Debout sur la langue est le deuxième recueil d'Antoine Wauters, un jeune poète liégeois plein de promesses, qui vient de recevoir le prix Polak de l'Académie royale. On est frappé à la lecture de cet opuscule par sa très grande cohérence, tant formelle que thématique.
Debout sur la langue est composé de poèmes en prose, épousant tous à peu près la même longueur et occupant chacun le milieu d'une page. La cohérence est ainsi déjà visuelle : quand on feuillette le recueil, on est face à une série de rectangles de texte qui se suivent et se ressemblent.
Ensuite, les poèmes obéissent à un même usage particulier de la syntaxe et de la ponctuation. Chaque texte alterne les longues phrases où les mots semblent se bousculer et les phrases courtes, qui se résument parfois à deux mots : « Du feu », par exemple (p. 21). Il arrive aussi que les verbes soient employés à l'infinitif ou à l'impératif là où on attendrait un indicatif : « Parle sans goût de bouche, hors de moi, absenté sous la cosse, l'écrin nu de la peau » (p. 22).
De quoi est-il question dans ces poèmes ? D'une sorte de réflexion abstraite sur la langue, réflexion qui se fait parfois tautologique ou qui se traduit par une quête des origines, une recherche paradoxale d'une « parole d'avant le mot » (p. 7), d'une langue corporelle qui ne serait que rythme, « battement sourd, régulier » (p. 4). Le but est sans doute d'échapper ainsi à « cette muqueuse malade qu'est devenue la communication » (p. 15) et de se libérer, par l'écriture poétique, de l'emprise totalitaire de la langue : « Là où je crois dire, je ne dis rien encore. Là où je crois parler, ce sont les mots qui me parlent » (p. 18).
Y aurait-il une tradition de poésie liégeoise ? En lisant Antoine Wauters, on songe parfois à Izoard (par exemple quand les phrases se mordent la queue, comme, p. 26, « La parole est à trouver dans la parole ») ou au Savitzkaya de Mongolie plaine sale (avec des phrases essoufflées comme « Langue d'eau, je la cours, roue d'à-coups sa couleuvre, ses membranes aux doigts gourds » (p. 24)). Mais, à partir de ces influences formelles, Antoine Wauters élabore une poétique très personnelle, de nature plus philosophique que celle de ses glorieux aînés. Un poète à suivre.
Laurent Demoulin
Avril 2009
Laurent Demoulin est docteur en Philosophie et lettres. Ses recherches portent sur le roman contemporain belge et français, ainsi que sur la poésie du XXe siècle.