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« Vers l'infini et au-delà ! » Le cinéma à la conquête de l'espace

30 août 2012
« Vers l'infini et au-delà ! » Le cinéma à la conquête de l'espace

Présent dès les débuts du cinéma, le thème du voyage dans l’espace répond aux besoins d’évasion, de rêve et d’aventure des spectateurs. Son traitement a connu de nombreuses variations au fil des décennies, en fonction, bien entendu, des découvertes scientifiques, mais aussi de l'inventivité des concepteurs d'effets spéciaux. De la fantaisie pure à la reconstitution documentée, des séries B aux spectaculaires superproductions hollywoodiennes, ces films de science-fiction passionnent souvent par la créativité, burlesque ou poétique, de leur mise en scène. Embarquement immédiat pour les étoiles. 

Universal-Pictures

Il faut bien s'y résoudre, peu d'entre nous ont eu ou auront l’opportunité de fouler le sol lunaire. Pourtant, nous avons tous une idée très claire de ce à quoi ressemble la Terre vue  de l'espace. Grâce aux photographies scientifiques, bien entendu, mais probablement plus encore grâce aux images du cinéma. En effet, il est fort à parier que les images qui nous viennent en tête à l'évocation des mots tels que « Terre », « Mars», « Saturne », « Voie lactée » ou « Trou noir » proviennent de films que nous avons vus tout au long de notre vie. Le cinéma a rendu visible ce qui nous était invisible (l’infiniment grand) et a rendu concevable le voyage dans l'espace bien avant que nous en soyons capables (le cinéma a marché sur la Lune longtemps avant que l'homme n'y fasse ses premiers pas). L’image de la Terre vue du ciel est devenue une icône du cinéma (et le logo même d’une importante société de production, la Universal, la première des « majors », qui domina le marché cinématographique dès les années 1920) alors que les scientifiques n’avaient pas encore de photographies satellite à disposition (les premières révélées ne datent que de la fin des années 50). Combien de films de science-fiction ne commencent-ils pas avec un plan sur l’espace constellé d’étoiles, situant la caméra elle-même quelque part dans l’espace, adoptant un point de vue abstrait, détaché, désincarné et flottant ? Combien de ces œuvres nous ont abreuvés d’images cosmiques que les plus perfectionnés des télescopes peinent encore à nous transmettre ? Prodigieuse prothèse fantasmagorique, le cinéma a mis en scène l’inimaginable : exploration intersidérale, découverte de nouveaux systèmes planétaires et d’autres formes de vie, franchissement de l’espace-temps… Reprocher au film de science-fiction son manque de réalisme est un bien mauvais procès ; son ambition n’est pas de restituer, mais d’imaginer. Singulièrement, les films aux intrigues relatives à la Lune se sont faits des plus rares à partir du moment où l’homme, en 1969, est allé réellement poser ses pieds sur l’astre lunaire. Aujourd’hui, la mystérieuse Mars perd chaque jour un peu plus de ses secrets et sera bientôt à son tour abandonnée par les intrigues épiques du cinéma. Heureusement, bien d’autres systèmes solaires attendent les scénaristes, premiers cosmonautes sans scaphandres, même si, en adéquation avec l’anticolonialisme de notre époque, la plupart des films contemporains développent un discours critique quant à l’idée de conquête spatiale1. Mais, comme chacun le pressent, les secrets de l’espace sont infinis et inépuisables.

this island earth2Le genre a souvent été mal aimé de la critique, jugé à la fois infantile (la SF comme rêve de petit garçon : imaginaire naïf et bariolé, argument narratif généralement simpliste emprunté à d’autres genres populaires comme le western ou le film d’aventure) et toujours potentiellement suranné (semblable aux appareils technologiques, la SF avoue son obsolescence programmée). Rien ne semble en effet vieillir plus mal et plus vite qu’un film de science-fiction, tant du point de vue de ses conventions de mise en scène (décor, mode vestimentaire, accessoires…) et de ses nécessaires effets spéciaux (toujours appelés à être dépassés et repérés par l’œil aguerri du spectateur), que de son intrigue narrative (les années 2000 ne ressemblent pas tout à fait à ce que pronostiquaient les films des années 50). Traitée en série B, avec de petits budgets jusque dans les années 70, la science-fiction s’est toutefois trouvé une large audience ces dernières décennies, sous la houlette d’une nouvelle génération de cinéastes (George Lucas, Steven Spielberg, Brian de Palma, Ridley Scott ou James Cameron, entre autres), développant un nouveau sens du spectaculaire au sein de l’industrie hollywoodienne.

