Cinémapocalypse

1Le 21 décembre, nous ne serons plus : alignements des planètes, dérèglement de l’écosystème, catastrophes naturelles, rien ne nous sera épargné. Pas grave : le cinéma nous a déjà préparés à tout ça depuis plus de 100 ans, et si par hasard la prophétie ne devait pas se réaliser, les pessimistes pourront toujours se consoler avec quelques films majeurs du genre. Panorama.

« Après le tremblement de terre de San Francisco, un film de la Biograph Company datant de 1906, est souvent cité comme le premier film-catastrophe de l’histoire du cinéma américain. (…) Cependant, le film-catastrophe n’est en vérité que l’un des lieux modestes de résidence de la poétique de la destruction qui traverse toutes les époques et de très nombreux genres américains, du cinéma burlesque au cinéma de science-fiction, en passant par le péplum, le western, le mélodrame ou le cinéma d’espionnage pour n’en citer que quelques-uns, évidents.1 » En effet, quoi de commun entre Steamboat Bill Jr de Buster Keaton et sa tempête, Quo Vadis de Mervyn Leroy où Néron met le feu à Rome, Autant en emporte le vent et son incendie d’Atlanta ou encore les films post 11 septembre, si ce n’est l’image de la destruction pure ? Mais reprenons.

Au début était donc le témoignage : Rough Sea of Dover, de Birt Acres et filmé en 1895, illustre ainsi la violence du mouvement des vagues lors d’une tempête côtière. Il faut pourtant attendre 1931 pour que l’un des premiers grands films-catastrophes (entendez par là au sens « spectaculaire ») soit réalisé : La fin du monde d’Abel Gance prend déjà le parti, à l’époque, de la météorite se dirigeant vers notre planète avec aucune chance de survie. En 1933, c’est le King Kong de Schoedsaeck et Cooper qui détruit New York. Il ne s’agit pourtant que de prémices à un genre qui attend l’Histoire avant d’émerger complètement.

2Les années 50-60 : Guerre Froide, Hiroshima et gros lézard

Si elle n’est encore considérée à l’époque que comme un sous-genre cinématographique, la science-fiction va durablement marquer les esprits en tirant pleinement profit de son contexte géopolitique. Rudolph Maté avec Le choc des mondes (1951) relance la théorie de la collision des planètes, mais c’est surtout la mode des films d’extraterrestres qui va dominer le courant. La guerre des mondes de Byron Haskins (1953) est probablement l’un des films les plus édifiants : reprenant l’œuvre originale de H.G. Wells (déjà critique de l’empire britannique en son temps), le film illustre la lutte pour la survie du monde (comprenez « Amérique ») face à l’envahisseur, le martien, celui qui vient de la « planète rouge » ; oui, les films de l’époque ne brillent pas par la subtilité de leurs métaphores sur les communistes… Un premier tournant sera opéré au lendemain de la crise de Cuba, quand le monde se retrouva au bord de l’explosion. Le cinéma catastrophe va s’évertuer à illustrer l’avenir de l’Homme si une telle crise devait un jour aboutir à la solution finale : c’est le cas du Jour où la terre prit feu de Val Guest (réalisé un peu avant la crise de Cuba, en 1961), de Je suis une légende d’Ubaldo Ranoga (1964), de Dr Folamour de Stanley Kubrick (1964) et, évidemment, de la Planète des singes de Franklin J. Schaffner qui, avec son plan final de la Statue de la Liberté détruite, marque toute une génération en 1968. Citons, en aparté, un docudrama majeur sur la question du nucléaire : The War Game (Peter Watkins, 1965), sans doute le plus effrayant de tous les films-catastrophes car le plus réaliste quant aux effets d’un bombardement nucléaire sur une ville anglaise.

3 - Godzilla de Ishiro HondaDe leur côté, les Japonais vont également saisir au vol l’ère du film-catastrophe avec une touche nettement plus personnelle. Grand traumatisme quelques années auparavant, Hiroshima et Nagasaki hantent encore les mémoires du pays, alors que l’on découvre à peine les effets du nucléaire sur l’écosystème. Il n’en faut pas plus pour que la société cinématographique Toho crée l’un des monstres les plus célèbres de l’histoire du cinéma : Godzilla (photo ci-contre). Fruit de la frappe nucléaire, Godzilla incarne à lui seul l’angoisse d’une époque qui maîtrise mal ses armes de destruction massive, et la peur qui découle de cette science incontrôlable. Le film-catastrophe (aux USA comme au Japon) agit donc comme une vision cathartique des angoisses du monde : qu’il s’agisse de New York ou de Tokyo, la destruction d’une ville évoque aussi bien la seconde guerre mondiale qu’Hiroshima et Nagasaki, et voir le méchant destructeur vaincu rassure le genre humain sur sa condition future. Fort d’un succès colossal (sauf aux USA, où le film fut censuré et modifié), Godzilla ouvre aussi la voie à un genre spécifique au Japon, le Kaiju Eiga (« cinéma de monstres »), essentiellement porté par une figure : Inishiro Honda, réalisateur du premier Godzilla et de l’ensemble de sa descendance : Mothra la mite géante, Rodan le ptérodactyle, et tous les Baran, Godorah, Ghidra, Itoka, Barugon et autres. Le genre s’autosuffit très vite dans le sens où le Kaiju Eiga, après avoir illustré la destruction de masse en solo, va rapidement trouver son apogée dans des croisement improbables : King Kong vs Godzilla, Godzilla, Ebirah et Mothra : Duel dans les mers du sud et autres MechaGodzilla contre-attaque. Autant dire que le genre devient de plus en plus parodique au fil des années, jusqu’à l’apothéose constituée par Godzilla : Final Wars, sorte de Power Rangers amélioré ne se prenant jamais au sérieux. Il n’en est pas moins vrai que le Kaiju Eiga reste, à ce jour, l’un des genres les plus rentables du cinéma japonais2.




1 Dick TOMASOVIC, « les images-catastrophes du cinéma américain avant et après le 11 septembre 2001 », in A. JOIN-LAMBERT, S. GORIELY et S. FEVRY (sous la dir. de), L’imaginaire de l’apocalypse au cinéma, Paris, L’Harmattan, 2012, p.35

2 Les Américains ne sont pas en reste pour autant : Them ! de Gordon Douglas (1954) propose des fourmis géantes, alors que Tarantula de Jack Arnold (1955) mérite bien son nom…

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