Hélène, Ménélas et Pâris : Interview

Alors que leurs collègues, à quelques rangées de nous, s'entretiennent d'Avatar 3D et de l'avenir de cette technique cinématographique, et même si l'on n'est qu'à quelques jours de la première, Hélène (Alexise Yerna), Ménélas (Denis D’Arcangelo), et Pâris (Florian Laconi), sont devant nous, en jeans, l'air jovial et parfaitement détendus.

hmpAlexise Yerna, Florian Laconi et Denis D’Arcangelo

En effet, avant la répétition, les 3 solistes nous ont accordé près d'une heure d'entretien pendant laquelle ils ne tarissent d'éloges sur la qualité de la salle récemment rénovée, ni sur la liberté de jeu que leur accordent les metteurs en scène ou la fidélité à l’œuvre originale de leur relecture ni, enfin, sur la qualité du public liégeois. Certains d'entre eux le côtoient depuis de longues années alors que d'autres vont le découvrir pour la première fois. La liégeoise Alexise Yerna renoue avec son premier grand rôle historique, joué dans ce même théâtre. Elle endosse aussi, au grand bonheur des deux autres, le rôle d'hôtesse et de guide « de très bon conseil pour tout ce qui concerne les restos, cafés, spécialités, bonnes adresse et expressions croustillantes ».

Acoustique retrouvée

Unanimement, ils reconnaissent que le retrait de la moquette qui recouvrait précédemment le sol du parterre est un très grand progrès. Le son est mieux réverbéré, leur est mieux renvoyé vers la scène – les aidant ainsi quand un décor dépouillé, comme c'est le cas ici, n'assure pas un retour par l'arrière du plateau. De plus, Florian Laconi souligne que l'on retrouve ainsi un « son plus original du théâtre à l'italienne ».

Mise en scène

Les metteurs en scène ont pris le parti de revenir au livret original complet, sans les coupures qui lui sont traditionnellement appliquées pour rendre l'action plus rapide. Et grâce au talent des comédiens, ces scènes, comme celle du jeu de l'oie, fonctionnent et se révèlent très drôles.

Il faut savoir que Manuel Durand (Ajax 1er), Bernard Alane (Calchas) et Denis D’Arcangelo (Ménélas) sont d'abord et avant tout des comédiens, avec une belle expérience dans les spectacles musicaux certes, mais sans expérience du lyrique pur. Florian Laconi souligne d’ailleurs qu'Offenbach lui-même utilisait principalement des acteurs. On verra que leur capacité à jouer un rôle, en plus de le chanter, sert tout à fait la mise en scène. Comme lorsque Denis d’Archangelo, qui était Ménélas à l'acte I, prend le rôle de Bacchis avec beaucoup d'aisance. « J'ai souvent été employé pour des rôles féminins. J'aime montrer les deux facettes, passer de l'un à l'autre, jouer ce qui est mon total opposé ».

Car s'il est certain qu’Hélène ne peut pas être aussi naïve, Ménélas aussi aveugle, tout cela est très gros, les caractères sont renforcés à dessein. Si Offenbach voulait mettre en avant « ces petits arrangements que l'on faits avec la vie », il s'agissait aussi d’une forme de « moquerie de la politique du 2nd empire ». Alexise Yerna d'ajouter « Hélène est une épouse que la vie mondaine finit par emmerder (sic) et qui prend un amant pour se distraire ». Le parallèle avec la société actuelle et sa conjoncture économique difficile est évident. « Ces personnages jouent et s'amusent en permanence, ce sont des enfants ». Offenbach se rit des politiques de son époque. Dans un rire un peu grinçant et critique toutefois. En témoigne la réplique : « c'est le peuple qui paiera ». En gros, le peuple on s'en fout. Et les acteurs de souligner la modernité de ce propos : « Depuis 1860, rien n'a changé ! »

Répétitions collaboratives

Comme l'a précisé le chef d'orchestre Cyril Englebert, Corinne et Gilles Benizio s'appuient énormément sur leurs comédiens, sur leurs musiciens. Les avis sont les bienvenus, la troupe participe au travail et amène sa pierre à l'édifice. Ainsi, si le duo comique, « se complète bien sur des choses différentes », il n'hésite pas à susciter la collaboration. Collaboration qui peut ainsi rejaillir dans le jeu des comédiens eux-mêmes, bien à l'opposé, par exemple, des duos traditionnels où chaque soliste, chante de son côte, face au public, sans trop se soucier de l'autre partition.

