Petite histoire du space rock et autres rituels musicaux de l’espace

À l’époque, Aleister Crowley et Wilhelm Reich (qui leur inspire la chanson « Orgone Accumulator ») figurent parmi les maîtres à penser de Hawkwind. Leur influence, conjuguée à celle des substances illicites absorbées par le groupe et ses fans, transforme la scène en un espace dionysiaque, mettant autant l’accent sur le voyage intérieur et les sensations procurées par le trip psychédélique en soi que sur les galaxies lointaines (un titre du Space Ritual est consacré au roman de space opera bouddhiste Lord of Light de Roger Zelazny). Cette tendance est également développée par leurs fréquentations littéraires et, en particulier, par la sf « New Wave » britannique, représentée par Moorcock, J.G. Ballard, Bob Calvert ou encore Norman Spinrad. Les relations entretenues entre musique et littérature au sein du collectif sont d’ailleurs si étroites que, par un étrange effet de retour, des romans signés Moorcock et Michael Butterworth (The Time of the Hawklords, 1976 ; Queens of Deliria, 1977) apparaissent bientôt, mettant en scène les musiciens de Hawkwind en tant que personnages fictifs dans des scénarios de space fantasy.

Cosmi-comiques : l’invasion des théières volantes

gongPlus près de nos contrées (si l’on peut dire), la trilogie Radio Gnome de Gong (1973-74), collectif franco-britannique fondé dès 1967, apporte une touche de fraîcheur et d’humour à la saga des rockeurs de l’espace. Issues de l’esprit fantasque de Daevid Allen (ex Soft Machine), et situées aux antipodes des envolées apocalyptiques de Hawkwind, les aventures dadaïstes de Zero the Hero, des Pothead Pixies (habitants de la planète Gong circulant sur des théières volantes) et autres Octave Doctors sont au space rock ce que Lewis Carroll est à la littérature :

Down the Oily Way you slide
Through the inner space you ride
Lots and lots of Pot-Head Pixies
Ridin' round in Teapot Taxies
On the Planet Gong they say
If everything goes wrong today
Fill your Teapot up with tea
Come and take a ride with me
Down the oily way...

L’héritage des space warriors

system7

shatner

 

 

Si certains des groupes cités plus haut (Gong, Hawkwind, …) sont encore en activité, les influences musicales et thématiques du space rock continuent à se faire entendre chez Muse, The Mars Volta, Monster Magnet, Animal Collective, 120 Days, ou encore Radiohead – autant de groupes pouvant être qualifiés de néo-progressifs ou néo-psychédéliques – sans parler d’autres courants tels que la transe et la musique ambient. The Orb, pionnier du genre pendant les années 80, a d’ailleurs collaboré avec David Gilmour et compté parmi ses membres un certain Steve Hillage, guitariste de Gong de 1973 à 1975, avant de fonder son propre groupe, de produire des artistes aussi divers que Rachid Taha, Cock Robin, Simple Minds ou Valérie Lagrange, et de se consacrer à la musique électronique. System 7, fondé par Hillage et son épouse Miquette Giraudy – ex-Gong, elle aussi – et actif depuis 1991, est un des premiers et un des rares groupes d’electronica (l’espace nous manque pour tenter de définir les différents sous-genres et étiquettes de la musique électronique du dernier quart de siècle) à faire usage de « vrais » instruments sur scène (la guitare électrique, en l’occurrence), ouvrant ainsi la voie aux expériences hybrides d’un Thomas Jenkinson (aka Squarepusher). Enfin, l’influence de Hawkwind sur la musique punk (pourtant souvent considérée comme étant à des milliers d’années lumière du mouvement hippie) n’est pas négligeable : John Lydon, énorme fan du groupe, une fois libéré de l’emprise de son ancien manager Malcolm McLaren (lequel lui interdisait de manifester publiquement son intérêt pour la bande à Dave Brock, de peur de détériorer l’image contestataire de l’esthétique et de l’idéologie punk) a régulièrement joué sur scène leur « Silver Machine » au cours des tournées suivant la réunion des Sex Pistols au début des années nonante. 

À noter qu’un des plus étonnants rebondissements de cette saga nous a été livré l’an dernier par l’octogénaire William Shatner, capitaine retraité de la Starship Enterprise, dont le double CD Seeking Major Tom, reprend des classiques du genre dont le « Space Oddity » de Bowie et le « Silver Machine » de Hawkwind, avec la collaboration de Steve Hillage, ancien guitariste de Gong  – la boucle est bouclée…

Michel Delville
Août 2012

crayongris2Michel Delville enseigne la littérature comparée et la littérature américaine à l'ULg. Il est également musicien, fondateur, entre autres, du collectif electro-jazz The Wrong Object.

Voir aussi son Parcours chercheur sur Reflexions


 

Liens utiles :
 
http://www.youtube.com/watch?v=ts-2lg5fpQ4 (Pink Floyd, “Astronomy Domine”)
http://www.youtube.com/watch?v=D67kmFzSh_o (David Bowie, “Space Oddity”)
http://www.youtube.com/watch?v=JzAldD6t-ps&feature=related (Hawkwind’s Space Ritual)
http://www.youtube.com/watch?v=LOWoVLBDxR0 (The Orb, Live 1993)
http://www.youtube.com/watch?v=cdIa9oFkye4 (Sex Pistols, “Silver Machine”, Live 2008)
http://www.youtube.com/watch?v=WuFEPinafb4 (System 7, Live 2012)
http://www.youtube.com/watch?v=X8sKhkczNtw William Shatner, “Silver Machine”, 2012)

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