Cinq questions aux éditeurs (David Vincent et Nicolas Étienne)
  • Pourriez-vous définir votre projet éditorial (impulsion de départ, lignes directrices, critères de choix des auteurs et des œuvres, explication du nom, etc.) ?

Un projet éditorial n’est jamais que la somme des idées de ceux qui s’associent pour créer une maison d’édition. La nôtre est fondée sur une amitié ancienne et complice, une communauté de points de vue, une sensibilité à l’insolence, un souci de liberté sans doute empêchée dans nos autres activités, une envie de faire trace dans un domaine qui nous est vital, la littérature, lieu de toutes les bassesses et médiocrités dans lequel il est agréable de s’imaginer plus vifs et moins soumis à la veulerie et au pré-mâché. Partis sans le sou mais résolus à ne jamais céder un pouce d’indépendance, nous avons été guidés par ce plaisir plein d’ennuis qu’est la réalisation d’un livre puis du suivant, et du suivant, etc. Se reconnaître en reconnaissant à des auteurs morts puis vivants (pas les mêmes...) une distinction, une élégance, une marque voire une griffure. Notre seul critère : le plaisir de la liberté et la liberté du plaisir. Quant au nom, ce n’est plus un secret mais c’est devenu un jeu d’en trouver beaucoup de définitions. Ce n’est en tout cas pas un nom prétentieux qui nous aurait fait horreur.

arbrevengeur

  • Selon vous, le fait d’être décentré par rapport à Paris permet-il une plus grande liberté éditoriale, au contraire ferme-t-il des portes, ou bien finalement n’entre-t-il aucunement en ligne de compte ?

Le fait de n’être pas parisiens nous permet une paix royale, nous évite tout un tas de connivences, et nous laisse jouir d’un climat bien plus agréable. Le combat Girondins vs Jacobins veut-il encore dire quelque chose ? Ceci dit Paris n’est que le centre d’elle-même. La littérature et la pensée sont de partout, on ne le sait que trop à Bordeaux, terre de Montaigne, Montesquieu et Mauriac, où l’on M la littérature indépendante.

  • Pourquoi décider de développer une collection belge dans votre catalogue ? Dans cette démarche, voulez-vous sensibiliser le lectorat français à l’existence d’une littérature belge, ou le lectorat belge à l’existence d’une maison d’édition girondine ?

La courte histoire de notre maison est surtout celle de rencontres, de croisements, d’affinités qui permettent à des livres de voir le jour et à des collections de se développer. Cela a été le cas pour nos quatre collections. Nous avons, parmi d’autres, un tropisme vers certains auteurs belges sans nécessairement distinguer une belgitude (Baillon fait partie de nos admirations, Simenon est un maître mais pas dans le genre du policier qui ne veut rien dire pour lui, Rodenbach nous séduit, nous rêvons de rééditer un livre d’Hubert Juin, et nous en passons, et le travail d’un Baronian nous a toujours impressionné). L’Arbre à clous est né d’un défi lancé à Frédéric Saenen qui est un de nos plus fidèles lecteurs, un critique avisé qui a très vite saisi les limites et les bizarreries de notre territoire : s’il nous proposait un texte qui nous emballait, nous le mettions au défi de lancer cette collection improbable car se heurtant au scepticisme des deux côtés de la frontière (on entend déjà les soupirs moqueurs). Il a relevé le gant, très vite. Pas question pour nous d’une démarche qui serait perçue comme militante sauf qu’il y a une formidable matière dans les lettres belges qu’on ne trouve que dans peu de régions, que se fixer un espace d’exploration est une contrainte exaltante (et nous croyons beaucoup aux joies de la contrainte qui favorise l’inspiration). À Frédéric ensuite d’habiter l’espace ainsi créé avec une réelle contrainte qui est la taille de notre maison et sa fragilité qui ne nous permettent pas de produire beaucoup.

  • En général, qu’attendez-vous du travail de vos directeurs de collection ? Avez-vous des critères fermement établis ou leur laissez-vous une marge de manœuvre totale ? Leur proposez-vous des titres (ou des pistes) ?

Il n’y a aucune règle préétablie, pas de contrat, mais une entente, un accord sur un projet né d’une connivence. Nous n’éditons rien qui n’ait reçu l’assentiment complet du duo d’origine (éditer un livre timidement le condamne à coup sûr), ce qui oblige le directeur de collection à faire des propositions qui nous emballent et qui nous paraissent viables (certains bons textes ne collent pas à notre trajectoire). Il est possible aussi que l’idée vienne de nous ou que nous proposions une piste, mais l’important est que le trio ainsi formé soit en accord et sans doute. Dernier aspect qui n’est pas vain, L’Arbre vengeur, pour être une société, ne rapporte néanmoins pas d’argent à ceux qui la font tourner, le but n’étant pas de s’enrichir d’une quelconque manière ; le directeur de collection devient donc à ce titre, comme les animateurs, une sorte de bénévole qui se paie... de mots. Le but de l’arbre est d’étendre ses branches et de les garder aussi vives que possible. La difficulté pour Frédéric Saenen fera le prix de sa collection : celle d’exhumer des pépites sur un terrain déjà largement ratissé. Mais nous l’avons découvert pugnace et tenace (une qualité belge ?).

  • Qu’est-ce qui vous a convaincus dans Celui qui pourrissait de Jean-Pierre Bours ? Pourquoi une telle œuvre pour inaugurer une nouvelle collection ?

Le recueil de Jean-Pierre Bours est un des premiers textes proposés par Frédéric et il a tapé juste d’entrée, nous mettant en main un recueil où le style, très maîtrisé (et c’est un impératif pour nous que ce souci de la langue), côtoyait un imaginaire de référence et horrifique qui nous est particulièrement familier : travail sur la forme qui n’anéantit pas le souci de narrer, passage en revue de différentes manières, explorations au risque de l’échec, bref un ensemble d’une réelle cohérence qui trahissait tout du long un plaisir de l’écriture, un plaisir du jeu. Idéal pour commencer une collection, surtout en apprenant que cet auteur méconnu et publié jeune, était toujours actif et qui plus est originaire de Liège. Et puis on sait que sur la pourriture pousse le meilleur : nous sommes d’une terre qui sait le prix de la fameuse pourriture noble...