne d’Alice au Pays des Merveilles. Tout cela respire la légèreté, la douceur, la spontanéité, le comique.

Forts de leur propre expérience d’acteurs, ils se permettent de beaucoup s’appuyer sur leur distribution et d’utiliser les petits trucs du métier que peuvent amener des comédiens largement rôdés à la scène. En effet, à l’inverse de ce qui se fait peut-être plus traditionnellement dans le lyrique, il s’agit ainsi principalement d’acteurs qui chantent, et improvisent sur les attitudes de leurs personnages, et non de chanteurs lyriques qui jouent un peu la comédie. De ce fait, en leur laissant « la bride sur le cou », les comédiens prennent certaines libertés et agrémentent le texte de références contemporaines ou géographiques (ainsi, le cri  « un gouvernement ! », poussé par les courtisans d’Oreste au premier acte, ne peut que faire référence à la crise politique belge qui a pris fin il y a un peu plus d’un an. Un « Oufti ! » exclamatif ancre le spectacle dans la « nouvelle » maison d’opéra liégeoise). Comme le souligne Corinne Benizio, « il est de bon ton de prendre des libertés tant avec le texte qu’avec la mise en scène ». Le but recherché en permanence ici est « le divertissement, le plaisir et l’émotion ». Trois sentiments que la troupe parvient tout à fait à traduire.

 

Marc-Henri Bawin
Décembre 2012