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L'histoire méconnue de l'industrie belge du zinc

02 octobre 2012
L'histoire méconnue de l'industrie belge du zinc

Le développement de l'industrie belge du zinc constitue un chapitre original et relativement méconnu de l’histoire industrielle de nos régions. Âgée d'à peine plus de deux cents ans, cette industrie peut être considérée comme un enfant de la Révolution industrielle belge. Avant la seconde moitié du 18e s., la production du zinc métallique se heurte à un obstacle technique : l'extrême volatilité de ce métal au contact de l’air au cours de la fusion. Le four liégeois, mis au point à l'aube du 19e s. par le chimiste J.-J. Dony (1759-1819), contourne cet obstacle et donne à l'industrie belge du zinc son impulsion. Celui-ci s'appuiera naturellement sur les abondantes richesses du sous-sol wallon. Outre le charbon, nécessaire à la combustion, et l'argile de la région d'Andenne, très précieuse pour la fabrication des éléments réfractaires, l'abondance des minerais de zinc fut naturellement déterminante.

Les indispensables richesses minérales

Le minerai de zinc est présent dans le sous-sol wallon sous deux formes principales : la blende (sulfure de zinc) et la calamine (carbonate de zinc). Si l'exploitation de la première débute dans les années 1840, l'extraction de la calamine est très ancienne dans nos régions. Certains spécialistes la font remonter aux Romains. Elle ne produit qu’un zinc impur qui constitue une matière première, alliée au cuivre, pour la fabrication du laiton. À partir du 10e s., l’art du laiton se développe dans la région mosane, à Huy et à Dinant principalement. L’exploitation de ces ressources se concentre dans le Duché de Limbourg où se trouve l'important gisement de l’Altenberg ("Vieille-Montagne" à Moresnet), mais également dans la vallée de la Meuse. Localisée sur les affleurements de minerais, elle se poursuit jusqu'au 18e s. En 1805, Dony, bénéficiant des nouvelles législations minières françaises, obtient la concession de la Vieille-Montagne (décret impérial du 21 mars 1805). L'exploitation industrielle de ce riche gisement peut commencer. Elle préfigure la redécouverte et l'exploitation, après 1830, d'une série d'autres gisements répartis principalement dans le triangle Eupen-Verviers-Aachen et sur la rive gauche de la Meuse, entre Namur et Liège.

L'impulsion décisive de la technologie

Condenseur en terre cuite, creuset en terre crue, conservé dans son chariot,
et présenté dans la salle des métaux non ferreux à côté d'une cuillère de chargement © MMIL

perspective condenseur-cuiller-creusetLe four liégeois est l'un des quatre procédés de distillation réductive du zinc par métallurgie thermique mis au point en Europe au tournant des 18e et 19e s. Les méthodes anglaises et carinthiennes (Autriche) sont rapidement abandonnées à cause de leur faible rentabilité. Après 1800, deux autres procédés plus performants s'imposent et ouvrent la voie à une production industrielle. Premièrement, Ruberg et Freytag en Silésie (Pologne) proposent un modèle de four dans lequel de très vastes creusets appelés moufles disposés horizontalement sont le lieu de la réduction. Deuxièmement, au terme de nombreuses années d’expériences – stimulées par un groupe de savants liégeois menés par F. Villette et H. Delloye –, Dony met au point son four. Cette invention repose sur un alliage de savoir-faire propre à la métallurgie liégeoise et de connaissances scientifiques. Son originalité principale réside dans le placement au bout des creusets tubulaires presque horizontaux de condenseurs où s’opère la distillation réductive à l'abri de l'air. Cette méthode liégeoise est particulièrement adaptée aux propriétés de la houille maigre liégeoise. Elle sera appliquée, en Belgique et dans le monde, pendant près de cent cinquante ans.

Le nouveau four fait l'objet d'un brevet pris par Dony à Paris en 1810. Cette protection juridique lui confère pour 15 ans le monopole de la production du zinc métal, mais aussi celui de l’extraction de la calamine. Depuis Moresnet, celle-ci est acheminée par routes et voies d’eau vers la fonderie que Dony installe, en 1809, au coeur du Faubourg Saint-Léonard à Liège. Mais ce nouveau métal produit dans les fours liégeois doit trouver un marché de débouchés susceptible de financer les investissements. Les premiers efforts se portent sur les couvertures de toits en zinc laminé. En 1811, Dony recouvre de zinc la collégiale Saint-Barthélemy. Toutefois, accablé par ses emprunts et les redevances qu’il doit verser à l’État français, il se dirige vers la faillite et l’échec commercial. Des investisseurs ne tardent pas à se manifester. Le négociant parisien d’origine bruxelloise François-Dominique Mosselman (1754-1840) rachète en deux temps la société de Dony. Au même moment, dans le contexte du Congrès de Vienne – chargé de redessiner la carte de l’Europe au terme des guerres de l’Empire – le gisement de la Vieille-Montagne est l’objet de rivalités nationales que le traité des Limites signé entre les royaumes de Prusse et des Pays-Bas en 1816 apaise en divisant l'ancienne mairie de Moresnet en trois parties dont l'une est déclarée neutre. Dony meurt en 1819, au moment même où Mosselman entrevoit la rentabilisation de son procédé industriel. Il est alors à la tête d’une entreprise qui emploie près de 300 ouvriers, produit deux tonnes de zinc par an et engrange de premiers bénéfices. Celle-ci donnera naissance à un géant industriel, la s.a. des Mines et Fonderies de zinc de la Vieille-Montagne.

