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En quête de signatures de vie…

30 août 2012
En quête de signatures de vie…

Y a-t-il de la vie ailleurs ? Cette question a toujours intrigué voire passionné l’Homme, des anciens philosophes grecs aux amateurs de science-fiction d’aujourd’hui. Elle est maintenant au cœur d'une discipline scientifique nouvelle et pluridisciplinaire : l'astrobiologie. Celle-ci étudie l'origine, l'évolution et la distribution de la vie dans l'Univers.

Plusieurs questions fondamentales sont au cœur de la recherche en astrobiologie. Quels sont les conditions et les processus qui ont permis l'émergence et l’évolution de la vie sur Terre ? Y a-t-il d’autres lieux habitables dans l’Univers ? Y a-t-il de la vie ailleurs et comment la détecter ? Comment la matière organique (molécules riches en carbone) évolue-t-elle vers la vie ? Comment la vie, sous toutes les formes qu'elle pourrait adopter, est-elle distribuée dans l'Univers ? Quel est son futur sur la Terre et ailleurs ?

L'astrobiologie (ou Exobiologie en France, Astrobiology en anglais, Bioastronomy chez les astronomes) mêle des données en provenance de nombreuses disciplines : astronomie, astrophysique, biologie moléculaire, biochimie, chimie prébiotique, écologie, microbiologie, physiologie, sciences planétaires, géologie, géophysique, paléontologie, technologies de l'exploration spatiale, et même la philosophie et le droit. En Belgique, un large groupe de scientifiques soutenu par le FNRS développe la recherche en astrobiologie et participe aux cours organisés à l’ULg. Tout récemment, de nouveaux projets liés à l’astrobiologie ont vu le jour au niveau fédéral (PAI PLANET TOPERS et au sein du LiSRI liégeois (LiSRI: Liège Space Research Institute). Ce domaine est donc en pleine expansion dans notre pays !

« Être astrobiologiste » ne signifie pas grand-chose, étant donné l’ampleur des connaissances de toutes les disciplines impliquées. Les scientifiques intéressés par l’astrobiologie sont spécialistes d’un domaine et mènent des recherches liées à l’astrobiologie. Par exemple, un géologue ou un biologiste va orienter ses recherches en « biogéologie » (geobiology en anglais), c’est-à-dire l’étude des interactions entre les processus biologiques et physiques de la Terre, tout au long de l’histoire de la planète, depuis l’origine de la vie jusqu’aux extrêmophiles actuels. En collaboration avec des astrophysiciens et géophysiciens, le biogéologiste va tenter d’appliquer ces principes à l’étude des planètes et lunes au delà de la Terre. Certains pensent que la vie est abondante dans l’Univers, mais que la vie intelligente est rare. D’autres suggèrent que la vie est rare, mais que si elle existe, l’intelligence est plus ou moins inévitable. D’autres encore que la vie terrestre est unique. Clairement, la seule façon de répondre à cette question de façon scientifique, sans spéculations (ni teinte créationniste !), avec des observations, est l’exploration, in situ ou à distance, de notre système solaire et des autres systèmes planétaires.


fig1curiosityLe 6 Août 2012, Curiosity, une énorme rover de la NASA, atterrit dans un lac de cratère martien. Équipée d’instruments semblables à ceux que les géologues et chimistes utilisent sur la Terre, Curiosity va tenter de déterminer si Mars était habitable au début de son histoire, et peut-être même habitée !

Figure 1: La rover de la NASA Curiosity dans cratère Gale © NASA/JPL-Caltech/ESA/DLR/FU Berlin/MSSS

Habitable... habitée... la différence est énorme ! Une planète habitable réunit les conditions permettant l’émergence et l’évolution de la vie, sans nécessairement abriter la vie. Déterminer quelles sont ces conditions fait l’objet de recherche par de nombreux scientifiques partout dans le monde, et en Belgique, le sujet d’un nouveau projet fédéral belge dont fait partie l’ULg (PAI PLANET TOPERS).

