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Trois romans, trois visions de l’espace. Allers-retours entre science et littérature.

30 August 2012
Trois romans, trois visions de l’espace. Allers-retours entre science et littérature.

L’idée était simple : que peuvent dire de complémentaire une astrophysicienne et un chercheur en littérature sur quelques romans de science-fiction spatiale ? La mise en place du projet a été joyeuse mais plus compliquée. Il fallait tout d’abord arrêter un corpus – il y avait en effet trop d'oeuvres appréciées par les deux chercheurs enthousiastes. Après examen de différentes approches possibles – autant d'inspirations pour d'autres futurs travaux communs... –, c'est le thème des échanges réciproques entre science et littérature qui a été retenu pour ce texte : comment la littérature inspire la science, et comment la science fertilise l’imaginaire littéraire.


De la Terre à la Lune, de Jules Verne

terreluneY a-t-il un livre de science-fiction qui a eu plus d’impact sur la vie réelle ? Probablement pas. De la Terre à la Lune et sa suite Autour de la Lune ont fait rêver des milliers d’enfants. Parmi ceux-ci, quasi tous les grands pionniers de l’exploration spatiale : Constantin Tsiolkovsky, Robert Goddard, Valentin Glouchko, Hermann Oberth, Wernher von Braun ! Ce dernier sera d’ailleurs celui qui réalisera l’utopie de Verne, en envoyant les missions Apollo sur la Lune.

Évidemment, la réalité ne fut pas exactement une copie de la fiction. Inspiré par les canons de la guerre de Sécession, Verne imagine un canon pacifique lançant un obus habité vers notre satellite naturel. Belle idée, mais hélas irréalisable : La vitesse trop faible ne permettrait pas d’atteindre les hauteurs spatiales, l'accélération trop forte écraserait les passagers... Bref, les problèmes du roman de Verne sont nombreux. Goddard, Oberth et von Braun remplaceront le canon par une fusée «classique», avec un moteur utilisant divers liquides.

Hochdruckpumpe V-3Toutefois, l’idée de Verne fit long feu. Goddard utilisa une sorte de catapulte lors d’un essai en 1937 et von Braun conçut le «V3», installé à Mimoyecques dans le Pas-de-Calais pour bombarder les Anglais (photo ci-contre). Plus récemment, plusieurs projets ont vu le jour, comme le super-canon de Gérard Bull, intéressant un certain Saddam Hussein, ou le bien nommé «Jules Verne Launcher». Dans tous les cas, on oublie la partie «habitée», les mammifères étant assez fragiles, mais on lance bel et bien un satellite vers l’espace. Bien sûr, on peut prolonger l’idée en question : certains n’hésitent pas à envisager un tel canon... sur la Lune !

Mais Verne était-il le seul de son époque à rêver l’avenir à partir d’intuitions inspirées de la science ? Évidemment non. Dans la lignée du saint-simonisme, Verne croit en la science comme en un moyen d’améliorer la société. Cette idéologie positive de la science connaît aussi ses détracteurs. Robida, contemporain de Verne, met en garde contre les dérives potentielles, dans de belles œuvres dystopiques moins connues que celles de l’auteur d’Autour de la Lune. Robida se fait notamment chroniqueur de Paris au 20e siècle et présente différentes inventions technologiques étonnantes, comme le « téléphonoscope », sorte de télévision avant l'heure. On peut donc affirmer qu’il s’inscrit dans la voie anticipative au même titre que certaines des plus fameuses œuvres de Verne. Pourtant, le voyage dans l’espace semble rester du domaine de l’imaginaire pur pour Robida. Il sera, semble-t-il, seulement évoqué dans la parodie des Voyages extraordinaires qu’il livrera en 1879, avec son premier roman, intitulé Les Voyages très extraordinaires de Saturnin Farandoul dans les cinq parties du monde et dans tous les pays connus et même inconnus de M. Jules Verne. À un moment de ces aventures rocambolesques avant l’heure, Saturnin se fait emporter du haut d’un minaret par une comète qui l’emmène sur Saturne. Son retour en Asie fera de ce vol spatial une simple anecdote au sein de la parodie, historiette à ce point farfelue qu’elle pointe l’incrédulité d’un Robida par rapport aux prétentions lunaires de Verne. Ce petit exemple entend signaler en un mot combien la vision de Verne concernant l’espace, prenant sa conquête au sérieux, restait marginale à l’époque, même dans les milieux les plus ouverts aux « conjectures scientifiques rationnelles »… On comprend comment Verne a pu fasciner des générations de scientifiques.