De tout temps cependant, le cinéma de science-fiction, en raison de son objet (l’anticipation, la projection dans un autre espace-temps) s’est fortement ancré dans le contexte historique et idéologique contemporain de sa production, mettant à jour les fantasmes et les questions nés avec les progrès de la médecine et l’évolution des lois et des mœurs. Fondamentalement travaillé par la dichotomie qui le définit (science / fiction), le genre n'a cessé d’osciller, depuis les débuts du cinéma, entre réalisme et fantaisie, entre le souci de l’information et le plaisir de la multiplication des fétiches de pacotille.

Il serait bien entendu vain de lister, dans ces quelques paragraphes, les films qui, de près ou de loin, ont tenté de mettre en scène l'espace et sa conquête. Ces œuvres sont évidemment trop nombreuses et leurs formes, leurs ambitions, leurs projets narratifs par trop disparates pour se voir ici synthétisés. Par contre, il est sans doute moins impertinent d’essayer de répertorier rapidement quelques grandes figures, quelques images récurrentes, quelques motifs du corpus important du cinéma de science-fiction qui se consacre à l'exploration spatiale à travers deux de ses destinations de prédilection, l’astre lunaire et la planète Mars, pour comprendre comment l’espace est devenu ce dernier siècle l’un des nouveaux lieux favoris des fictions d’aventure.

Décrocher la Lune

Toutes les histoires de la science-fiction cinématographique commencent systématiquement par citer le célèbre Voyage dans la lune de Georges Méliès (1902). Il faut toutefois préciser que le film relève moins de la science-fiction, genre qui n'est alors pas encore constitué, que de la féérie, genre théâtral merveilleux à grand déploiement que Méliès, en homme de scène expérimenté, connaît bien. Ce très réputé premier voyage dans l'espace (au succès public triomphal lors de sa présentation à la foire du Trône avant d’être distribué dans toute l’Europe et les États-Unis) n’en laisse pas moins dans la tête des spectateurs de l'époque, comme des spectateurs contemporains, des images extrêmement marquantes dont, bien sûr, cette fameuse image de l'astre lunaire éborgné par le vaisseau spatial qui y atterrit brutalement. La science n’est ici qu’un décorum premier et un peu grotesque, vite remplacé par les excentricités des Sélénites. Dans la foulée de ces premiers pas lunaires, il faut citer d’autres fééries spatiales qui émaillent l’histoire du cinéma des premiers temps, comme le film de Gaston Velle, Voyage autour d’une étoile (1906) dans lequel un astronome, après avoir observé par l’intermédiaire de son télescope une jeune femme assise sur un quartier de lune, décide de partir explorer l’espace dans une bulle de savon. En 1909, Segundo de Chomon recycle plusieurs des motifs mélièsiens (dont le visage grimaçant de la Lune) lors d’un Voyage sur la planète Jupiter, offrant au spectateur quelques scènes d’anthologie (dont l’ascension de planète en planète par une échelle, restituée par un fantastique mouvement d’appareil et une ruse typique du metteur en scène). De son côté, dans un film inouï, The Motorist (1906), le Britannique Robert William Paul laisse s’échapper de notre planète un dangereux automobiliste pour donner à son véhicule de nouvelles routes : les nuages de la stratosphère, la circonférence de la Lune et les anneaux de Saturne.