ABC 5439Les artistes reconnaissent que « c'est bien de pouvoir proposer des choses. Il existe suffisamment de dictateurs scéniques qui imposent leur vue personnelle sans demander l'avis des interprètes. Parfois au péril du spectacle lui-même qui échappera au public ». Précisant ce point, Florian Laconi poursuit : « Je préfère qu'on me dise qu'à un moment j'en fais trop, si c'est le cas, et qu'on me tempère. Je vois le metteur en scène comme quelqu'un qui aide le produit brut, que sont les acteurs, à se sculpter et à doser leur jeu dans les deux sens, aussi bien pour mettre en avant le trop que le pas assez. Ici, avec Corinne et Gilles, on essaie, et on change si ça ne marche pas. »

Nos acteurs soulignent l'ambiance détendue qui règne lors des répétitions, qui favorise leur concentration et permet de travailler mieux. D’ailleurs, ils ne peuvent cacher leur impatience de jouer. Impatience qui n'est que renforcée par les prochains filages et répétitions en présence de l'orchestre. Après des répétitions parfois longues et fatigantes, il leur tarde maintenant de monter sur scène pour de bon : « On a envie qu'on nous lâche : nous sommes comme le cheval qu'on entraîne avec la longe et qu'on finit par laisser partir quand on le juge prêt. Nous n'attendons plus qu'une chose : qu'on nous laisse courir dans la prairie. »

Passer la rampe

Nos interlocuteurs saluent l'attitude de Corinne et Gilles Benizio pour qui « il est primordial de travailler pour le public. Il faut que tout ce qui est dit et exprimé passe la rampe. Tout ce que reçoit le spectateur doit être clair et limpide et laisser, finalement, assez peu de place à l'interprétation qu'il doit en faire ». À leur avis, « on est dans le cadeau, pas dans l'analyse ». Ils livrent leur Belle Hélène, puis elle ne leur appartient plus. Dès que le rideau se lève, c'est aux acteurs et au public de se l'approprier. « Trop souvent les metteurs en scène mettent en scène pour eux », déplorent-ils.

Rien de tout cela dans cette adaptation. Ainsi les relectures que Corinne et Gilles Benizio ont données des œuvres lyriques, comme leur Roi Arthur, augure, de l'avis des comédiens que nous avons rencontrés, d’un grand avenir comme metteurs en scène. Ils ont l’humilité et le respect de l’œuvre ou du compositeur, pour se mettre au service de l’œuvre. « On n’écrit pas une œuvre comme Contes d’Hoffmann si on n’a pas de talent. Offenbach est rigoureux musicalement. Moderniser la Belle Hélène ne mettrait pas en péril la musique mais pourrait introduire le contre-sens. Ici on est en plein dans l’époque, c'est rigolo. »

Un public liégeois

Interrogée sur le public liégeois, Alexise Yerna commence par mettre en avant « le côte dérision, l'habitude de ne pas se prendre au sérieux des Liégeois, et le rire qu'ils affectionnent ». Ainsi, elle se souvient d'une Vie parisienne qui n'était pas drôle, voire indigeste, et fut très critiquée. La soprano n'hésite pas à utiliser le terme d'épouvantable. Tout au contraire, avec la présente Belle Hélène, « il ne s'agit pas d'une transposition gratuite, l'adaptation servant l'œuvre ».

Denis d’Arcangelo, pour sa part, raconte une scène à laquelle il a assisté il y a quelques jours, à une terrasse de café, inimaginable à Paris, d’après lui. « Un fou rire communicatif entre des jeunes filles et une vieille dame. Un fou rire intergénérationnel. Elles semblaient s'autoriser à rire de bon cœur pour des choses drôles. En toute simplicité ». Et de prendre le rôle d'augure de Calchas pour prédire que « si le public réagit aux mêmes règles, ça ne va être que du bonheur ces représentations ! ».

Marc-Henri Bawin et Marjorie Léonard
Décembre 2012