Cinq questions au directeur de collection

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© Michel Houet - ULg 

  • Selon vous, quel est le rôle d’un directeur de collection ? Comment envisagez-vous cette activité ? Le fait de vous inscrire dans le cadre d’une maison d’édition française est-il une aubaine ou un frein ?

L’idée de cette collection est basée sur un constat très simple de ma part : je ne rencontrais aucune plume belge dans le catalogue d’un éditeur que j’estime être l’un des plus audacieux et subtils en ses choix dans le paysage actuel de la « petite édition française ». Cela m’a semblé être une lacune à combler d’urgence. J’étais en contact avec L’Arbre vengeur – et David Vincent principalement – car je prenais soin systématiquement de faire suivre les articles que je consacrais ici et là à leurs publications, selon moi trop peu mises en avant par les médias généralistes comme il en va pour maintes « petites écuries ». Pourtant, le travail considérable de ces éditeurs plus confidentiels, en matière d’exhumations et de révélations, est considérable. C’est à mon sens d’ailleurs là que la Littérature – celle en tout cas que je goûte – se fait, dans le salut à des œuvres méconnues et oubliées ainsi que dans la découverte de voix contemporaines uniques en leur style, leur ton, leur énergie. C’est là toute la différence entre servir la Littérature et s’en servir pour flatter son propre ego ou par carriérisme.

Bref, je crois pouvoir dire qu’une estime réciproque s’est tissée, même à distance (car, chose amusante, nous ne sommes jamais rencontrés en chair et en os, ni même téléphoné, nos contacts ont jusqu’à présent été exclusivement écrits !).

La proposition d’animer la collection n’est pas formellement contractuelle et, à part évidemment l’accord sur les qualités globales du texte choisi, elle n’est pas soumise à des « lignes directrices » trop contraignantes, mais plutôt à quelque chose que personnellement j’adore : la trouvaille, au hasard des recherches, des chinages en caisses poussiéreuses de solderies ou de vide-grenier, et en bibliothèque…

En ce qui concerne le nom, l’appellation « L’Arbre à clous » m’a été soufflée par une personne de mon entourage direct, très qualifiée pour trouver des noms de collection pertinents, et que je remercie au passage. Les « arbres à clous » sont ces arbres que l’on trouve encore, même s’ils se font très rares, en Wallonie mais aussi dans le Limbourg. C’est une tradition typiquement belge qui consiste à transformer des arbres au tronc massif en ex voto géants. Chaque clou y représente un souhait à réaliser (en général une douleur à soulager). C’était d’après moi un très beau symbole, et cohérent avec le nom de l’éditeur...

  • Pourriez-vous définir le projet « L’Arbre à clous » (impulsion de départ, lignes directrices, critères de choix des auteurs et des œuvres, explication du nom, etc.) ?

Comme je le disais plus haut : essayer de dénicher l’œuvre à redonner en partage au public, et qui par sa force intrinsèque, ses qualités stylistiques, son thème, provoque la déstabilisation du lecteur. Alors qu’au départ je pensais plutôt proposer des écrivains disparus, j’ai eu l’agréable surprise de tomber en premier lieu sur un texte certes vieux de plus de trente ans mais dont l’auteur était encore bel et bien vivant, et qui comptait se remettre à publier après une longue période d’absence sur ce terrain. Je ne suis donc en rien l’accoucheur du prochain livre de Jean-Pierre Bours, mais je me crois autorisé à penser que la réédition de son premier opus a dû lui insuffler une énergie féconde et une nouvelle confiance dans la qualité de son travail. Je résumerais donc ma fonction en deux mots, qui sont déjà à la base de ma démarche critique : découvreur et passeur.