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Gaston Velle, Voyage autour d’une étoile   -    Segundo de Chomon,Voyage sur la planète Jupiter




1 Voir Michel Chion, Les Films de science-fiction, Paris, Cahiers du cinéma, 2008, p. 42.

Premier lieu rêvé de la conquête spatiale, la Lune, à la fois si proche et si lointaine, si banale et si fascinante, n’a jamais cessé d’être au centre de bien des fictions fantaisistes ou de films à trucs. Sa lumière pâle, dorée et hypnotique, a engendré nombre d’animations poétiques, dont La Luna, le tout dernier court-métrage des studios Pixar réalisé par Enrico Casarosa2 où une simple échelle de bois permet à un petit garçon d’accéder à la Lune pour s’y livrer à une mission cruciale. Mais la Lune, d’une familière étrangeté, peut aussi s’avérer menaçante. La superproduction de Michaël Bay, Transformers 3, Dark Side of the Moon (2011), révèle ainsi dans ses premières minutes, à travers un montage extrêmement habile mêlant images d’archives, scènes reconstituées et plans de fiction, ce que chaque bon terrien doit savoir : la face cachée de la Lune abrite des envahisseurs extra-terrestres (les astronautes américains de la mission Apollo 11 n’ont pas fait que marcher sur la Lune, ils ont également découvert le vaisseau échoué de dangereux robots géants venus d’un autre monde).

woman in moon 02D’autres fictions auront davantage le souci du vraisemblable. C’est le cas notamment du dernier film muet de Fritz Lang, Frau im Mond (La Femme dans la Lune, 1929 - photo ci-contre), un classique du cinéma allemand des années 20, scénarisé par Thea Von Harbou d’après son propre roman. Ce film d’aventure relate, sur un ton quelque peu mélodramatique (l’importance de l’histoire d’amour), une expédition périlleuse sur la Lune (persuadé d’y trouver de l’or, un aventurier sans foi ni loi piège l’équipage). Deux noms retiennent l’attention au générique du film : celui de l’artiste Oskar Fischinger pour les effets spéciaux, et celui, en tant que conseiller technique parmi d’autres spécialistes des questions balistiques et astronautiques, d’Hermann Oberth, célèbre physicien dont les théories ont permis le vol spatial. Lang tenait en effet à appuyer son récit et sa mise en scène sur un ensemble de données scientifiques, inscrivant l’épique de ce voyage interplanétaire dans le domaine du probable (même si certaines parties du film n’échappent pas au syndrome du décor en carton mélièsien). Réflexion sur l’absence de pesanteur, dessins et maquettes de la fusée, travail sur l’échelle de plans pour restituer les rapports de taille entre personnages et décor, Lang  se préoccupe des détails réalistes, qu’il n’oublie jamais d’intégrer à une mise en scène à fort potentiel dramatique. L’anecdote veut d’ailleurs qu’il fût l’inaugurateur de la tradition du compte à rebours en astronautique, au moment du décollage de la fusée. En effet, rapporte Lotte Eisner3, afin d’accroître la tension, Fritz Lang eut l’idée du décompte afin de finir par le chiffre zéro.

Hermann Oberth apportera encore ses lumières sur le tournage d’un film américain crucial qui révolutionna l’imaginaire du film de science-fiction : Destination Moon. (photos ci-dessous) Réalisé par Irving Pichel en 1950, l’œuvre emblématise en quelque sorte la naissance du film de science-fiction aux États-Unis, un genre qui va rapidement et fortement se constituer autour des motifs de la conquête spatiale et de son pendant inverse, l’invasion extra-terrestre, laissant explicitement apparaître à travers ses lignes le contexte très politiquement tendu de la guerre froide entre les États-Unis et l'URSS. Destination Moon commence d’ailleurs par l’évocation d’un sabotage renvoyant immédiatement à la terrible rivalité des deux puissances pour la conquête de l'espace. Si Oberth, et d’autres physiciens et astronomes, ont pour mission d’imaginer la fusée et le décor panoramique de la surface de la Lune (leurs dévoilements, superbes, sont les grands moments du film), la production s’est également offert les services au scénario de Robert Heinlein, auteur réputé de la veine « hard science », qui, loin de l’esprit adolescent et fantasmagorique des pulps et des serials, développe le récit science-fictif à partir de données scientifiques4. Le film se veut d’ailleurs didactique en incluant un court-métrage d’animation, avec la star du cartoon Woody Woodpecker, visant à ôter aux personnages du film comme aux spectateurs, tout scepticisme quant à la possibilité de tenter l’aventure lunaire. Le film, fondateur d’une certaine esthétique de la SF, invente quantité de motifs désormais archétypaux, qu’il s’agisse d’architectures (la fusée elle-même), d’accessoires (les couchettes, les hublots, bref tout le design technologique qui marquera tant Hergé5) ou de situations (les scènes d’apesanteur et particulièrement la scène du sauvetage spatial grâce à l’extincteur, dont, récemment, le petit robot Wall-E6 se souviendra pour lui-même se tirer d’un bien mauvais pas dans une séquence d’hommage au film de Pichel). Enfin, dans un édifiant souci d’authentification du réalisme des situations, Pichel fait s’exclamer l’un de ses cosmonautes en pleine contemplation d’un clair de Terre : ainsi donc les cartes de géographie étaient justes !

