Musique en Wallonie sort 3 nouveaux CD

La maison de disques Musique en Wallonie, dont le siège se situe à l’ULg, poursuit activement sa mission de valorisation du patrimoine musical classique belge francophone. En ce mois de novembre, son catalogue vient de s’enrichir de trois nouvelles productions. Cap sur l’Allemagne et l’Italie !


mewPlus de cent cinquante productions distribuées dans une vingtaine de pays et une multitude de récompenses obtenues : tel est le bilan dont le label Musique en Wallonie peut se targuer après quarante ans d’activité, dignement fêtés l’année passée ; succès auquel est venue s’ajouter, au mois de septembre dernier, la distinction d’officier du Mérite wallon.

Ci-contre : Christophe Pirenne et Jean-Pierre Smyers.
Photo SPW-Jean-Louis Carpentier

La firme de disques n’entend pas pour autant se reposer sur ses lauriers. Les domaines abondent où le patrimoine musical de la Communauté Wallonie - Bruxelles attend encore d’être valorisé. Aussi, trois nouveaux CD viennent d’être édités, respectivement consacrés à l’office de Charlemagne, à Marbrianus de Orto et Josquin Desprez, ainsi qu’à Roland de Lassus. On y retrouve, comme à l’accoutumée, les ingrédients qui font les délices des disques de Musique en Wallonie : des interprétations de haute qualité, fruits d’une étroite collaboration entre chercheurs et artistes de renom, le tout accompagné par un texte de présentation particulièrement complet, disponible en français, allemand, néerlandais et anglais.

 

 

O rex orbis – Officium in festo sancti Karoli
Plain-chant médiéval et polyphonie de la Renaissance pour la fête de saint Charlemagne

orexorbisEn 1165, l’antipape Pascal III canonise Charlemagne (748-814) à l’instigation de l’empereur Frédéric Barberousse (1122-1190) mais, accomplie du temps du schisme, cette sanctification ne sera jamais ratifiée par la suite. Cette circonstance n’empêche pas la liturgie de la fête de Charlemagne de se diffuser tout au long du Moyen-Âge et, aujourd’hui encore, elle continue d’être célébrée dans la cathédrale d’Aix-la-Chapelle, l’un des rares vestiges du complexe palatial de Charlemagne. Enregistré par Musique en Wallonie avec le concours du groupe vocal américain Exsultemus, le disque O rex orbis – Officium in festo sancti Karoli propose une reconstruction liturgique par Éric Rice – ténor et directeur artistique d’Exsultemus – de deux services de l’office « rimé » au XIIe siècle en l’honneur de Charlemagne : les Vêpres et les Complies. Les services sont présentés tels qu’ils auraient pu être chantés à la Marienkirche d’Aix-la-Chapelle, le samedi 27 janvier 1582 (soit la veille de la fête de Charlemagne célébrée le 28 janvier, date anniversaire de sa mort). Retenue arbitrairement, cette date s’explique pourtant par l’alternance du plain-chant et de la polyphonie présidant à la reconstruction. Alors que le plain-chant provient de l’Antiphonaire de Franko (XIIIe siècle), le plus ancien manuscrit à conserver l’office de Charlemagne, la polyphonie date quant à elle de la fin du XVIe siècle. À cette époque, Johannes Mangon (ca. 1525-1578) – un maître de chapelle de la cathédrale d’Aix-la-Chapelle, originaire des environs de Liège – réalise plusieurs compositions polyphoniques à partir des morceaux en plain-chant initiaux de l’office rimé ; compositions au nombre desquelles figurent notamment l’hymne O rex orbis ou le motet O spes afflictis. La reconstruction des Vêpres inclut également les œuvres de deux successeurs de Mangon, Lambertus de Monte (un Liégeois décédé avant 1606) et Michael Wilhelm (actif entre 1580 et 1610), tandis que les Complies comportent le motet In te, Domine, speravi de Roland de Lassus (ca. 1531-1594) et un Salve regina de Ludovicus Episcopius (ca. 1520-1595). Le disque O rex orbis remplit ainsi pleinement son objectif, visant à témoigner de la « vigueur des traditions polyphoniques d’Aix » et de la « richesse liturgique de son église en ces temps éloignés ».