Maugendre, Saint-Léo - 1855bLa fonderie de Saint-Léonard à Liège © Collections du CHST - album Maugendre, 1855

L'essor de l'industrie belge du zinc

En 1825, le brevet Dony dont Mosselman était devenu titulaire tombe dans le domaine public. Une série de sociétés anonymes se constituent et obtiennent l’octroi de concessions pour l'exploitation de gîtes plombo-zincifères. Au milieu du siècle, une vingtaine d'usines à zinc sont implantées et forment le pôle liégeois du zinc.

Le secteur est largement dominé par la Vieille-Montagne qui possède la plus grande concession en étendue et en richesse. Fondée en 1837 avec le soutien de la Banque de Belgique par les héritiers Mosselman et dotée d’un siège liégeois et d’un autre parisien, elle est considérée comme la première multinationale d’Europe. Il s’agit d’une entreprise intégrée dominant l’ensemble du processus de production. En matière de production de zinc brut et laminé, elle se profile dès l’origine comme le leader européen, donc mondial. La production y est alors réalisée dans les sites belges de Saint- Léonard, Angleur, Moresnet et Tilff mais aussi, dès l’origine, dans des sites français et anglais. Au milieu du siècle, elle poursuivra son expansion, sous la conduite de Louis-Alexandre Saint-Paul de Sinçay (1815-1890) – ingénieur d'origine parisienne, diplômé de l'ULg –, en absorbant des sociétés belges puis étrangères. Au cœur de l'entreprise, de Sinçay met en œuvre une politique paternaliste jugée précoce et exemplaire. Son fils Gaston lui succédera jusque 1938.

Maugendre VM 1855bLe gîte de la Vieille Montagne à Moresnet © Collections du CHST - album Maugendre, 1855

En Belgique, ce géant industriel rencontre toutefois une certaine concurrence. La s.a. de la Nouvelle-Montagne (1829) possède des concessions à Stembert (Verviers), Prayon et Engis et se spécialisera dans la chimie du zinc. La s.a. de Corphalie près de Huy (1831), second producteur belge, deviendra en 1862 la s.a. métallurgique Austro-Belge. La s.a. de Laminne, du nom de son fondateur installe deux usines à Ampsin et Antheit au début des années 1840. Enfin, la s.a. Compagnie des Mines et Fonderies du Bleyberg (1846) exploite un important gisement dans la vallée de la Gueule. L'implantation de l'ensemble des fonderies de zinc, à partir des années 1830, s'avérera conflictuel. C'est que le four liégeois, très gourmand en charbon, est particulièrement insalubre, répandant à l'intérieur et à l'extérieur des halles d'épaisses vapeurs et fumées chargées de poussières. Contenant, entre autres, du soufre et du plomb, elles anéantissent la flore donnant à l'environnement des usines un aspect particulièrement lugubre. Face à l'importance de ce problème de pollution, l'industrie se contente d'abord de distribuer des compensations aux voisins ou d'acquérir leurs terrains. Dans un second temps, elle est forcée par les autorités à investir dans le développement de procédés susceptibles de diminuer les nuisances. Si l'investissement dans la technologie ne fut pas négligeable, les industriels du zinc refuseront longtemps, au nom de la rentabilité, d'adapter le four liégeois à ce défi.

Ce dernier connaît pourtant une série d'améliorations qui témoignent du dynamisme technologique de l'industrie. Le besoin d’un rendement accru, la nécessité de l’économie d’énergie, la comparaison avec le procédé silésien ou avec les techniques utilisées en sidérurgie stimulent tour à tour les recherches menées au cœur des usines. Les brevets, que les sociétés déposent abondamment, témoignent de cette volonté d’améliorer le procédé Dony. La production se diversifie également une première fois. À la fin des années 1840, la Vieille-Montagne, qui s’adjoint l’expertise et les brevets de l’inventeur français Leclaire, parvient à produire industriellement un blanc de zinc de grande qualité voué essentiellement au secteur de la peinture. C’est le début de l’application à grande échelle du procédé de fabrication de blanc de zinc par combustion, étape importante de l’histoire de la chimie naissante du zinc. L’usine de Valentin-Cocq (Hollogne-aux-Pierres) en devient la capitale mondiale. Sur le marché international, la lutte contre la concurrence allemande marque la seconde moitié du 19e s. Dans ce contexte, la croissance de la production belge est remarquable jusqu’à la fin du siècle.