En quoi notre planète bleue, seule planète habitée connue, est-elle si spéciale ? La présence d’eau liquide, d’éléments chimiques (carbone, hydrogène, oxygène, azote, phosphore, soufre…), et de sources d’énergie (lumière, minéraux, ..) sont généralement les conditions invoquées pour expliquer la présence de vie sur notre planète.


fig2 planet topersMais est-ce suffisant ? La Terre a une activité géologique intense, responsable du mouvement des plaques qui forment sa surface, portant les continents et océans (la « tectonique des plaques »). Cette activité mène à la formation de volcans, de montagnes, de sources hydrothermales, de tremblements de terre, et permet le recyclage de « nutriments » (comme le fer, le magnésium, le molybdène, le cuivre, le nickel,..) indispensables à la vie. La Terre possède aussi une atmosphère avec suffisamment de pression pour permettre la présence d’eau liquide à la surface, à une distance appropriée du Soleil pour ne pas geler ou être vaporisée ; un champ magnétique protégeant cette atmosphère de l’érosion par les particules solaires ; un noyau en partie liquide siège de mouvements responsables de cette protection magnétique ; une masse suffisante pour que ce noyau n’ait pas encore trop refroidi pour devenir solide et avec une attraction gravitaire pour maintenir son atmosphère. La présence de la lune stabilise la position inclinée de la Terre, et de ce fait l’existence de saisons et d’un climat relativement stable à l’échelle de milliards d’années, ..

 

Figure 2: Explorer la notion d’habitabilité, @projet PLANET TOPERS,

 


Beaucoup de ces caractéristiques sont peut-être indispensables pour que la vie telle que nous la connaissons, basée sur la chimie du carbone dans l’eau liquide, apparaisse et se maintienne sur une planète. La vie semble être apparue très rapidement sur la Terre, bien qu’on ne comprenne pas encore bien comment, et s'est adaptée aux milieux les plus hostiles. Le matériel pré-biologique (atomes, molécules organiques) abonde dans l'Univers et peut être fourni à une planète via des météorites, comètes ou poussières interstellaires, ou se former dans l’atmosphère et la « soupe » primitive terrestre ou dans des sources hydrothermales. On peut donc raisonnablement se poser la question de l’existence de vie extraterrestre, là où les conditions nécessaires sont réunies. Définir quelles sont ces conditions d’ « habitabilité » constitue une des thématiques de recherche de l’astrobiologie, comme décrit plus haut.

Est-ce que E.T., s’il existe, est composé principalement de carbone et d’eau ? Beaucoup le pensent, puisque ce type de chimie organique (de C et H) est banal dans l’Univers. On trouve des molécules riches en C dans les nuages interstellaires, dans les météorites, comètes,… certaines sont mêmes des acides aminés, beaucoup plus diversifiés que les 20 que la vie terrestre utilise !

Est-ce que E.T., s’il existe, pourrait communiquer avec nous ?

Les premières formes de vie terrestre, microscopiques et unicellulaires, ont au moins 3,5 milliards d’années. La vie terrestre intelligente et technologiquement avancée n’a que 200 ans environ et est apparue par une suite d’événements dus au hasard. Il n’est pas évident et même peu probable que, si la vie extraterrestre existe, elle évolue de la même façon ailleurs. La probabilité de rencontrer un E.T. microbien est donc beaucoup plus grande qu’un E.T. voyageant dans un vaisseau spatial !

Pour savoir s’il y a vraiment de la vie ailleurs, il faut définir des critères pour pouvoir la détecter, la reconnaître, des « biosignatures » ou traces de vie (processus ou observations explicables uniquement par la biologie). Les biosignatures comprennent par exemple des fossiles, des signatures chimiques particulières (comme un fractionnement isotopique du carbone ou du soufre), des molécules organiques complexes, des structures rocheuses d’origine microbienne (comme les stromatolites), mais aussi des gaz dans l’atmosphère des exoplanètes.

fig3
Figure 3 : Exemples de biosignatures : Stromatolites actuels, baie des requins, Australie (à gauche)
et cellules microscopiques fossiles de 3.2 milliards d’années, Afrique du Sud (à droite) (@Javaux)

Sur la Terre, les géologues utilisent ces marqueurs pour reconstruire l’histoire de la vie préservée dans les roches très anciennes. Les roches sont des archives de l’histoire de la Terre et de la vie. Elles préservent des indices permettant de déchiffrer les anciens environnements dans lesquels les diverses formes de vie sont apparues et ont évolué, et ont modifié l’évolution de notre planète. Les biologistes examinent la diversité de la vie actuelle, la classent en grands groupes et essaient de comprendre l’ordre d’embranchement de ces groupes au cours de leur évolution depuis LUCA, le dernier ancêtre commun à toute forme de vie actuelle. (Il apparaît que LUCA était déjà un être cellulaire complexe, avec de l’ADN, et non pas la première forme de vie apparue sur la Terre). Les géologues peuvent dater ces branches de l’arbre de la vie grâce aux biosignatures. Le passage de molécules à la vie et l’évolution de premiers codes génétiques avant l’ADN sont étudiés par des chimistes et biologistes. Ensemble, biologistes, géologues, et chimistes reconstruisent ainsi les grandes étapes de l’évolution biologique et essaient d’en comprendre les conditions et les causes.

fig4

Figure 4 l’arbre de la vie (@javaux) (La vie est divisée en trois domaines qui ont un ancêtre commun, LUCA).