 

De Orto / Josquin : Musique à la Chapelle Sixtine autour de 1490

deortoLe double disque De Orto / Josquin se lance sur les traces d’un des compositeurs les plus importants de la Renaissance, Josquin Desprez (ca. 1450-1521), alors que celui-ci occupe un poste de chanteur dans le chœur de la Chapelle Sixtine, de 1489 à 1494 environ. Vraisemblablement conçus à Rome, les sections de messes, motet et hymne qu’il contient comptent parmi les rares pièces pouvant être incontestablement attribuées au musicien – soit, sur l’ensemble du corpus josquinien, moins d’une œuvre sur six ! Ces problèmes d’attribution vont de pair avec des problèmes d’ordre biographique. Les années que Josquin passe à la chapelle pontificale, au service d’Innocent VIII et d’Alexandre VI, comptent en effet parmi les plus documentées de son existence, sinon largement impénétrée. Qui est Josquin et en quoi consiste son unicité ? Telles sont les questions que Musique en Wallonie et l’ensemble américain Cut Circle tentent d’élucider par le biais de cet enregistrement. Les pièces choisies dénotent le goût marqué de Josquin pour la répétition – ce que Jesse Rodin, le directeur artistique de Cut Circle, appelle sa « personnalité compositionnelle obsessionnelle », particulièrement visible dans la Missa La sol fa re mi entièrement bâtie sur un motif mélodique de cinq notes. Elles révèlent en outre, comme dans la Missa L’homme armé super voces musicales, l’incroyable complexité technique et la riche écriture mélodique de sa musique, qui ont fait dire à Cosimo Bartoli – l’un des contemporains de Josquin – que le compositeur « fut à la musique ce que Michelangelo Buonarroti a été à l’architecture, la peinture et la sculpture : un prodige de la nature ».

Conjointement aux pièces de Josquin, le CD propose en première mondiale des œuvres de trois autres chantres papaux de la fin du XVe siècle : Gaspar van Weerbeke (ca. 1445-1516), Bertrandus Vaqueras (ca. 1450-1507), ainsi que Marbrianus de Orto (ca. 1460-1529). Les plus férus pourront, de surcroît, consulter la monographie scientifique Josquin’s Rome : Hearing and Composing in the Sistine Chapel (Oxford University Press, 2012), dans laquelle la plupart des pièces enregistrées font l’objet d’une analyse détaillée.

 

Roland de Lassus
Biographie musicale vol. II : La gloire musicale de la Bavière – Le temps de la faveur

delassusMusique en Wallonie signe, enfin, le second volet de la Biographie musicale de Roland de Lassus (ca. 1531-1594), appelée à paraître en cinq volumes dans le cadre de « Mons 2015, Capitale européenne de la culture ». Alors que le premier CD, consacré aux années de jeunesse de Lassus, avait été réalisé en collaboration avec les chanteurs de Ludus Modalis, la maison de disques s’associe cette fois avec l’ensemble allemand Singer Pur afin d’explorer les années fastes de la carrière munichoise du compositeur. À partir de 1556, Roland de Lassus entre en effet au service du duc Albert V de Bavière, un souverain bon vivant surnommé, non sans raison, Albert le Magnifique. Sous son règne, les arts connaissent un foisonnement exceptionnel, se voulant à l’image du rayonnement culturel des cours italiennes. La chapelle ducale, en particulier, ne tarde pas à acquérir une renommée européenne, alors même que Roland de Lassus en devient le maître de chapelle ; une fonction prestigieuse impliquant, outre l’encadrement des enfants de la maîtrise et la direction des chanteurs, une large part de composition. Au travers d’une sélection de dix-huit pièces, le deuxième volume de la Biographie musicale de Lassus reflète le caractère extrêmement diversifié de cette production, tant sacrée que profane, destinée à agrémenter les services liturgiques, les repas du duc ou d’autres événements (songeons aux quinze jours de fête célébrant, en février 1568, le mariage de Renée de Lorraine avec le fils aîné du duc, Guillaume). Messes, Magnificats, motets, chansons, lieder et madrigaux se succèdent et, avec eux, autant d’univers musico-textuels différents : dans le motet Res neque ab infernis, Roland de Lassus opte pour le caractère sérieux du mode de Mi (« mode phrygien ») afin de mettre en musique un texte humaniste à la gloire de l’amour ; le lied Frölich zu sein ist mein manier relate, dans un ton allègre, la philosophie de vie d’un joyeux compagnon ; quant au Magnificat supra Tant vous allés doulx, il reprend certes le texte traditionnel du Cantique de la Vierge Marie mais repose, musicalement, sur une plaisante chanson d’Ebran. Les paroles de tous les morceaux ont été soigneusement retranscrites et traduites à l’intérieur du livret du CD. Tous les éléments se trouvent ainsi réunis pour apprécier pleinement ce disque qui – pas moins que les deux autres – s’avère fascinant.

 

Barbara Bong
Novembre 2012

 

crayongris2Barbara Bong est musicologue et chroniqueuse indépendante

 


 

 

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