Pôle liégeois zinc vers 1860b
Carte du pôle liégeois du zinc vers 1860 réalisé par Arnaud Péters

L'affirmation du secteur belge des métaux non-ferreux

Dans le dernier quart du 19e s., le centre de gravité de l’industrie du zinc se déplace progressivement du berceau historique liégeois vers le Nord de la Belgique. La création de nouvelles usines en Campine s'inscrit dans une double logique. Premièrement, les ressources naturelles belges s’épuisent, à l’image de la mine historique de la Vieille-Montagne dans les années 1880. Les sociétés belges s'approvisionnent de plus en plus dans leurs mines étrangères ou, pour celles qui en sont dépourvues, auprès de producteurs étrangers. L'acheminement de ces minerais empruntant la voie maritime, les nouvelles usines s'implantent à proximité du port d'Anvers. Deuxièmement, la Campine, région rurale, peu peuplée et peu fertile, présente beaucoup d'attrait pour une industrie qui n'a pas résolu les problèmes de pollution générée par sa technologie. Parallèlement, elle se diversifie alors considérablement. L’utilisation de filtres de récupération, l’amélioration du rendement métallique des fours et les progrès technologiques rendent possible la commercialisation de sous-produits comme le cadmium, le mercure et le nickel, présents dans les minerais de zinc et jusqu’alors négligés. L’acide sulfurique, récupéré dans la phase de grillage du minerai, est également l’objet d’une production qui prend de l'importance. La diversification contribue à l'avènement d’un véritable secteur belge des métaux non ferreux au poids économique significatif et à l’expertise technologique reconnue.

Folder (années 1930) illustrant l'expansion internationale du groupe Vieille Montagne

Folder VM - années 1930bAu niveau international, la fin du 19e s. voit l'apparition d'un nouvel acteur, les États-Unis. Avant le premier conflit mondial, les Américains ravissent la place de premier producteur mondial occupée par l'Allemagne dès son unification en 1871. La Belgique demeure le principal exportateur mondial de zinc. Après la Première Guerre mondiale, la lenteur de la relance en Europe permet aux industriels américains de prendre une avance technologique symbolisée par l’adoption de l’électrolyse qui y détrône le procédé liégeois. L’électrométallurgie possède l’avantage de ne plus produire les fumées tant décriées depuis l'aube du 19e s. Elle génère néanmoins d'importants volumes d'acides. La Vieille-Montagne mettra en marche, dès 1922, la première usine de zinc électrolytique sur un de ses sites français (Viviez, dans l’Aveyron). Mais, en Belgique, l’abandon du procédé thermique sera bien postérieur. Le procédé liégeois reste en effet utilisé dans les anciennes fonderies liégeoises jusqu’aux années 1960.

Le 20e s. est marqué par la mise en place de plusieurs cartels visant à stabiliser les prix et à contrôler la production. Au niveau belge, un important processus d'intégration industrielle se concrétise dans les années 1980 par une vague de fusions. Le groupe Union Minière, constitué en 1989, rassemble l'ensemble des acteurs du secteur belge des non-ferreux, dont les principaux sont la Vieille-Montagne, Metallurgie-Hoboken-Overpelt et, bien sûr, l'ancienne Union Minière du Haut Katanga.

La postérité de l'industrie belge du zinc

Umicore – nouvelle dénomination du groupe Union Minière au début des années 2000 – demeure aujourd'hui un acteur important dans le domaine de la production de zinc. Depuis 2007, l'entreprise s'est alliée avec le producteur australien Zenifex pour créer Nyrstar, leader mondial de la production du zinc et du plomb. En Belgique, le groupe maintient six sites de production. De l'ancien pôle liégeois, seule subsiste l'usine d'Angleur, construite par la Vieille-Montagne en 1837, où l'on produit de l'oxyde et des poussières de zinc. L'ancienne usine à zinc de la Nouvelle-Montagne, appartenant désormais au groupe Prayon, s'est, elle, reconvertie durant le 20e s. dans la chimie des engrais. Pour le reste, quelques témoins appartenant au patrimoine industriel subsistent en Province de Liège. Quant aux pelouses calaminaires, témoins des effets polluants de la métallurgie thermique du zinc sur la végétation et les sols, elles sont devenues aujourd’hui, clin d’œil de l’histoire, des espaces protégés au nom de leur flore et de leur faune exceptionnelles.

Arnaud Péters
Octobre 2012

crayongris2Arnaud Péters est chercheur au Centre d'Histoire des Sciences et des Techniques, au Département des sites industriels. Sa thèse de doctorat concerne l’histoire du système belge des brevets au 19e siècle et l'innovation dans l'industrie belge du zinc.

 

 

 


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