Esquisse d’une histoire de la sidérurgie au Pays de Liège

Une grande mutation se produit dans les années 1850 : le fer cède la place à l’acier, qui est du fer contenant un peu de carbone et possédant des propriétés mécaniques supérieures. Plusieurs procédés (Bessemer, Martin Siemens, Thomas) transforment la fonte en acier. C’est le procédé Thomas qui sera le plus répandu dans le bassin liégeois. Les minerais locaux sont épuisés, on les fait venir de Lorraine, tandis que le charbon de Campine remplace le charbon liégeois après la Première Guerre Mondiale. De crise en crise, les sociétés se regroupent et forment de vastes ensembles qui façonnent durablement le paysage physique, économique, social et mental du bassin. Vers 1900, Liège vue de haut est un mélange inextricable de clochers d’églises et de cheminées d’usines. La sidérurgie est l’ossature de l’industrie locale. Elle suscite, en aval, le développement de la mécanique. Liège est un pôle sidérurgique mondial jusqu’en 1945.

haut fourneau 5 Espérance-Londoz 1954Haut-fourneau Espérance-Longdoz en 1954
Haut fourneauCockerillHaut-fourneau Cockerill

Laminoir © MMIL

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Malgré une apparente prospérité, l’industrie liégeoise après 1945 développe les germes d’un lent déclin. Les minerais européens s’épuisent, et il est désormais plus rentable de construire les hauts-fourneaux et les aciéries en bord de mer où abordent les gigantesques minéraliers venus d’Afrique, d’Amérique ou d’Australie. La sidérurgie liégeoise se modernise un peu au hasard. Ainsi Chertal comprend une aciérie et des laminoirs, mais pas de hauts-fourneaux, ce qui impose de transporter la fonte liquide par wagons-torpilles depuis Ougrée et Seraing, avant que les bobines de tôles ne fassent le chemin inverse. Pour résister, les sociétés fusionnent dans des ensembles hétéroclites et peu efficaces, Cockerill-Ougrée-Providence-Espérance-Longdoz qui fusionnera ensuite avec les usines de Charleroi pour donner Cockerill-Sambre. La guerre du Kippour, en 1973, ouvre une crise de dix ans. En 1983, le consultant français Jean Gandois propose une réorganisation radicale : produire seulement ce qui se vend c’est-à-dire des produits à haute valeur ajoutée. Cockerill est une usine intégrée, du haut-fourneau à la tôle revêtue. Abandonnée par les actionnaires privés et par le pouvoir fédéral, Cockerill-Sambre est désormais une industrie publique aux mains de la Région Wallonne. Elle renoue avec la prospérité et la paix sociale, tandis qu’elle entame, en collaboration avec l’Université, des programmes de recherche ambitieux, notamment sur les produits revêtus. Dans le contexte général de privatisation, la Région Wallonne vend Cockerill-Sambre au Français USINOR le 9 février 1999. On connaît la suite : la création d’ARCELOR, la première fermeture des hauts-fourneaux, l’OPA de Mittal et la création d’Arcelor Mittal, l’éphémère rallumage des hauts-fourneaux, la fermeture définitive, les incertitudes sur l’avenir. Il en va de la sidérurgie liégeoise comme d’autres fleurons de l’industrie wallonne jetés sur le marché international. La destinée de l’entreprise échappe aux pouvoirs publics et aux partenaires sociaux. Il faut espérer que la sidérurgie à froid, c’est à dire les traitements spéciaux des tôles, où la part de recherche et de savoir-faire prédomine, puisse échapper à l’inéluctable déclin des sidérurgies continentales.

Robert Halleux
Octobre 2012

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Robert Halleux est Président du Centre d'Histoire des Sciences et Techniques de l'ULg, Membre de l’Académie Royale de Belgique, Membre de l’Institut de France.

 

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