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La langue contre la langue

20 avril 2009
La langue contre la langue

Wauters

Debout sur la langue est le deuxième recueil d'Antoine Wauters, un jeune poète liégeois plein de promesses, qui vient de recevoir le prix Polak de l'Académie royale. On est frappé à la lecture de cet opuscule par sa très grande cohérence, tant formelle que thématique.

Debout sur la langue est composé de poèmes en prose, épousant tous à peu près la même longueur et occupant chacun le milieu d'une page. La cohérence est ainsi déjà visuelle : quand on feuillette le recueil, on est face à une série de rectangles de texte qui se suivent et se ressemblent.

Ensuite, les poèmes obéissent à un même usage particulier de la syntaxe et de la ponctuation. Chaque texte alterne les longues phrases où les mots semblent se bousculer et les phrases courtes, qui se résument parfois à deux mots : « Du feu », par exemple (p. 21). Il arrive aussi que les verbes soient employés à l'infinitif ou à l'impératif là où on attendrait un indicatif : « Parle sans goût de bouche, hors de moi, absenté sous la cosse, l'écrin nu de la peau » (p. 22).

De quoi est-il question dans ces poèmes ? D'une sorte de réflexion abstraite sur la langue, réflexion qui se fait parfois tautologique ou qui se traduit par une quête des origines, une recherche paradoxale d'une « parole d'avant le mot » (p. 7), d'une langue corporelle qui ne serait que rythme, « battement sourd, régulier » (p. 4). Le but est sans doute d'échapper ainsi à « cette muqueuse malade qu'est devenue la communication » (p. 15) et de se libérer, par l'écriture poétique, de l'emprise totalitaire de la langue : « Là où je crois dire, je ne dis rien encore. Là où je crois parler, ce sont les mots qui me parlent » (p. 18).

Y aurait-il une tradition de poésie liégeoise ? En lisant Antoine Wauters, on songe parfois à Izoard (par exemple quand les phrases se mordent la queue, comme, p. 26, « La parole est à trouver dans la parole ») ou au Savitzkaya de Mongolie plaine sale (avec des phrases essoufflées comme « Langue d'eau, je la cours, roue d'à-coups sa couleuvre, ses membranes aux doigts gourds » (p. 24)). Mais, à partir de ces influences formelles, Antoine Wauters élabore une poétique très personnelle, de nature plus philosophique que celle de ses glorieux aînés. Un poète à suivre.

Laurent Demoulin
Avril 2009

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Laurent Demoulin est docteur en Philosophie et lettres. Ses recherches portent sur le roman contemporain belge et français, ainsi que sur la poésie du XXe siècle.

 


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