Figures de la Vierge dans le Trésor de la Cathédrale
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Le christianisme occidental des premiers siècles a ceci de particulier qu'il a fermement condamné l'idolâtrie - c'est-à-dire l'adoration d'objets créés par Dieu (arbre, pierres...) ou par les hommes (images) - tout en imaginant, comme instrument de médiation entre la société des hommes et le transcendant, un cortège de figures saintes. Or, ces figures saintes commencèrent à être abondamment représentées en images au tournant du premier millénaire : le visible devait dire l'invisible.

Au XIe siècle, la figure mariale se détache du peloton et prend une place de prime importance tant dans l'art que dans les pratiques religieuses de l'Occident. Ses images cristallisent les dévotions et sont intégrées dans des usages cultuels publics ou privés voire utilisées comme support aux visions mystiques. Les Vierges médiévales de bois ou de laiton qu'abrite le Trésor, portant leur Enfant sur leurs genoux ou délicatement appuyé sur leurs hanches, ont elles aussi fonctionné dans des contextes liturgiques, cultuel, dévotionnel et spirituel déterminés.

S'il est difficile d'en connaître la nature précise, on peut en tout cas affirmer que ces images jouaient un rôle central dans le dialogue entretenu par les hommes avec Dieu. Médiatrice par excellence, la Vierge médiévale était le foyer vers lequel se concentraient les prières des fidèles qui espéraient les voir relayées efficacement vers les instances célestes. D'autre part, si la Vierge était censée assurer des liens verticaux entre nature et surnature, elle était aussi chargée de pourvoir à la cohésion horizontale entre les hommes. Elle fut donc une forte figure identitaire, fixant des sentiments communautaires sur un plan autant global que local. La Vierge, Mère de Dieu, est proclamée comme la figure de l'Église et préside dès lors l'expansion de la Chrétienté. Lorsque cette dernière explosera, notamment par le refus des protestants de reconnaître quelque valeur médiatrice à cette humaine choisie par Dieu pour s'incarner, Marie focalisera les plus ardentes aspirations catholiques et sera portée haut par Rome comme fier étendard de sa reconquête.

Photo : Gérard de Bêche, La Vierge des Avocats, 1664. Argent, 142 cm

 

 

Mais si Marie a œuvré à un niveau global, elle a également agi comme figure des collectivités locales, rassemblant autour d'elle des villes, des paroisses, des communautés monastiques, des confréries de métiers qui l‘ont choisie comme patronne et protectrice. La Vierge universelle s'est alors démultipliée en Vierges locales que les communautés ont reconnues comme « leur » Vierge. Ses traits plastiques, ses couleurs, ses habits... bref, son image locale et l'histoire légendaire de celle-ci, ont individualisé Marie et en ont fait le référent de groupes plus ou moins restreints. L'attachement à la Vierge, enfin, s'est aussi manifesté sous des formes privées. On peut ainsi penser à la « Vierge au Papillon », huile sur bois suspendue sur la pierre tombale du chanoine du chanoine Pierre de Molendino (†1459).

 

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La Vierge au papillon. Tableau épitaphe de Pierre de Molendino (†1459). Huile sur bois, 100 x 92 cm

La figure de Marie fut certainement, à partir du XIe siècle, la référence majeure des dévotions personnelles et communautaires de l'Occident chrétien puis catholique. Cette figure référentielle se déclina toutefois également en de multiples formes et assuma différentes fonctions. Figure à la faible épaisseur biblique et historique, elle fut « imaginée », pensée, façonnée au gré des besoins et des attentes changeantes d'une Église qui rêvait d'être immuable mais dont la nature profondément historique lui interdisait d'entretenir cette illusion. Si l'esthète appréciera aujourd'hui les sourires mutins ou la douceur maternelle de la Madone, l'historien se souviendra que ces images-objets disent des temps et des formes de religion.

 

Annick Delfosse
Mai 2009

 

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Annick Delfosse est chargée de recherches du FNRS à l'Université de Liège et consacre ses travaux à l'étude du catholicisme tridentin. La figure mariale retient particulièrement son attention.

 


 

Pistes bibliographiques :

Jérôme Baschet et Jean-Claude Schmitt (éds), L'image. Fonctions et usages des images dans l'Occident médiéval, Paris, Le Léopard d'Or, 1996.

Sylvie Barnay, Le ciel sur la Terre. Les apparitions de la Vierge au Moyen Age, Paris, Le Cerf, 1999.

Dominique Iogna-Prat et al. (éds), Marie. Le culte de la Vierge dans la société médiévale, Paris, Beauchesne, 1996.

 

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