La plume et le plateau. Double dimension de l’écriture de Joël Pommerat

L’art du palimpseste

CENDRILLON---Cici-Olsson--okL’écriture chez Pommerat se conçoit selon la figure du palimpseste9. Il envisage le travail du metteur en scène comme une réécriture de – et sur – l’œuvre originelle. L’art du metteur en scène consiste pour lui à réécrire le sens du texte sans en changer les mots. Pommerat ajoute toutefois qu’il arrive un moment où celui-ci éprouve l’envie, le besoin de passer outre le caractère sacré de l’œuvre, et d’en réécrire les mots. L’artiste bascule du rôle de metteur en scène à celui d’auteur. Joël Pommerat n’envisage pas « la création à partir de rien10 » et son écriture relève clairement de l’intertextualité. Ainsi, sous le texte de Au Monde persiste celui des Trois sœurs de Tchekhov.

Cendrillon © Cici Olsson

À l’instar de l’écriture, le travail avec les comédiens témoigne de cette composition en strates. Tout au long des répétitions, les acteurs apprennent et désapprennent non seulement leur savoir-faire mais aussi leur texte. Celui-ci est régulièrement modifié, et Pommerat demande à ses acteurs de mémoriser le nouveau texte, tout en gardant en tête la ou les version(s) précédente(s). La comédienne Ruth Olaizola témoigne :

« À la fin, le personnage qui est créé est plein du texte qui a été coupé, du texte qui n’a pas été coupé. Comme s’il y avait des couches, et ces couches se superposent et s’enrichissent les unes les autres. Depuis le temps qu’on travaille ensemble, on est comme des sortes d’archives. Nos personnages sont un peu comme une déclinaison du même personnage, du même sujet. Les personnages travaillés sont comme des ombres qui nous accompagnent et quand on arrive sur le plateau, on peut avoir l’impression d’arriver avec toutes ces ombres11. »

 

Une esthétique du trouble

pinocchioDans son travail, Pommerat est à la recherche du contraste. Il peut notamment être obtenu par le biais des comédiens. Le texte, chargé d’une certaine « couleur », d’une certaine dimension ou symbolique, sortira de la bouche d’un comédien apportant une autre dimension, créant ainsi un effet de décalage, de contraste qui donne alors tout son sens au texte. La beauté plastique des images, le jeu des acteurs, le dépouillement de leur gestuelle, leur présence physique au sein d’un espace épuré essentiellement construit par l’éclairage et le travail réalisé sur le son, sont autant de facteurs contribuant à l’atmosphère étrange, décalée, presque onirique des spectacles de Pommerat.

Pinocchio © Cici Colsson

« L’être n’est pas que parole. De la même façon, dans mes spectacles, on cherche juste la lumière qu’il faut, ou ce qu’il faut mettre de lumière et c’est tout. Ce qui est à montrer est dans la tête du spectateur. Selon moi, ce qui est à montrer est de l’ordre de la révélation, la révélation est intérieure, et c’est le spectateur qui est le lieu de la révélation. Mon travail, c’est de montrer des secrets en tant qu’ils restent cachés, pas de les dévoiler12. »

Dans ses spectacles, le metteur en scène tente de se rapprocher de la perception, de la représentation des objets et des personnages dans la littérature. Une sorte de mélange confus, où les images se superposent, se mêlent, se rapprochent et parfois s’opposent. L’éclairage oscille entre montrer et cacher, titillant ainsi le désir de savoir du spectateur en même temps qu’il stimule son imaginaire.

« Le théâtre, c’est ma possibilité à moi de capter le réel et de rendre le réel à un haut degré d’intensité, de force. Il n’y a pas d’opposition avec la vie. La vie, c’est l’endroit où on passe à côté du réel. C’est comme ça. C’est pour ça que l’art est essentiel pour moi. Avec des moyens qui sont des artifices, je cherche le réel. Pas la vérité. Il n’y a que la réalité qui m’intéresse. On dit que mes pièces sont étranges. Mais je passe mon temps à chercher le réel13»

Pour Pommerat, il est davantage nécessaire de montrer que d’expliquer. Le théâtre apparaît dès lors comme un lieu privilégié de questionnements

 

Lison Jousten
Novembre 2012

 

 


 

9 Le terme est utilisé par Joël Pommerat lui-même pour désigner le travail du metteur en scène dans Joël Pommerat, op. cit., p. 23.

10 Claudine Galea (propos recueillis par), « Dialogue entre Claudine Galea et Joël Pommerat, novembre-décembre 2005 »op.cit., p.55.

11 Claudine Galea (propos recueillis par), « Au plus près de nous. Ruth Olaizola », op. cit., p.84.

12 Claudine Galea (propos recueillis par), « Dialogue entre Claudine Galea et Joël Pommerat, novembre-décembre 2005 », op. cit., p. 56.

13 Claudine Galea (propos recueillis par), op. cit., p. 59.

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