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L'espace des jeux vidéo

30 August 2012
L'espace des jeux vidéo

Et si vous meniez la conquête spatiale vous-même ? Pour vous entraîner, voici quelques genres de jeux vidéo qui prennent l’espace comme toile de fond, classés selon leurs velléités belliqueuses. On aurait aussi pu développer les « point'n'click », ou jeux d'aventure graphique, dont Sierra (avec, pour l'espace, la série des six «Space Quest», de 1986 à 1995, plus des épisodes réalisés par des fans) et LucasArt (avec The Dig, 1995) s'étaient faits les spécialistes dans les années 1990, mais l'inactualité du genre entraîne cette brève évocation (à l'intention des nostalgiques)...

 

Les jeux de tir

1Il est généralement admis que l’un des tout premiers jeux vidéo de l’histoire fut SpaceWars (1962). Il est vrai que le vide de l’espace offrait un décor adapté aux performances des machines de l’époque. Dans le jeu, deux vaisseaux se tirent dessus sur un fond noir piqueté d’étoiles. Le principe du « shoot’em up » est né.

Figure 1 - Screenshot de Spacewar! (1962)  sur PDP-1 obtenu à partir d'une version émulée

Suivront des dizaines de titres, dont l’inévitable Space Invaders (1978). Le genre en deux dimensions deviendra au fil du temps un marché de niche, mais certaines réalisations ont marqué l’histoire des jeux vidéo : Galaxian (1979, avec le fond étoilé qui défile pour simuler un effet de vitesse), Gradius (1985 pour le premier), R-Type (1987 pour le premier), etc. Difficile d’en sélectionner l’un plutôt que l’autre : le choix des deux vidéos qui suivent est purement arbitraire.

  • Le premier niveau d’Axelay (Konami, 1992 sur Super Nintendo) en mode difficile : Même si ce niveau n’est pas encore dans l’espace, il propose une bande-son marquante qui mérite d’être soulignée.
  • Le quatrième niveau d’Ikaruga (2001 sur borne d’arcade) avec une magnifique base spatiale qui devient un ennemi. Ce jeu appartient à la catégorie des « manic shooters » (ou « enfer – ou mur – de balles », en anglais ou en japonais), sorte de quintessence du genre, où les réflexes seuls ne permettent plus de s’en sortir et pour lesquels il devient nécessaire d’apprendre des séquences de déplacement par cœur.

Le développement des moteurs de rendu graphique 3D offriront une nouvelle jeunesse au genre, avec notamment les séries des X-Wing (1993, LucasArts pour le premier) sur PC ou des Star Fox (ou Star Wing en Europe) (1993, Super Nintendo pour le premier, premier jeu avec le chipset FX). On est maintenant dans le poste de commande du vaisseau, on voit le tableau de bord et les ennemis approcher.

2Figure 2 - X-Wing (1993)

La série Freespace (1998 pour le premier, sur PC) en constitue l’une des actualisations les plus populaires. Une fois le code source du deuxième volet libéré en 2002, une communauté de fans a continué à le développer et l’améliorer, ce qui explique sa longévité importante.

3Figure 3 - Freespace 2 Source Code Project, le développement open source de Freespace

Ce mode de vue en 3D amène à évoquer Elite (1984 sur BBC Micro pour la première version, largement déclinée sur différentes plate-formes), un jeu de combat spatial et de commerce très innovant, dans lequel on ne gagne pas (on peut seulement améliorer son sort). Au croisement de deux genres, ce dernier jeu permet de faire la transition avec le genre suivant.


Les 4 X

« eXploration, eXpansion, eXploitation et eXtermination » : ces quatre phases traditionnelles sont au fondement de ces jeux de stratégie et de gestion. Les 4 X ont été popularisés par Civilization (1991, sorti sur PC puis décliné sur Atari ST, Amiga et Super Nintendo) de Sid Meyer.

sc1Figure 4 - Civilization 1 (1993)

Il s’agit de prendre en main une civilisation et de la mener de l’âge de pierre à la conquête spatiale, le tout en concurrence avec d’autres empires en constitution. Le premier qui atteint Alpha Centauri (ou qui a détruit toutes les autres civilisations) a gagné. La complexité et la longueur du jeu furent parmi les facteurs de son succès. Il connaîtra de nombreuses suites, dont la cinquième est parue en 2010, avec un supplément (Gods and Kings) sorti cette année.

sc2Figure 5 - Civilization V, Gods and Kings (2012)

Deux ans après le premier Civilization sort Master of Orion (1993, Simtex) puis Master of Orion 2 en 1996. Jeu au tour par tour comme tous les 4X des débuts, il met le joueur aux commandes d’une race attachée à une planète et s’élançant à la conquête des étoiles. Le but est de dominer le Conseil Galactique en colonisant et exploitant des planètes, tout en usant de diplomatie et en développant la recherche dans différents domaines (informatique, ingénierie, environnement, etc.). Les mécanismes du jeu ont marqué durablement le genre, à tel point qu’il reste une référence pour tous les « vieux » joueurs qui y ont gâché leur jeunesse.

sc3Figure 6 - Master of Orion 1 (1993)

