La science-fiction spatiale (space opera) : panorama d’un genre

Les lieux communs ont la vie dure. Pour celui qui n’aime pas, la SF se résume bien souvent au space opera (même si le nom est moins connu que le contenu) : combats spatiaux opposant gentils humains et méchants petits hommes verts. À ce stade d’identification, les défenseurs de la science-fiction plaident généralement pour la réhabilitation de celle-ci, en insistant sur le fait que la science-fiction spatiale est l’arbre qui cache en fait une myriade de sous-genres, plus intellectuels, plus subtils, plus fréquentables.

Pourtant, c’est au space opera que cet article s’attache. Pas pour le défendre : son succès populaire, dans les formes les plus clichés jusqu’aux plus intellectuelles, montre qu’il n’en a pas besoin. Je me contenterai de le présenter, d’en situer une brève histoire (évidemment partiale) et de sélectionner quelques œuvres pour le découvrir. On ne sait jamais, que le lecteur curieux se perde en ces terres inconnues…

Le Far West est conquis, quelle est la prochaine frontière ?

On dit que c’est Wilson Tucker qui inventa le terme de « space opera » en 1941, sur le modèle de « soap opera », ces émissions radiophoniques sentimentales de l’entre-deux-guerres sponsorisées par des marques de savon. Comme souvent pour les étiquettes littéraires (voir l’histoire du « romantisme »), celle-ci avait donc une connotation péjorative au départ.

john-carterLe genre, à ses débuts, renouvelait en fait les décors des récits populaires d’aventure du 19e siècle, en proposant aux lecteurs les cratères de Mars à la place du Grand Canyon. Le récit, en revanche, ne bougeait pas d’un iota : un héros, venu de la riante planète Terre, explore de lointaines et hostiles contrées pour découvrir un fabuleux trésor (ou sauver une princesse enlevée / ou chercher un secret enfoui / ou venger la mort de son frère / ou toute action susceptible d’entraîner un acte héroïque). Attaqués par des autochtones aussi laids que stupides, il traverse de nombreuses épreuves pour finalement revenir victorieux.

Mâtinés de voyages interstellaires, de pistolasers à la place des six-coups et de colonies en détresse secourues par la cavalerie cosmique, ces récits dominent l’« âge d’or » de la science-fiction, à l’époque où les pulps, ces magazines imprimés sur du mauvais papier, explosent littéralement en Amérique. Parmi les auteurs qui donnent au genre ses lettres de noblesse durant l’entre-deux-guerres, on pointera E. E. « Doc » Smith, Edmond Hamilton, Ray Cummings, Jack Williamson ou encore John W. Campbell. Ce dernier aura une grande influence sur la science-fiction de l’époque par sa fonction de rédacteur en chef de la revue Astounding Stories, l’un des magazines de SF les plus populaires, qu’il dirigera de 1937 à 1971. Une bonne illustration de l’ambiance de ces histoires spatiales se retrouve dans une des dernières superproductions de Disney (à côté des Vengeurs), John Carter (bande annonce), sorti en mars 2012 et « adaptant librement », selon la formule de Wikipedia, le roman Une princesse de Mars (1917) de l'auteur américain Edgar Rice Burroughs, le créateur de Tarzan.

Aventure, action échevelée, de nombreuses séries de sy-fy (l’étiquette de la science-fiction commerciale, qui rejoue au sein du genre la différence entre la « grande Littérature » et la « littérature de gare ») continuent à abuser des codes du space opera classique : la série Perry Rhodan en constitue l’exemple absolu, avec plus de 2500 volumes décomposés en 36 cycles. On pourrait aussi citer les novellisations de Star Trek ou Star Wars, après leur immense succès télévisuel pour l’un et cinématographique pour les deux.

Quand la réalité rencontre la fiction, ou l’envolée de Spoutnik et la fin des Martiens

starshipjpgLa formule pour produire de nouveaux univers fictionnels s’essouffle néanmoins à partir des années 1950. À cette époque, les terra incognita ont disparu et même l’espace ne semble plus inaccessible. Prisonnier de sa propre logique, fondée sur une Terre colonisatrice et imposant sa « civilisation » (Poul Anderson sera un spécialiste de cette veine), le space opera commence à ne plus faire recette. Des auteurs vont alors proposer des romans moins inspirés des récits d’aventures que des fictions politiques. Isaac Asimov, avec le cycle de Fondation (1951-1953 pour les trois premiers volumes), jette les bases d’un engouement sociologique et politique au sein du space opera. Racontant la chute d’un empire galactique, le cadre spatial est prétexte à une réflexion sur la vie des civilisations. D’autres suivront : James Blish, John Brunner, Samuel Delany, ou dans un genre plus proche de l’« âge d’or », Robert A. Heinlein, dont Étoiles, garde-à-vous !, peut (malgré tout) être lu comme la critique d’un régime martial fasciste et colonialiste (au moins dans l’adaptation cinématographique de Paul Verhoeven, Starship Troopers).

iainbanksCe regard quasi ethnographique sur des civilisations intergalactiques et des empires s’étendant sur des milliers de systèmes solaires va donner les fleurons contemporains du genre : le cycle de la Culture, de Iain M. Banks, constitue sans doute l’œuvre la plus aboutie du genre. Gérard Klein définit la Culture dans sa préface à L’homme des jeux en édition de poche :

La Culture est une vaste société galactique, multiforme, pacifiste, décentralisée, anarchiste, tolérante, éthique, agnostique et cynique, peut-être ultimement conformiste, s’en doutant et s’en défendant.1

La force de Banks est de ne pas décrire cette utopie pangalactique à partir du point de vue d’un habitant de la Culture, mais de fournir au lecteur une description fondée sur la confrontation. Réflexions politiques et sociologiques nourrissent ce cycle immense, toujours en cours de développement et de publication.

D’autres cycles se situant dans cette lignée de space opera « exploratoires » interrogent plus particulièrement le religieux. Citons Les Cantos d’Hypérion et sa suite, Les Voyages d’Endymion, de Dan Simmons ; ou encore l’énorme roman L’aube de la nuit, de Peter F. Hamilton, publié en 7 volumes en français, qui convoque certains thèmes fantastiques.




1 Gérard Klein, « Préface », dans Iain M. Banks, L’homme des jeux, Paris, Le Livre de Poche, [1996] 2008, no 7185, p. 6.

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