Quand j’ai proposé à David Vincent l’idée d‘inscrire des Belges dans l’impressionnante cohorte de noms déjà publiés par L’Arbre vengeur, l’idée a été accueillie d’emblée avec un enthousiasme qui me semble parfois manquer à notre propre dynamique éditoriale. En Belgique francophone, j’ai l’impression que la chose aurait nécessité plus de démarches et aurait été moins naturelle, moins spontanée. L’approche aurait été en tout cas compliquée par le simple fait (bien utile parfois, mais aussi très délicat à d’autres moments) que la plupart des gens qui écrivent, publient, collaborent à des revues, etc. se connaissent, ne fût-ce que de vue, pour entretenir des liens, amicaux ou non, mais en tout cas de proximité personnelle. Le fait qu’un confrère en écriture soit en outre un ami, un collègue, un voisin, eh bien, cela contamine souvent le strict jugement littéraire que l’on voudrait poser sur sa production. Si L’Arbre vengeur m’a fait l’insigne honneur d’intégrer l’équipe des directeurs, cela s’est fait uniquement sur base des mots, des goûts, des convergences de vues littéraires, et pas d’abord sur un critère de sympathie.

  • Que pensez-vous pouvoir apporter dans le paysage éditorial français (alors que la littérature belge n’y est actuellement connue que par des représentants qui ont dissous cette identité) ? Et dans le paysage littéraire belge (alors que de multiples institutions ont une préséance sur le patrimoine des Lettres) ?

Mon idéal serait de constituer au fil des titres une bibliothèque belge, certes patrimoniale, mais « off », inattendue ou plutôt, insoupçonnée. Ce pays a regorgé et regorge toujours de talents, de figures atypiques, qui échappent au classement hâtif – comme par exemple cette étiquette de « surréaliste » que l’on accole à tout va dès que le mot « belge » est prononcé. Je ne sais pas si l’identité belge est entièrement dissoute, mais en tout cas elle souffre d’être mal qualifiée ou mal jaugée, surtout vue de France. Je ne veux pas refaire ici l’historique des stéréotypes liés à une hypothétique identité belge, de l’acrimonie baudelairienne au réductionnisme grotesque des sketchs de Coluche. Pour ma part, si je peux très modestement contribuer, à travers quelques livres, à faire entrevoir une littérature belge « par le haut de son panier » tout en n’ayant pas à lui faire enfiler un costume magrittien ou l’obliger à prendre la nécessaire posture de l’autodérision, j’aurai à ma façon combattu les clichés, les si tenaces clichés…

  • Pourquoi avoir choisi Celui qui pourrissait de Jean-Pierre Bours ? Quels sont les éléments qui ont pesé en sa faveur ? Comment l’auteur et les éditeurs ont-ils accueilli votre sélection ?

C’est le pur hasard qui m’a amené le recueil de Bours dans les mains. Je l’ai extirpé d’un rayon dans une librairie d’occasion que je fréquente régulièrement. Le titre m’a étonné (la structure syntaxique en est peu commune pour être relevée), et puis le fait que ce texte a paru dans la collection des fantastiques jadis dirigée chez Marabout par l’érudit absolu qu’est Jean-Baptiste Baronian était en soi un indice de qualité. Je crois que ce qui m’a séduit, autant que les éditeurs, c’est tout bonnement la conjugaison, chez Bours, entre d’une part une écriture ciselée, parfaitement maîtrisée, et d’autre part un troublant imaginaire fin-de-siècle, marqué par la présence de figures compulsives, la problématique du dédoublement identitaire, la tentation de la perte de soi dans certains abymes. Tout cela a « pesé » comme vous dites, et a masqué aussi les péchés véniels qui subsistaient dans le texte du trentenaire Bours.

  • Avez-vous déjà une idée des prochains titres que vous aimeriez mettre en lumière (à défaut d’un titre précis, une veine, une époque, un ancrage régional, etc.) ?

J’ai dans la tête beaucoup de fantasmes à assouvir et de noms à remettre à l’honneur… Par exemple, j’aimerais que la collection s’ouvre assez tôt à des proses venues de Flandre. Pour le reste, chuuuuut !

 


microgrisFrédéric Saenen est chargé d'enseignement en français-langue étrangère à l'ISLV. Il publie de la poésie, des nouvelles et des articles de critique littéraire.