Rama, cycle de  Arthur C. Clarke

ramaRama est un cycle de science-fiction de quatre tomes (Rendez-vous avec Rama, 1973 ; Rama II, 1989 ; Les Jardins de Rama, 1991 ; Rama révélé, 1993) dû à Arthur C. Clarke, auteur et inventeur britannique. Ce cycle, en particulier le premier volume, constitue une référence en « hard science fiction ». Il narre l’entrée dans le système solaire d’un vaisseau non identifié, qui va s’avérer habité, en soulevant des questions politiques, sociologiques et religieuses. Mais il va surtout s’assurer un degré de réalisme important à partir de différents « effets de réel », notamment deux excellentes intuitions scientifiques : la surveillance du ciel et la gravité artificielle par rotation. Ces « effets de réel » vont plus loin que la fonction d’inscription du texte dans notre réalité que leur reconnaît classiquement Barthes ; en effet, comme il s’agit d’un roman d’anticipation, ces effets de réel renvoient à une réalité à venir. Au moment de l’écriture du roman, ils n’ont pas d’existence autre qu’au sein de l’univers fictionnel du roman, pour lui donner une cohérence rationnelle (le penchant « hard science ») à partir de la réalité que nous connaissons. Ce qui est fascinant, c’est que l’un s’est concrétisé et que l’autre pose encore différents problèmes de réalisation, mais constitue toujours un problème rationnel, « réaliste », pour les chercheurs d’aujourd’hui.

Surveiller le ciel

Scrute-t-on le ciel aujourd’hui ? La question peut paraître bizarre, sachant que des milliers d’astronomes, professionnels et amateurs, l’observent chaque nuit. Pourtant, il ne s’agit pas ici de regarder une petite zone bien choisie, connue à l’avance. Non, il est ici question de « scruter », bref, de regarder si le ciel ne va pas nous tomber sur la tête.

Rama commence ainsi : par hasard, on trouve un objet dans le ciel, un objet qui se rapproche de la Terre, à la frôler même. Si cela arrivait, le repèrerions-nous ? À l’heure actuelle, la réponse est oui. Il y a notamment le projet Spacewatch, lancé en 1980 mais aussi la Spaceguard Foundation – fondée en 1996, elle tire son nom du roman de Clarke ! – qui chapeaute divers programmes vérifiant le ciel chaque nuit.

Ils cherchent principalement des géocroiseurs – ces comètes ou astéroïdes qui croisent l’orbite de la Terre quitte, un jour, peut-être, à entrer en collision avec notre planète. On les répertorie, on évalue le risque de collision. Et après ? Eh, bien, le jour où on en trouvera un dangereux, il faudra voir ce que l’on fait : l’observer, le pulvériser, le détourner, ou... le laisser faire en préparant des abris. Le jour où l’on en trouve un artificiel, non construit par l’homme, les étapes seront un rien similaires...


La gravité artificielle

2001 Space Odyssey (13)Le vaisseau inconnu de Rendez-vous avec Rama est un gigantesque cylindre et l’on y vit sur les parois intérieures : cela est possible parce que le cylindre est en rotation. Cette idée de reproduire une gravité en utilisant la rotation (et sa fameuse force « centrifuge » fictive) date de 1883 et des idées pionnières de Tsiolkovsky : vous pouvez vous convaincre que ça « marche » en remplissant un seau avec un peu d’eau et en le faisant tourner rapidement au bout d’une ficelle – l’eau ne tombe pas, elle reste « collée » au fond du seau, pourtant pas vertical ! C’est le même principe pour l’essorage de salade ou de vêtements...

Les « disciples » de Tsiolkovsky, les célèbres Korolev et von Braun, respectivement pères des programmes spatiaux russes et américains durant la guerre froide, reprirent la chose. Von Braun, en particulier, la médiatisa, avec de superbes dessins parus dès 1952 montrant une station spatiale torique. Son aspect paraît familier, et c’est normal : c’est une sœur de la célèbre station de 2001. L’odyssée de l’espace (photo ci-contre). Mise sous forme cylindrique, la voici reprise dans Rama par le même auteur.

