La plume et le plateau. Double dimension de l’écriture de Joël Pommerat

Auteur-metteur en scène

Les textes de Pommerat sont aujourd’hui édités chez Actes Sud et traduits dans plusieurs langues. La production de textes dramatiques ne constitue pourtant pas pour l’auteur une fin en soi et ceux-ci ne sont pour le reste que très exceptionnellement montés par d’autres. Dans son travail, l’artiste refuse une scission que l’on retrouve communément entre la tâche d’écriture du texte et celle de mise en scène. Pour lui, l’écriture se construit également au travers du plateau. Écriture et mise en scène font partie d’un même mouvement, d’un même processus. Son écriture ne s’accomplit réellement qu’au travers de ces deux actes, ces deux dimensions.

« Car cela ne me suffit pas à moi d’écrire les mots, seulement les mots, je veux aussi écrire le sens, écrire un peu de sens (même si ce sens n’est pas aussi clair parfois que le spectateur le désirerait). C’est parce que je désirais profondément être auteur que je me suis confronté aux questions comme la recherche sur l’espace, le mouvement, le son, l’acoustique, la lumière, l’interprétation, le costume et même la production2. »

Sans titre-1En authentique auteur-metteur en scène, l’écriture chez Pommerat se conçoit donc comme un processus englobant deux instants habituellement disjoints. Son travail débute par une étape de recherche en solitaire de plusieurs mois, période au cours de laquelle il écrit et réfléchit. Les notes et les idées s’accumulent, des figures apparaissent progressivement. Encore aucune continuité dialoguée, ni quoi que ce soit de précis. Rien n’est encore définitif à ce stade. Des éléments tels que le son ou la lumière se profilent également. L’élaboration de l’espace scénique s’effectue en réalité avant l’écriture de la pièce et les différents éléments de mise en scène sont installés – même provisoirement – dès le début des répétitions. Au cours de celles-ci, une attention particulière est accordée à l’image, en témoignent ces propos tenus par la comédienne Marie Piemontese : « C’est souvent lui qui nous place dans l’espace, dans l’image. On est toujours dans de la lumière, dans de la scénographie, dans du son. Il y a une grande conscience de l’image, du cadre3. »

Le petit chaperon rouge © Élisabeth Carrechio

Lors d’un entretien avec Joël Pommerat, Claudine Galea envisage le passage du texte au plateau comme le lieu de « réalisation de la proposition textuelle, de la partition écrite4 » plutôt que comme une proposition de lecture parmi tant d’autres. Ce n’est qu’une fois monté que le sens du texte peut se déployer totalement. Sans le plateau, l’écriture apparaîtrait en quelque sorte comme inaccomplie. La pratique artistique de Joël Pommerat est celle d’un écrivain de plateau5  . Dans une tradition française où prime le texto-centrisme, les écrivains de plateau remettent en question la relation entre texte et scène. Longtemps, le texte a été envisagé comme précédant la scène. Pour ces artistes, l’écriture théâtrale n’est plus concevable en dehors de l’espace scénique et de ses composantes. Or, c’est exactement ce que l’on retrouve chez Pommerat, qui n’écrit en aucun cas un texte de manière abstraite, dans une démarche totalement extérieure et étrangère à la scène.

 

La présence des comédiens

file 628 HD-ChambreFroide Fonteray1Le théâtre de Pommerat repose avant tout sur la présence des acteurs. Ceux-ci s’avèrent être bien plus que de simples interprètes. Le metteur en scène éprouve le besoin de travailler avec des personnes partageant son goût de la recherche d’un langage et d’un art communs, et surtout, capables de prendre le temps de cette recherche. Joël Pommerat s’est donné pour projet artistique de réaliser une nouvelle pièce chaque année, durant quarante ans. Il s’engage envers certains de ses comédiens à leur faire une place au sein de chacune de ses créations. Plusieurs collaborations remontent ainsi à une dizaine d’années. Les comédiens de Pommerat lui sont précieux, dans la mesure où ces longues coopérations ont fait d'eux les « dépositaires6 » d’un savoir constitué ensemble, du fruit de nombreuses années de recherche. Si les comédiens de Pommerat sont au centre de son art, ceux-ci ont toutefois une place bien définie. Les comédiens ne font en aucun cas de propositions directes au metteur en scène, Pommerat ne les sollicite pas non plus au moment où débute un nouveau projet.

Ma chambre froide © Alain Fonteray

Le metteur en scène est très directif avec ses acteurs. Pommerat estime que la plus grande liberté dont ils jouissent est d’apporter ce qu’ils sont sur le plateau. Davantage que de jouer, il leur est demandé avant tout d’ « être avec les mots7 » proposés par l’auteur-metteur en scène. Dans son travail de direction d’acteurs, Pommerat tente en effet de « casser la machine à jouer », de leur faire abandonner une expérience et un savoir professionnels. L’amplification des voix par le biais des micros est d’une grande aide pour les comédiens car cela leur permet d’être dans  le concret, de parler plutôt que jouer, « parler normalement et en même temps trouver une dimension autre que celle qui existe dans la manière de parler de tous les jours8 ». Pommerat considère que la société actuelle n’est plus demandeuse d’un comédien se cachant derrière un masque et un art de la composition mais bien d’un acteur généreux. D’où cette sensation de non-jeu régnant sur les plateaux de Pommerat. Sans aller jusqu’à travailler avec des comédiens totalement en marge du monde théâtral, Pommerat est donc à la recherche de comédiens capables de se défaire de leurs acquis professionnels. Exigeant et perfectionniste, le metteur en scène ne relâche à aucun moment son travail de direction d’acteurs. Assistant à presque chacune des représentations, il offre un retour comprenant l’ensemble du spectacle après la fin de la représentation. Le spectacle ne demeure ainsi jamais figé dans sa forme, le travail est sans cesse corrigé, affiné, remis en question.

 



 

2 Joël Pommerat, Théâtre en présence, Paris, Acte Sud, 2007, p. 21.

3 Maïa Bouteillet (propos recueillis par), « Nous sommes comme les points d’appui de ces présences particulières qu’il cherche à créer.  Marie Piemontese » in Ubu Scènes d’Europe, n° 37-38, 2006, p. 81.

4 Claudine Galea (propos recueillis par), op. cit., p. 62.

5 Bruno Tackels, Rodrigo Garcia – Ecrivains de plateau IV, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2007.

6 Les acteurs sont qualifiés comme tels par Joël Pommerat dans Claudine Galea (propos recueillis par), op. cit., p. 58.

7 Joël Pommerat, op. cit., p. 10.

8 Claudine Galea (propos recueillis par), « Au plus près de nous. Ruth Olaizola », in Ubu Scènes d’Europe, n°37-38, 2006, p. 86.

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