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Destination-moon-woody Destination-Moon-Poster

Quantité d’autres films américains des années 50 demanderont la contribution de scientifiques afin de crédibiliser leurs intrigues, comme Rocketship X-M de Kurt Neumann (1950) ou Project Moon Base de Richard Talmadge (1953). Quête de réalisme aussi pour les astronautes de Riders to the Stars (Richard Carlson, 1954) chargés de capturer des météorites pour les étudier de près, tandis que This Island, Earth (Les Survivants de l'infini de Joseph Newman, 1956) invente la planète Metaluna pour évoquer plausiblement, et pêle-mêle, les thèmes des voyages interstellaires, de l’évolution biologique et des risques de la radioactivité.

Les décennies suivantes, calquant les exploits réels des cosmonautes, nombre de films adopteront plutôt une dimension documentaire historique, tels que Countdown de Robert Altman (1968), revenant sur la course entre les Russes et les Américains pour la conquête de la Lune, The Right Stuff (L’Étoffe des héros, Philip Kaufman, 1983) retraçant l’épopée des premiers vols spatiaux ou encore Apollo 13 (Ron Howard, 1995) qui reconstitue la célèbre mission lunaire interrompue de 1970 (« Houston, we have a problem »).

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Apollo 13, Ron Howard - L’Étoffe des héros, Philip Kaufman - Moon, Duncan Jones

Enfin, en terme d’intrigue, Destination Moon, en développant son climax sur la peur du non-retour, de l’impossibilité à pouvoir quitter la Lune, se trouvera de nombreux héritiers dont, par exemple, le documenté Marooned (Les Naufragés de l’espace, John Sturges, 1969) ou l’intrigant et paranoïaque Moon de Duncan Jones  (2009).

 


 

2 Le film accompagne en avant-programme la sortie en salle de la production Disney/Pixar Brave (Andrews, Chapman, Purcell, 2012).

3 Lotte Eisner, Fritz Lang, Les Cahiers du Cinéma/ Les éditions de l'étoile, Paris, 1984, p. 129.

4 Il fut l’un des auteurs phares de la revue Astounding Science-Fiction, aujourd’hui intitulée Analog Science Fiction and Fact.

5 Impossible en effet de ne pas retrouver les influences visuelles de Destination Moon dans les albums Objectif Lune (1953) et On a marché sur la Lune (1954).

6 WALL-E, Andrew Stanton, 2008.

Mars, la rouge

aelitaS’il faut attendre les années 50 pour que Mars et ses martiens deviennent la nouvelle menace préférée de la SF américaine, métaphore explicite du péril rouge communiste, la planète terrible apparaît cependant dans quelques films pionniers, dont le film d’aventure danois Himmelskibet (À 14 millions de lieues de la Terre), réalisé par Holger-Madsen en 1917, relatant une première expédition pour Mars. Le célèbre et très hétéroclite Aelita (photo ci-contre), probable premier film de science-fiction soviétique muet, réalisé par Yakov Protazanov, date de 1924. Cette superproduction politique et artistique, difficile à résumer, entraine un ingénieur aéronautique dans une rêverie martienne à la suite de la réception d’un énigmatique message parvenu du fin fond de l’espace. Il découvre une planète spectaculaire aux formes angulaires (le constructivisme des décors, costumes et accessoires d’Aleksandra Ekster et Isaac Rabinovich émerveillent) et surtout l’érotisme de la Reine Aelita, fille d’un despote partagée entre rêve de rébellion et soif de pouvoir. Martiens et prolétariens, même combat. 