Depuis cinquante ans, jamais cette idée n’a été mise en pratique pour les astronautes : la station spatiale internationale ressemble à un gigantesque mécano très laid, pas à une roue élégante. Pourtant, les agences spatiales y pensent, car l’absence de gravité cause pas mal de difficultés : problèmes cardiovasculaires, perte de masse osseuse, muscles qui fondent, etc. Tant que les voyages sont courts (ils ne dépassent pas un an), on peut encore s’en accommoder, mais un voyage vers Mars, par exemple, prendra 30 mois ! Et l’on ne parle même pas de balades intersidérales...

Il y eut donc quelques essais de « centrifugeuses » sur des poissons et tortues en 1975, puis sur des rats en 1977, grâce aux sondes russes Bion. Par la suite, quelques essais supplémentaires furent tentés sur Skylab, la navette américaine, la station Mir... On envisagea même un satellite, hélas jamais construit. Côté humain, si l’on a bien effectué quelques expériences au sol depuis 1958, il n’y eut qu’un seul essai « spatial », lors de la mission Gemini 11. On arrima la sonde à une fusée Arena par un filin, on mit l’ensemble en rotation. Le tout très doucement : la « gravité » produite n’atteignait pas un millième de la gravité que nous subissons en permanence sur Terre. Du coup, les astronautes ne sentirent rien de particulier, mais les objets flottant, eux, étaient bien attirés par le faux « sol ».

Contact, de Carl Sagan

contactCarl Sagan est un célèbre astronome américain, connu du grand public notamment pour ses œuvres de vulgarisation (Cosmos, 1980, adapté en série documentaire télévisée). Il a publié en 1985 un roman de science-fiction spatiale, Contact, adapté au cinéma par Robert Zemeckis en 1997, avec Jodie Foster.

Le roman raconte la découverte, par une jeune radioastronome, d’un message extra-terrestre venant d’une civilisation plus avancée. Ce point de départ permet à Sagan de dresser un portrait de différents personnages, incarnant plusieurs types de réaction par rapport à la découverte, et de leurs interactions (conflit entre scientifiques, entre science et religion, etc.). Il est aussi l’occasion, pour Sagan, de se lancer dans une véritable défense de la radioastronomie et en particulier d’un programme de type SETI, qui voit la collaboration de toute la planète. Parfois maladroit dans la construction de certains personnages (Haden, le milliardaire financier de l’opération, a prêté le flanc à la critique chez certains lecteurs), le roman est plus une occasion pour l’auteur de développer sa pensée concernant l’origine du monde que de mener tambour battant un scénario d’action. L’idée d’un message divin trouvable par tous, qui se logerait dans le nombre pi, a un petit côté ésotérique. En même temps, ce message invite à une réflexion sur la perfection mathématique et la perfection divine. En somme, Contact, très marqué politiquement par son époque (avec son contexte de guerre froide prolongée jusqu’aux années 2000 et la nécessité de collaborer en dépassant le conflit terrestre pour tenter de communiquer avec l’espace), se présente comme un roman philosophique de scientifique passionné. Il propose ainsi, notamment, un cadre de réflexion intéressant concernant une problématique bien réelle, la communication extra-terrestre.

Communiquer... Ce n’est déjà pas simple avec nos semblables restés sur Terre, ou nos robots envoyés non loin, alors que dire d’une éventuelle communication extraterrestre !

Communiquer va dans les deux sens. Commençons par l’envoi de messages. Bien sûr, il y a les envois non dédiés : signaux TV, commandes pour les sondes interplanétaires, etc. Tout cela peut atterrir dans une oreille alien (pas trop éloignée quand même car la force des signaux diminue vite avec la distance !), mais ce n’est pas fait pour (d’où le moment d’angoisse quand les scientifiques voient Hitler apparaître dans le message extraterrestre du roman !).

Toutefois, on n’en est pas resté là. En fait, on y pense même depuis longtemps. Ainsi, au 19e siècle, Karl Gauss (1777-1855) aurait proposé d’utiliser des miroirs pour envoyer un signal lumineux tandis que d’autres envisageaient, pour stimuler les discussions interplanétaires (sélènes, martiens et vénusiens étaient alors supposés exister), de construire des structures géométriques remarquables, par exemple un triangle rectangle flanqué de trois carrés signalant notre connaissance du théorème de Pythagore.