Comment utiliser notre expérience de la vie sur la Terre, la seule planète biologique connue à ce jour, pour déterminer si une planète ou une lune est habitable, et pour y rechercher de la vie, sur Mars par exemple ? Mars a un paysage sculpté par les cratères de météorites et le vent, mais aussi par d’anciennes rivières et lacs. Les missions martiennes récentes de l’ESA et de la NASA (orbiteurs, rovers) ont permis de mieux comprendre l’histoire géologique de Mars, mettant en évidence des périodes de temps durant lesquelles la planète, maintenant rouge et baignée de radiations intenses, a pu être « habitable ».

fig5Curiosity a pour mission de déterminer si Mars a été habitable et si elle peut préserver des traces de vie fossile, mais aussi d’étudier les conditions environnementales actuelles en vue de futures missions humaines. Curiosity travaille donc comme un robot géologue, cherchant d’abord des indices dans les roches du cratère Gale pour déterminer si ces roches sont bien d’anciens sédiments déposés dans de l’eau, dans des conditions possibles pour l’apparition de la vie, et si elles préservent des molécules organiques et signaux chimiques d’origine non-biologique (météoritique) et biologique.

Figure 5: couches de roches sédimentaires étudiées par Curiosity dans le cratère Gale, Mars, le 27/08/2012
© NASA/JPL-Caltech/MSSS

La prochaine rover de l’ESA, Exomars, sera équipée d’un drill permettant d’étudier des échantillons sous la surface et donc mieux protégés des radiations destructrices. D’ici quelques décennies, des échantillons martiens seront ramenés sur Terre, puis l’Homme marchera peut-être sur Mars pour y chercher des traces de vie, aidé de robots. D’autres missions examineront Titan, une lune de Saturne à l’atmosphère épaisse de méthane, et Europe, une lune glacée de Jupiter qui cache un océan.

Déterminer l’habitabilité des exoplanètes est autrement plus difficile, car on ne peut que les observer de loin et bientôt sonder leur atmosphère à la recherche d’éventuelles biosignatures. C’est un des sujets de recherche passionnants du LiSRI, le nouvel Institut de Recherche Spatiale de Liège, qui combine l’expertise d’astrophysiciens, géophysiciens, géologues, biologistes, et ingénieurs pour étudier et explorer l’univers.

Le présent et le futur proche sont donc riches de recherches exaltantes et d'explorations, dans le temps et dans l'espace, qu'il y ait de la vie ailleurs ou pas ! Voilà de magnifiques défis pour la science et l'occasion de nouvelles passions et vocations pour les jeunes et moins jeunes !

 

Emmanuelle Javaux
Août 2012

crayongris2Emmanuelle Javaux enseigne la micropaléontologie, la géologie et l'astrobiologie à l'ULg. Ses recherches portent sur l'évolution de la vie sur la Terre primitive, et l'habitabilité et les biosignatures des systèmes planétaires.

 

Voir aussi son Parcours Chercheur sur Reflexions



 

Voir aussi, nortamment :
Javaux EJ (2008) Évolution de la biosphère au Précambrien et implications pour l’astrobiologie. Bulletin de l'Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique. Sciences.Tome XVIII (1-6) 39 p.

Gargaud, M., Amils, R., Cernichicaro, Cleaves, J., Pinti, D., Viso, M., Albarede, F., Arndt, N., Javaux, E., Prantzos, Stahler, Raymond, Rouan, Ehrenfreund, Charnley, Spohn, Encrenaz, Latham, Kaltenegger, Kobayashi, Horneck, Bersini, Gomez, & Tirard (Eds.). (2011). ENCYCLOPEDIA OF ASTROBIOLOGY. Springer.1600 p

Botta O., Javaux EJ, Summons R, Rosing M, Bada J, Gomez Elvira J, and Selsis F. (editors) (2008) "Strategies for life detection” ISSI Space Science serie. Springer-Verlag.  380 p.

 



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