On le comprend, Mars la lointaine, Mars la martiale, invite un imaginaire différent, sinon moins poétique que celui de la lune, certainement plus belliqueux. Mars semble avoir posé inlassablement au cinéma la question de l’existence, généralement hostile, d’une autre forme de vie. Le thème est un imposé de la science-fiction hollywoodienne. Les astronautes de Rocketship XM, en mission pour la Lune, échouent finalement sur Mars et sont attaqués par les derniers survivants de la planète. Mêlant habilement souffle épique et souci du vraisemblable, Conquest of Space de Byron Haskin (1955) fait de Mars bien plus qu’un décor : c’est en effet la planète elle-même qui semble ne pas vouloir se laisser coloniser et mettre en péril ses explorateurs terriens. Quelques années plus tard, le même réalisateur offrira une nouvelle jeunesse, un nouveau cadre et de nouveaux ennemis au personnage de Robinson Crusoe (Robinson Crusoe on Mars, 1964). Par excellence, Mars incarne le lieu absolu de toutes les altérités, comme en témoignent encore récemment les films de John Carpenter (Ghost of Mars, 2001) ou d’Andrew Stanton (John Carter, 2012), même si ces altérités nous renvoient à nos propres origines (le final faussement déroutant de Mission to Mars de Brian de Palma en 2000) ou notre propre identité (Total Recall, Paul Verhoeven, 1990). Enfin, Mars n’apparait pas seulement comme une terre fort peu accueillante pour ses visiteurs étrangers, elle est aussi l’arrière base d’un peuple d’envahisseurs comme le découvrent inopinément les cosmonautes de Flight to Mars (Lesley Selander, 1951). Les explorateurs rencontrent d’abord des martiens fort aimables, aux tenues colorées, pratiquant un anglais parfait et proposant cordialement leurs services pour réparer la fusée des Terriens endommagée, avant de s’apercevoir que les extra-terrestres fomentent en vérité un terrible plan d’invasion de la Terre. Les titres des films qui suivent sont d’ailleurs on ne peut plus explicites quant à la barbarie et aux intentions répétées de ces créatures de « l’outer space », de Invaders from Mars (Les Envahisseurs de la planète rouge, 1953) de William C. Menzies (et son remake de 1986 par Tobe Hooper)  à Mars Attacks ! de Tim Burton en 1996, sans oublier The War of the Worlds (La Guerre des Mondes, de Byron Haskin en 1953 et la version de Steven Spielberg, le grand cinéaste-imagier des extra-terrestres, en 2005).

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Robinson Crusoe on Mars, Byron Haskin - Mission to Mars, Brian De Palma

Plus rarement, Mars a pu apparaître comme une Terre de substitution, une planète de secours et d’accueil, un nouvel Éden possible, mais, comme chacun s’en doute, aucun corps céleste ne se laisse si facilement conquérir (Red Planet, Anthony Hoffman, 2000). À l’heure de l’écriture de ces lignes, une série de photomontages circule énormément sur Internet : on y voit le rover Curiosity systématiquement berné par des Aliens bien connus des cinéphiles. Une manière d’affirmer une fois de plus la suprématie de la force des images cinématographiques sur celles de la science.

Space Opera

Comme tout film de genre, le récit de science-fiction est un récit d’évasion. Le voyage dans l’espace, la découverte d’autres planètes, d’autres mondes, d’autres formes de vie offrent à l’aventurier qui sommeille en chaque spectateur son lot de rêves et d’émotions. Empruntant aux comics américains ses formes romanesques, ludiques et mélodramatiques, son décorum bariolé et ses personnages étincelants, le cinéma convoque son armada d’artifices sonores et visuels pour conter d’épiques et fabuleuses odyssées spatiales. Le serial Flash Gordon (réalisé par Stephani et Taylor) et la série télévisée Star Trek (fondée par Gene Roddenberry en 1960, et les onze longs-métrages qui en découlent), l’épopée Star Wars (la double trilogie de George Lucas débutée en 1977) ou la saga Alien (entamée par Ridley Scott en 1979), les séries récentes Firefly (Joss Whedon, 2002) ou Battlestar Galactica (Ronald D. Moore, 2004), les chefs d’œuvre et classiques du cinéma Forbidden Planet (Fred M. Wilcox, 1956) et 2001, A Space Odyssey (Stanley Kubrick, 1968), les pacotilles rutilantes de Barbarella (Roger Vadim, 1968), les hantises de Event Horizon (Paul W.S. Anderson, 1998) ou les psychoses de Sunshine (Danny Boyle, 2007), pour ne citer que quelques titres parmi des milliers d’autres, sont des œuvres fantasques ou réalistes, exaltées ou mesurées, métaphysiques ou anecdotiques, mais qui toutes inventent avec force les images de l’incommensurable.

