« Vers l'infini et au-delà ! » Le cinéma à la conquête de l'espace

Premier lieu rêvé de la conquête spatiale, la Lune, à la fois si proche et si lointaine, si banale et si fascinante, n’a jamais cessé d’être au centre de bien des fictions fantaisistes ou de films à trucs. Sa lumière pâle, dorée et hypnotique, a engendré nombre d’animations poétiques, dont La Luna, le tout dernier court-métrage des studios Pixar réalisé par Enrico Casarosa2 où une simple échelle de bois permet à un petit garçon d’accéder à la Lune pour s’y livrer à une mission cruciale. Mais la Lune, d’une familière étrangeté, peut aussi s’avérer menaçante. La superproduction de Michaël Bay, Transformers 3, Dark Side of the Moon (2011), révèle ainsi dans ses premières minutes, à travers un montage extrêmement habile mêlant images d’archives, scènes reconstituées et plans de fiction, ce que chaque bon terrien doit savoir : la face cachée de la Lune abrite des envahisseurs extra-terrestres (les astronautes américains de la mission Apollo 11 n’ont pas fait que marcher sur la Lune, ils ont également découvert le vaisseau échoué de dangereux robots géants venus d’un autre monde).

woman in moon 02D’autres fictions auront davantage le souci du vraisemblable. C’est le cas notamment du dernier film muet de Fritz Lang, Frau im Mond (La Femme dans la Lune, 1929 - photo ci-contre), un classique du cinéma allemand des années 20, scénarisé par Thea Von Harbou d’après son propre roman. Ce film d’aventure relate, sur un ton quelque peu mélodramatique (l’importance de l’histoire d’amour), une expédition périlleuse sur la Lune (persuadé d’y trouver de l’or, un aventurier sans foi ni loi piège l’équipage). Deux noms retiennent l’attention au générique du film : celui de l’artiste Oskar Fischinger pour les effets spéciaux, et celui, en tant que conseiller technique parmi d’autres spécialistes des questions balistiques et astronautiques, d’Hermann Oberth, célèbre physicien dont les théories ont permis le vol spatial. Lang tenait en effet à appuyer son récit et sa mise en scène sur un ensemble de données scientifiques, inscrivant l’épique de ce voyage interplanétaire dans le domaine du probable (même si certaines parties du film n’échappent pas au syndrome du décor en carton mélièsien). Réflexion sur l’absence de pesanteur, dessins et maquettes de la fusée, travail sur l’échelle de plans pour restituer les rapports de taille entre personnages et décor, Lang  se préoccupe des détails réalistes, qu’il n’oublie jamais d’intégrer à une mise en scène à fort potentiel dramatique. L’anecdote veut d’ailleurs qu’il fût l’inaugurateur de la tradition du compte à rebours en astronautique, au moment du décollage de la fusée. En effet, rapporte Lotte Eisner3, afin d’accroître la tension, Fritz Lang eut l’idée du décompte afin de finir par le chiffre zéro.

Hermann Oberth apportera encore ses lumières sur le tournage d’un film américain crucial qui révolutionna l’imaginaire du film de science-fiction : Destination Moon. (photos ci-dessous) Réalisé par Irving Pichel en 1950, l’œuvre emblématise en quelque sorte la naissance du film de science-fiction aux États-Unis, un genre qui va rapidement et fortement se constituer autour des motifs de la conquête spatiale et de son pendant inverse, l’invasion extra-terrestre, laissant explicitement apparaître à travers ses lignes le contexte très politiquement tendu de la guerre froide entre les États-Unis et l'URSS. Destination Moon commence d’ailleurs par l’évocation d’un sabotage renvoyant immédiatement à la terrible rivalité des deux puissances pour la conquête de l'espace. Si Oberth, et d’autres physiciens et astronomes, ont pour mission d’imaginer la fusée et le décor panoramique de la surface de la Lune (leurs dévoilements, superbes, sont les grands moments du film), la production s’est également offert les services au scénario de Robert Heinlein, auteur réputé de la veine « hard science », qui, loin de l’esprit adolescent et fantasmagorique des pulps et des serials, développe le récit science-fictif à partir de données scientifiques4. Le film se veut d’ailleurs didactique en incluant un court-métrage d’animation, avec la star du cartoon Woody Woodpecker, visant à ôter aux personnages du film comme aux spectateurs, tout scepticisme quant à la possibilité de tenter l’aventure lunaire. Le film, fondateur d’une certaine esthétique de la SF, invente quantité de motifs désormais archétypaux, qu’il s’agisse d’architectures (la fusée elle-même), d’accessoires (les couchettes, les hublots, bref tout le design technologique qui marquera tant Hergé5) ou de situations (les scènes d’apesanteur et particulièrement la scène du sauvetage spatial grâce à l’extincteur, dont, récemment, le petit robot Wall-E6 se souviendra pour lui-même se tirer d’un bien mauvais pas dans une séquence d’hommage au film de Pichel). Enfin, dans un édifiant souci d’authentification du réalisme des situations, Pichel fait s’exclamer l’un de ses cosmonautes en pleine contemplation d’un clair de Terre : ainsi donc les cartes de géographie étaient justes !

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Quantité d’autres films américains des années 50 demanderont la contribution de scientifiques afin de crédibiliser leurs intrigues, comme Rocketship X-M de Kurt Neumann (1950) ou Project Moon Base de Richard Talmadge (1953). Quête de réalisme aussi pour les astronautes de Riders to the Stars (Richard Carlson, 1954) chargés de capturer des météorites pour les étudier de près, tandis que This Island, Earth (Les Survivants de l'infini de Joseph Newman, 1956) invente la planète Metaluna pour évoquer plausiblement, et pêle-mêle, les thèmes des voyages interstellaires, de l’évolution biologique et des risques de la radioactivité.

Les décennies suivantes, calquant les exploits réels des cosmonautes, nombre de films adopteront plutôt une dimension documentaire historique, tels que Countdown de Robert Altman (1968), revenant sur la course entre les Russes et les Américains pour la conquête de la Lune, The Right Stuff (L’Étoffe des héros, Philip Kaufman, 1983) retraçant l’épopée des premiers vols spatiaux ou encore Apollo 13 (Ron Howard, 1995) qui reconstitue la célèbre mission lunaire interrompue de 1970 (« Houston, we have a problem »).

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Apollo 13, Ron Howard - L’Étoffe des héros, Philip Kaufman - Moon, Duncan Jones

Enfin, en terme d’intrigue, Destination Moon, en développant son climax sur la peur du non-retour, de l’impossibilité à pouvoir quitter la Lune, se trouvera de nombreux héritiers dont, par exemple, le documenté Marooned (Les Naufragés de l’espace, John Sturges, 1969) ou l’intrigant et paranoïaque Moon de Duncan Jones  (2009).

 


 

2 Le film accompagne en avant-programme la sortie en salle de la production Disney/Pixar Brave (Andrews, Chapman, Purcell, 2012).

3 Lotte Eisner, Fritz Lang, Les Cahiers du Cinéma/ Les éditions de l'étoile, Paris, 1984, p. 129.

4 Il fut l’un des auteurs phares de la revue Astounding Science-Fiction, aujourd’hui intitulée Analog Science Fiction and Fact.

5 Impossible en effet de ne pas retrouver les influences visuelles de Destination Moon dans les albums Objectif Lune (1953) et On a marché sur la Lune (1954).

6 WALL-E, Andrew Stanton, 2008.

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