La bande dessinée, évolution et surproduction

Le monde de la BD est aujourd'hui confronté à une surproduction de titres. Faut-il s'en réjouir ou s'en désoler ? C'était la question centrale posée lors de l'Université d'été d'Angoulême, et donc du livre qui en réunit les actes, L'État de la bande dessinée (Les Impressions Nouvelles). L'afflux d'albums, initié dans les années 1990 par Glénat qui s'est mis à proposer des parutions mensuelles et non plus trimestrielles, entraînant à sa suite l'ensemble de ses confrères, et amplifiée avec la naissance d'éditeurs prolifiques (Soleil, Bamboo, Emmanuel Proust, etc.), ne va pas sans poser des problèmes aux libraires (stockage, vie réduite des titres, retours...), aux journaliste spécialisés incapables de tout lire et même aux lecteurs potentiels qui, ne sachant pas toujours à quoi s'accrocher, se rabattent sur des séries « sûres ». Quant aux auteurs eux-mêmes, s'ils sont débutants ou peu connus, ils voient trop souvent leurs œuvres perdues dans la masse.

BD Besson

Mais cette surabondance ne reflète pourtant par l'état du marché. Si, en six ans, les nombre de sorties a augmenté de 156%, celui-ci n'a en effet progressé que de 17% en volume. La diffusion des albums, qui n'ont plus que deux semaines  «d'existence réelle» contre un mois auparavant, fait le grand écart: tandis que les séries phares (Astérix, Titeuf, Le Petit Spirou, Cédric, Boule et Bill, XIII...) se vendent toujours très bien, mais moins bien qu'au début de la décennie (la baisse pouvant aller jusqu'à 67%), les bandes dessinées qui s'écoulaient à 6000 ou 7000 exemplaires ne touchent plus, aujourd'hui, que 2000 ou 3000 lecteurs.

Malgré tout, la majorité des intervenants représentatifs du secteur (éditeurs, libraires, critiques, auteurs, spécialistes) semble plutôt se réjouir de cette profusion. Parce qu'elle permet à de très nombreux dessinateurs et scénaristes de s'exprimer et d'offrir, pour certains d'entre eux, des albums de très grande qualité. Parce qu'elle est synonyme d'une plus grande diversité, d'une ouverture à de nouveaux domaines – l'enquête, le reportage, l'intime. Elle a aussi favorisé l'apparition de séries thématiques multi-auteurs (Le Décalogue, Le Triangle Secret, Quintett, Secret...) ou le développement d'un sous-domaine, celui des adaptations littéraires. Mais, surtout, cette abondance témoigne de la vitalité d'un genre qui, pourtant, estime Xavier Guilbert, rédacteur en chef d'un site alternatif consacré à la BD, souffre toujours d'un déficit de popularité, touchant en priorité certaines classes d'âges et catégories socioprofessionnelles.

Mais comment la bande dessinée va-t-elle négocier le virage du numérique, à laquelle elle est déjà liée par le bais de sites spécialisés de qualité et de blogs de plus en plus nombreux ? Benoît Peeters a raison de souligner que « les phénomènes de collection, voire de fétichisme, ont été constitutifs de l'engouement pour la bande dessinée et essentiels dans le développement des libraires spécialisées ». Et de se poser la question: « Que deviendra la bande dessinée le jour  – très prochain je crois – où elle existera surtout comme une histoire à lire et non pas comme un objet à posséder ? Cela modifiera-t-il profondément la création ? » À suivre, donc.

 

Michel Paquot
Avril 2009

 

Benoît Peeters enseigne les Pratiques de l'édition au Département des Arts et Sciences de la Communication de l'ULg

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Michel Paquot est journaliste indépendant, spécialisé dans les domaines culturels et littéraires.

 

 


 

L'État de la bande dessinée, (collectif), sous la direction de Benoît Peeters. Les Impressions nouvelles, 223 pages. Illustrations de Mathieu Sapin.

 

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