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A Space Odyssey, Stanley Kubrick - Star Trek - Sunshine, Danny Boyle

Souvent à la croisée des genres (fantastique, fantasy, épouvante, drame, film de guerre ou film de sabre, aventures maritimes, auxquelles la SF emprunte son vocabulaire, et bien entendu western ; la conquête de l’espace modernisant les motifs de la conquête de l’Ouest, comme le rappellent si bien le dessin animé Toy Story7, à travers la confrontation de ses deux protagonistes Woody le cow-boy et Buzz le cosmonaute, ou les vétérans Space Cowboys de Clint Eastwood8), ces films passionnent souvent par l’inventivité de leur mise en scène. Comment, par exemple, représenter le voyage dans l’hyperespace, la vitesse, la traversée d’années-lumière (la lenteur majestueuse des vaisseaux-cargos de 2001 A Space Odyssey, Alien, Battlestar Galactica, Prometheus9 ou les effets de trajectoire lumineuse de Star Trek et Star Wars) ? L’apesanteur (les trucages de plexiglas de Barbarella, le fameux tambour cylindrique de 2001, les trucages numériques de Mission to Mars) ? Les forces d’attraction des astres et autres trous noirs (Dark Star de John Carpenter en 1974, The Black Hole de Gary Nelson en 1979) ? Les concepts mêmes d’énergie, d’espace-temps, d’infinitude ? Enfin, à travers décors, accessoires, maquillages, effets optiques et numériques, comment représenter le futur, l’ailleurs, et l’autre ?

Pour Boris Vian, le malheur du cinéma, comparé à la littérature comme moyen d'expression de la science-fiction, réside en son manque de capacité à l’abstraction10. Le film est condamné à matérialiser. Il est autorisé de penser l’inverse : le plaisir et le bonheur du cinéma tiennent à son inéluctable et périlleuse concrétude. Si le film de science-fiction peut s’avérer passionnant, c’est aussi parce que le cinéma, pour le pire comme pour le meilleur, est un prodigieux inventeur de formes.

Dick Tomasovic
Août 2012

microgris

Dick Tomasovic enseigne au Département des Arts et Sciences de la communication -  Théories et pratiques du spectacle (vivant ou enregistré).

Voir son Parcours Chercheur sur Reflexions


 

Références bibliographiques

-          Jacques Siclier et André S. Labarthe, Images de la science-fiction, Ed. du Cerf, Paris, 1958.
-          Jean-Pierre Bouyxou, La Science-fiction au cinéma, Union Générale d’Éditions, 10/18, Paris, 1971.
-          ‪Vivian Sobchak, Screening Space : ‪The American Science Fiction Film, ‪Rutgers University Press, New York, ‪1997.
-          Christine Cornea, Science Fiction Cinema, ‪Edinburgh University Press, Edinburgh, 2007.
-           Michel Chion, Les Films de science-fiction, Cahiers du cinéma, Paris, 2008.
-          Éric Dufour, Le Cinéma de science-fiction, Armand Colin, Paris, 2011.


7 Réalisé par John Lasseter en 1995.

8 Réalisé en 2000.

9 Réalisé par Ridley Scott en 2012.

10 Pierre Kast et Boris Vian, “Entretien autour de la science-fiction” in L’Écran, n° 1, janvier 1958, cité par J. Siclier et A.S. Labarthe, Images de la science-fiction, Paris, Éd. du Cerf, 1958, p. 82.


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