763px-Pioneer plaque.svg200px-Arecibo message.svgPlus récemment, on a attaché des plaques gravées aux sondes Pioneer et Voyager : images d’humains, voire enregistrement de bruits divers font ainsi leur petit bonhomme de chemin dans l’espace, lentement, depuis quarante ans. Pour toucher des civilisations plus lointaines, on reprit l’idée de Gauss en 1974, en envoyant un signal radio depuis Arecibo vers l’amas globulaire M13, situé à 21 000 années-lumière (il lui faudra donc 21 000 ans pour arriver). Caractéristique amusante : pour décoder ce message, il faut « écrire » la suite de bits dans un rectangle – deux façons de le faire seulement, car le message fait 1679 bits, soit 73 lignes et 23 colonnes ou 73 colonnes et 23 lignes (73 et 23 sont deux nombres premiers !). Une fois cela fait, l’alien émerveillé verra la formule chimique des bases de l’ADN, un plan du système solaire (avec 9 planètes, pas de bol !), un dessin d’un humain et de l’antenne d’Arecibo... Une chose est sûre : s’ils arrivent à déchiffrer ces messages, les extraterrestres sont effectivement intelligents !

Précisons que l’envoi de messages ne fait pas l’unanimité : l’astronome Martin Ryle et le physicien Stephen Hawking, notamment, craignent les « conséquences hostiles » de se faire ainsi repérer. Vivons heureux, vivons cachés... les exobiologues apprécieront...

Même si l’on n’envoie rien, on peut au moins écouter. C’est là toute l’ambition du projet SETI – le plus connu dans le genre, mais des tentatives d’écoutes (martiennes, à l’époque) avaient déjà eu lieu début du 20e siècle !

Seul problème : vers quelle fréquence tourner la radio galactique ? En 1959, Giuseppe Cocconi et Philip Morrisson ont une idée : 1420MHz (ou 21 cm de longueur d’ondes). C’est la fréquence d’une raie d’hydrogène, élément le plus abondant dans l’Univers. Cette raie est extrêmement utile car elle permet d’étudier les galaxies. Il y a donc au moins un groupe de personnes qui « écoutent » sur cette fréquence-là : les astronomes ! Aujourd’hui, on se focalise sur le point d’eau (water hole), une bande située entre les longueurs d’onde de 21,1 cm (H) et 17,6 cm (OH), car les deux composés associés forment l’eau, base de la vie. On a aussi imaginé, entre-temps, des combinaisons plus ou moins complexes – ajouter les nombres pi, ou e – à ces fréquences « de base », car l’hydrogène naturel « pollue » évidemment cette fréquence-là et il vaut mieux s’en éloigner un peu... D’aucuns sont partis dans une autre direction : les signaux laser – point de sabre laser jedi, mais bien des signaux courts de lumière laser visible, soit un signal totalement artificiel.

Résultat : jusqu’ici, on attend toujours ! Il y eut quelques fausses alertes (signal « wow », découverte des pulsars, etc.) mais rien de certain, aucun coucou extraterrestre. La quête continue, cependant, avec les aléas dus à un financement assez volatil (le financement d’un radiotélescope dédié a été suspendu durant six mois en 2011 par manque de fonds). Mais comme le disent Cocconi et Morrisson : « La probabilité de succès est difficile à estimer, mais si l’on ne cherche jamais, les chances de réussir sont nulles ».

Du coup, on y pense quand même, avec l’établissement très sérieux de protocoles en cas de rencontres du 3e type, des études sur l’humeur (gentille/méchante) des aliens venus faire coucou, voire même les questions d’évangélisation de civilisations extraterrestres... ET, si tu nous entends, nous sommes prêts, comme l’héroïne de Sagan !


Yaël Nazé et Björn Olav-Dozo
Août 2012

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 Yaël Nazé
est astrophysicienne, chercheur FNRS au département AGO de l'ULg.  Elle est également l'auteur de plusieurs ouvrages de vulgarisation scientifique.


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Björn-Olav Dozo est chercheur F.R.S.-FNRS et rattaché au Centre d'étude de la littérature francophone de Belgique, à l'ULg. Ses recherches s'inscrivent dans le domaine des humanités numériques. Il enseigne notamment les genres paralittéraires.

Voir aussi son Parcours chercheur sur Reflexions


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