Les mouvements de jeunesse : un mouvement citoyen

Dotés d’une étonnante capacité d’adaptation à l’air du temps, les mouvements de jeunesse ne désemplissent pas, en particulier en Belgique, l’un des pays les plus « scouts » du monde. Peu d’« entreprises » ont en effet réussi à traverser les modes avec autant d’aisance, dans un savant mélange d’engagement et de lâcher-prise, d’individualisme et de collectif. Un cocktail qui agace parfois, pose question souvent mais que saluent les « scouts toujours » pour qui conflits idéologiques et pressions de la modernité pèsent bien peu face à la « magie d’un feu de camp ».

© Les Scouts

Les Scouts copyright photos presse (13) Feu campFaut-il rappeler que c’est à un officier général de l’armée britannique, le bien connu Baden-Powell, que l’on doit le premier camp scout de l’histoire, en 1907 ? Même si le mouvement a bien évolué depuis plus d’un siècle, il faut reconnaître qu’à l’ère de  l’individualisme roi et de l’égalitarisme, cette inspiration militaire, avec la prégnance d’une structure très hiérarchique pourrait légitimement laisser croire en sa déliquescence prochaine, si pas entamée. De même, comment ne pas s’étonner que ces mouvements, dont l’histoire et les valeurs sont, dans notre pays, étroitement liées au catholicisme, n’aient pas connu de franc désaveu avec la montée des valeurs de laïcité ? Car en réalité, loin des polémiques, les mouvements de jeunesse poursuivent encore et toujours leur formidable success-story... Et la Belgique, certainement pas en reste, confirme aujourd’hui sa place – aux côtés du Royaume-Uni, pays fondateur – de pays le plus « scout » du monde, notamment parce que le scoutisme n’a pas été stigmatisé chez nous comme ayant été l’instrument de partis ou de régimes forts, comme le précise Jacques Defourny, économiste.

Avec quelque 100 000 jeunes adhérents en Belgique francophone répartis en quatre grandes fédérations – les Scouts, les Guides catholiques de Belgique, la Fédération nationale des Patros, les Scouts et Guides Pluralistes de Belgique –  les mouvements de jeunesse se portent bien. Très bien. 10 % de la population « jeune » les fréquentent, en ville comme à la campagne, et dans une relative mixité sociale, même si le public varie aussi en fonction des fédérations. En tant qu’adhérent, ancien adhérent ou parent d’adhérent, on estime ainsi qu’en Belgique, une personne sur deux est concernée par les mouvements de jeunesse.

Former des CRACS

Une de leur grande force ? Ne s’être jamais laissés embraser totalement par la polémique. Ainsi, en 2008, et malgré quelques remous, les Scouts ont abandonné sur le bas-côté le qualificatif « catholique » dans un souci de « pluralisme » et malgré le rôle central que joua l’Église dans son histoire. Cette adaptation terminologique, considérée comme opportunisme par certains, n’aurait pourtant en rien entamé les valeurs du mouvement. D'autres mouvements de jeunesse catholiques restent, pour le moment du moins, attachés à leur histoire, tout en réfléchissant à une modernisation. Il y a toujours eu une protection des valeurs centrales, sur lesquelles rien n’est concédé. Même si on supprime le C des Scouts et la référence à Dieu dans la promesse, sur le fond, on garde cette forme d’ouverture à une spiritualité, qu’elle soit religieuse ou laïque, commente Jacques Defourny.
 

Il existe d’ailleurs aujourd’hui un consensus très clair au sein des différentes fédérations : le but des mouvements de jeunesse est de former des « CRACS », entendez des « citoyens responsables, actifs, créatifs et solidaires ». S’il ne s’agit plus de « servir Dieu »,  on entend donc se retrouver autour de valeurs qui constituent aujourd’hui le plus grand dénominateur commun de nos sociétés.

© Le Patro

patro 4On peut se demander, bien sûr, ce qu’il y a de vaguement inquiétant à ce que ce rôle soit explicitement confié à des activités dites « de loisir » qui ne touchent malgré tout qu’un jeune sur dix... lorsqu’on pourrait attendre de l’école qu’elle l’assume de manière systématique. Mais pour les défenseurs des mouvements de jeunesse, c’est précisément dans une structure hybride, qui mêle détente et responsabilité, « cadre » et « hors cadre », que peut s’élaborer – ou disons se préciser – la notion de citoyenneté. La citoyenneté est aujourd’hui redéfinie, explique le sociologue Jean-François Guillaume. Nous ne sommes plus dans des sociétés industrielles ou des États-Nations : être citoyen, ce n’est plus être un bon petit soldat, saluer au drapeau, ce qui à un moment fut aussi, il est vrai, l’idée du scoutisme, mis au service d’un projet national, nationaliste, voire très discutable dans les régimes totalitaires. Je pense qu’il faut lire aujourd’hui cette notion de citoyenneté au travers des quatre dimensions définies par le sociologue français d’origine grecque Constantin Xypas :

-          la citoyenneté politique, c’est-à-dire la capacité à prendre part au débat politique, démocratique et qui se traduit par exemple par les délégués de classe, le conseil des usagers ;

-          la citoyenneté juridique qui recouvre les règles propres à un état de droit qui permettent de vivre ensemble, l’idée aussi que dans les normes et les infractions, il y a une hiérarchie ;

-          la citoyenneté éthique, qui signifie que la citoyenneté se nourrit aussi d’une vision du monde et qui a beaucoup à voir aujourd’hui avec le développement durable, le respect des générations futures, la solidarité avec le Sud et l’autre vulnérable, une citoyenneté souvent mise à l’honneur aujourd’hui dans les mouvements de jeunesse et contraire à l’idéal national qui a pu prévaloir ;

-        et enfin la citoyenneté affective, ce qui signifie « faire cause commune », se sentir « lié à », par exemple dans ces moments où l’on refait le monde autour d’un casier de bières... C’est partager le plaisir, qui est une dimension importante, mais pas seulement : c’est aussi partager un projet.

Savant équilibre, toujours, entre plaisir et responsabilité mais aussi entre impératif d’épanouissement personnel (apprendre à être « soi-même ») et valorisation du collectif (« ce qu’ensemble nous pouvons »). Le but du mouvement de jeunesse, c’est de passer du groupe à l’équipe, de se mobiliser ensemble et ça, c’est un apprentissage précieux, commente Jean-François Guillaume. Dans des sociétés où il faut sans cesse « tirer son épingle du jeu », que ce soit au travail ou l’école, dans des sociétés de la performance et de l’évaluation permanentes, la possibilité de l’échec génère une angoisse démesurée et autant de sentiment de solitude. En particulier chez des adolescents pris dans la tourmente identitaire. L’espace d’expérimentation d’un mouvement de jeunesse sert aussi à alléger un peu ce poids du projet individuel qu’on met sur les épaules des jeunes. Ensemble, on peut partager les risques et les bénéfices, poursuit le sociologue.


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