Dystopies de fin du monde - Une poétique littéraire du désastre

Entre fléau à venir et relance post-apocalyptique

rirejauneTrès explicites, les titres hyperboliques de ces récits laissent entendre que bon nombre de romans dystopiques programment la disparition irrémédiable de l’être humain. Pourtant, comme le note Natacha Vas-Deyres16, la fin totale de l’humanité est paradoxalement une thématique rare dans la littérature d’anticipation. Il faudrait plutôt considérer la portée et l’impact de la catastrophe anticipée : concerne-t-elle une communauté restreinte, une nation entière, voire l’humanité au complet ? Et peut-on observer un redressement de la situation après le fléau ? On le voit, chez Paulin, Allorge, Joncquel et Varlet, une certaine reconstruction est suggérée, parfois amorcée. Le Rire jaune de Pierre Mac Orlan plaide même en faveur de la recréation d’un monde nouveau sur un sol assaini par la destruction de bases sociales viciées, comme le signifie une éloquente conclusion dans laquelle l’enthousiasme ironique se mêle à l’orgueil démiurgique : « Il faut, sur les ruines de l’ancienne civilisation, reconstruire la Cité future : la cité de justice, de fraternité et d’égalité. Nous sommes les pionniers d’un nouveau monde. Nous aurons nos noms dans le dictionnaire et nous pourrons croiser nos bras avec orgueil quand la besogne sera terminée. Défrichons, semons le blé, reconstruisons l’édifice pourri, voilà ce qu’il faut faire. »17

Ces conditions de relance post-apocalyptique dépendent d’un autre facteur important : les causes de la catastrophe sont-elles présentées comme imputables à la responsabilité de l’homme ou subies en tant que conséquences extérieures ? S’agit-il d’un cataclysme naturel ou de nature humaine, de cause endogène (terrestre) ou exogène (extraterrestre) ? Cette esquisse d’une histoire de la dystopie française montre que les récits dont la thématique est porteuse de l’impact le plus destructeur ne sont pas ceux de la guerre future organisée par l’homme, mais bien plutôt les romans qui figurent le déchaînement d’une force non maîtrisée par l’être humain (péril écologique) ou dont il a perdu le contrôle (force nucléaire, pouvoir désintégrant de l’onde). Cela ne signifie nullement que l’homme se trouve exempté de toute responsabilité. Au contraire : c’est précisément les modalités de sa réaction face à l’adversité qui se trouvent au cœur de l’évolution narrative, de sorte que même les événements apparemment arbitraires, comme peuvent l’être les disparitions soudaines racontées dans le Napus. Fléau de l’an 2227 (1927) de Léon Daudet, sont rapportés à une explication rationnelle directement liée à l’action humaine. Alors : l’homme est-il victime ? coupable ? Dans ces scénarios de fin du monde, rien n’est potentiellement perdu tant qu’il y a de la vie.

Valérie Stiénon
Décembre 2012

crayongris2Valérie Stiénon est chargée de recherches du FNRS à l’Université de Liège et chercheur invité à Columbia University. Ses recherches postdoctorales portent sur le récit d’anticipation dystopique dans le domaine francophone à l’époque moderne.

 

 




16Vas-Deyres Natacha, Ces Français qui ont écrit demain. Utopie, anticipation et science-fiction au XXe siècle, Paris, Honoré Champion, coll. « Bibliothèque de littérature générale et comparée, n° 103 », 2012, p. 51, note 1.
17 Mac Orlan Pierre, Le rire jaune [1913], Liège-Paris, Édition Maréchal, 1944, p. 180.


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