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Esquisse d’une histoire de la sidérurgie au Pays de Liège

10 October 2012
Esquisse d’une histoire de la sidérurgie au Pays de Liège

Bref aperçu de l'histoire de la sidérurgie à Liège, du 12e siècle à nos jours...

Le Pays de Liège abondait autrefois en minerai de fer. Dès l’époque romaine, et même avant, on produisait le métal au procédé direct. Dans un simple trou creusé dans le sol, on mélangeait le minerai et le charbon de bois, on mettait à feu et on injectait de l’air avec un soufflet. De ce bas fourneau, on extrayait une loupe de fer spongieux qu’il fallait marteler.

Au 12e siècle, la redécouverte de l’arbre à cames permet de mécaniser le martelage : une roue hydraulique faisait tourner l’arbre à cames qui soulevait le marteau. Le même mécanisme fut ensuite appliqué à la soufflerie. On fit construire des fourneaux de plus grande dimension et on passa peu à peu du bas fourneau au haut-fourneau. Celui-ci apparaît en Scandinavie au 12e siècle, se diffuse en Lotharingie au 13e siècle et est bien attesté dans nos régions vers 1320.

Le haut-fourneau produit du fer à l’état liquide, c’est la fonte. La fonte peut être utilisée pour toutes les œuvres de fonderies, c’est le bronze du pauvre dont on fait des taques de cheminées et de chenets. Mais la fonte est cassante, car elle contient trop de carbone. Il faut la décarburer pour la transformer en fer.

Maka © MMIL

MakaLa « méthode wallonne » qui se généralise à partir de la fin du 15e siècle, consiste à « brûler » la fonte dans la flamme oxydante d’un foyer d’affinage. On obtient du fer, que l’on peut marteler au maka (martinet hydraulique – voir photo ci-contre), aplatir à la platinerie ou découper en baguettes à la fenderie.

Tels sont les composants des grands complexes usiniers qui se constituent dès le 16e siècle le long des affluents de la Meuse. Solidaire de la naissance du capitalisme moderne, la sidérurgie fera la fortune du Pays de Liège jusqu’au 18e siècle et se diffusera en Suède, en Allemagne, en Espagne et en France. Mais elle est tributaire du débit des rivières et la fabrication du charbon de bois dévaste les forêts.

Dès le 17e siècle, on essaya d’employer dans les hauts-fourneaux le charbon de terre en le débarrassant des matières volatiles qui altèrent la fonte, mais ce n’est qu’au 18e siècle qu’un transfert de technologie venu d’Angleterre introduisit la transformation du charbon en coke. Les hauts-fourneaux au coke remplacent peu à peu les hauts-fourneaux au bois. Les richesses charbonnières du sous-sol liégeois furent mises à profit tandis qu’une nouvelle énergie, la machine à vapeur mécanisait la soufflerie et le mécanisme de transformation. La fonte était transformée en fer par puddlage (brassage) et le fer produit était soit forgé au marteau pilon soit laminé en tôles (produits plats) ou en barres (produits longs), c’est l’époque où Cockerill, Lamarche, Orban, Behr créent « sur le charbon » des sociétés qui deviendront Cockerill-Sambre, Ougrée-Marihaye, Angleur-Athus, Espérance-Longdoz. Familiales à l’origine, ces entreprises deviendront rapidement des sociétés anonymes, où le poids des banques est prépondérant.

Cockerill milieu 19esiècleCockerill vers le milieu du 19e siècle

Une grande mutation se produit dans les années 1850 : le fer cède la place à l’acier, qui est du fer contenant un peu de carbone et possédant des propriétés mécaniques supérieures. Plusieurs procédés (Bessemer, Martin Siemens, Thomas) transforment la fonte en acier. C’est le procédé Thomas qui sera le plus répandu dans le bassin liégeois. Les minerais locaux sont épuisés, on les fait venir de Lorraine, tandis que le charbon de Campine remplace le charbon liégeois après la Première Guerre Mondiale. De crise en crise, les sociétés se regroupent et forment de vastes ensembles qui façonnent durablement le paysage physique, économique, social et mental du bassin. Vers 1900, Liège vue de haut est un mélange inextricable de clochers d’églises et de cheminées d’usines. La sidérurgie est l’ossature de l’industrie locale. Elle suscite, en aval, le développement de la mécanique. Liège est un pôle sidérurgique mondial jusqu’en 1945.

haut fourneau 5 Espérance-Londoz 1954Haut-fourneau Espérance-Longdoz en 1954
Haut fourneauCockerillHaut-fourneau Cockerill

Laminoir © MMIL

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Malgré une apparente prospérité, l’industrie liégeoise après 1945 développe les germes d’un lent déclin. Les minerais européens s’épuisent, et il est désormais plus rentable de construire les hauts-fourneaux et les aciéries en bord de mer où abordent les gigantesques minéraliers venus d’Afrique, d’Amérique ou d’Australie. La sidérurgie liégeoise se modernise un peu au hasard. Ainsi Chertal comprend une aciérie et des laminoirs, mais pas de hauts-fourneaux, ce qui impose de transporter la fonte liquide par wagons-torpilles depuis Ougrée et Seraing, avant que les bobines de tôles ne fassent le chemin inverse. Pour résister, les sociétés fusionnent dans des ensembles hétéroclites et peu efficaces, Cockerill-Ougrée-Providence-Espérance-Longdoz qui fusionnera ensuite avec les usines de Charleroi pour donner Cockerill-Sambre. La guerre du Kippour, en 1973, ouvre une crise de dix ans. En 1983, le consultant français Jean Gandois propose une réorganisation radicale : produire seulement ce qui se vend c’est-à-dire des produits à haute valeur ajoutée. Cockerill est une usine intégrée, du haut-fourneau à la tôle revêtue. Abandonnée par les actionnaires privés et par le pouvoir fédéral, Cockerill-Sambre est désormais une industrie publique aux mains de la Région Wallonne. Elle renoue avec la prospérité et la paix sociale, tandis qu’elle entame, en collaboration avec l’Université, des programmes de recherche ambitieux, notamment sur les produits revêtus. Dans le contexte général de privatisation, la Région Wallonne vend Cockerill-Sambre au Français USINOR le 9 février 1999. On connaît la suite : la création d’ARCELOR, la première fermeture des hauts-fourneaux, l’OPA de Mittal et la création d’Arcelor Mittal, l’éphémère rallumage des hauts-fourneaux, la fermeture définitive, les incertitudes sur l’avenir. Il en va de la sidérurgie liégeoise comme d’autres fleurons de l’industrie wallonne jetés sur le marché international. La destinée de l’entreprise échappe aux pouvoirs publics et aux partenaires sociaux. Il faut espérer que la sidérurgie à froid, c’est à dire les traitements spéciaux des tôles, où la part de recherche et de savoir-faire prédomine, puisse échapper à l’inéluctable déclin des sidérurgies continentales.

Robert Halleux
Octobre 2012

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Robert Halleux est Président du Centre d'Histoire des Sciences et Techniques de l'ULg, Membre de l’Académie Royale de Belgique, Membre de l’Institut de France.

 

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