À l’heure actuelle, les jeux 4X au tour par tour se sont vus concurrencés par les jeux en temps réel, où tous les participants (joueurs comme IA) jouent en temps réel (ex. : Galactic Civilizations, 2006). Pourtant, certains éditeurs persistent : Endless Space, d’Amplitude Studios, vient de sortir durant l’été. Servi par une ergonomie et un aspect visuel très réussis, ce 4X nouvelle génération bénéficie d’une prise en main rapide doublée d’une excellente durée de vie et d’une finition qui donne envie de jouer encore et encore une petite dernière partie. Et comme le dit ackboo dans le test de CanardPC n 259 du 21 juillet 2012, « c’est pour ça qu’il faut jouer aux 4X spatiaux. Parce qu’un jour, notre planète aura besoin de stratèges capables de comprendre les problématiques complexes d’une guerre interstellaire. Et ce genre de chose, ce n’est pas à Saint-Cyr qu’on l’apprend. Lorsque notre Terre sera assiégée par les Dreadnaughts d’une race guerrière d’insectoïdes télépathes, c’est nous, et certainement pas les joueurs de Halo ou de Call of Duty, qui aurons les compétences pour sauver l’Humanité » (p. 16).

sc4Figure 7 - Endless Space (2012)
sc5Figure 8 - Endless Space (2012)

Les MMO

Les jeux en ligne massivement multijoueurs (Massive Multiplayers Online games) avec monde persistant sont nés avec la popularisation d’internet dans les années 2000. Différents genres existent, comme les jeux de tir à la première personne (MMOFPS, type Planetside) ou les jeux de stratégie en temps réel (MMORTS, type Mankind – voir les copies d’écran). Ce dernier rentre dans la catégorie qui nous intéresse, à savoir les MMO spatiaux. Celle-ci est dominée à l’heure actuelle par EVE Online (2003, CCP Games). Ce jeu de presque dix ans continue à mobiliser une importante communauté de joueurs (certains avancent le chiffre de 300 000 comptes actifs). Un grand sentiment de liberté peut être ressenti au sein du jeu, car il n’y a pas d’objectif à proprement parler défini par les développeurs. Fondé sur l’idée d’un monde persistant où toutes sortes de destinées sont possibles1, EVE Online est parfois critiqué pour être un méga-tableur Excel caché derrière une jolie interface. Il est vrai que le nombre de paramètres à maîtriser peut être conséquent, mais l’immersion et l’expérience sociale qui en est retirée en valent, paraît-il,  la chandelle.

sc6Figure 9 - EVE Online
sc7Figure 10 - EVE Online



1 Le cadre général de l’histoire laisse la part belle aux velléités du joueur (voir le résumé du point de départ de l’histoire sur Wikipédia).

Les simulateurs

Enfin, dernière catégorie que ce rapide survol mentionnera, les simulateurs de vol spatial. L’objectif, dans ce cas, est le réalisme. Les simulateurs tentent de prendre en compte le maximum de paramètres physiques pour obliger le joueur à ne rien laisser au hasard. Ces « jeux » requièrent de leur utilisateur une certaine connaissance de la mécanique céleste et de la mécanique spatiale, afin de régler au mieux les innombrables commandes et procédures permettant le lancement d’une navette ou d’une fusée.

Microsoft Space Simulator (1994) est l’un des premiers à proposer un simulateur ouvert, c’est-à-dire non spécialisé pour un type de mission particulier (le lancement d’une fusée ou l’alunissage d’un module par exemple). L’idée est de laisser le joueur décider lui-même des objectifs de sa mission. Particulièrement ardu, voire frustrant, il demande un investissement énorme de la part du joueur.

sc8Figure 11 - Microsoft Space Simulator (1994)

Dans le même esprit, Orbiter (première version en 2000, toujours en développement, dernière version en date en 2010) reprend le principe du simulateur universel réaliste. Mouvement des planètes, gravitation, physique de l’espace sont modélisés avec précision. L’idée est de permettre au joueur d’explorer le système solaire avec des véhicules au comportement réaliste, qu’ils soient réels (la navette spatiale) ou fictifs (le delta-glider). Il est possible également de simuler des accostages avec la station spatiale internationale ou d’autres navettes spatiales. Développé par Martin Schweiger, professeur à la University College London, ce jeu, par la complexité de l’ensemble, semble réservé aux passionnés, qui pourront malgré tout éprouver une grande satisfaction à la réussite d’une décollage sans accroc.

sc9Figure 12 – Orbiter (2000-2010)
sc10Figure 13 – Orbiter (2000-2010)

Ce rapide tour d’horizon voulait simplement pointer un domaine que l’université investit peu mais qui offre néanmoins un ensemble d’objets culturels originaux et passionnants à étudier. Cette brève présentation n’avait d’autre ambition que d’en montrer leur diversité et la richesse de leur histoire.

Björn-Olav Dozo
Août 2012

Björn-Olav Dozo est chargé de recherches du F.R.S.-FNRS et rattaché au Centre d'étude de la littérature francophone de Belgique, à l'ULg. Ses recherches s'inscrivent dans le domaine des humanités numériques. Il enseigne notamment les genres paralittéraires.

Voir aussi son Parcours chercheur sur Reflexions


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