Serge Delaive, Une langue étrangère


(L'Arbre à Paroles, 91 p.), 2008

delaive

Serge Delaive n'est pas un élégiaque : il est au-delà : Cette fois encore je ne trouverai rien / Sinon la blessure du soleil au petit matin. « Écorché » sentirait le cliché, « blessé », l'indiscrétion. Il écrit au couteau des poèmes qui ne s'embarrassent guère de joliesse ou de coquetterie formelle. Pourtant l'humour (gris), le sens du rythme (jazz), un art de la formule ou de la figure sont bien là :

Ne sois pas déçue
Range ce regard dans sa gaine
Tu n'y es pour rien
Je veux juste rester seul
Car ce soir j'ai un rendez-vous
Dans les soubassements
De mon crâne

Poèmes sombres et rouges à la fois, pudiques-impudiques :

Rongé par la douleur
je ne voyais plus d'issue
quarante ans sonnés
un trou dans le ventre
et ma tête pantelante
au bout d'une corde
c'était la fin de la route
tout simplement

Mais aussi l'amour, le désir, les enfants, l'amitié, la poésie, l'écriture.

Langue étrangère : d'abord parce que Delaive s'essaie avec bonheur à quelques poèmes écrits directement en anglais, italien ou espagnol :

I sit on a ladder
still and quiet
facing the void
somewhere between
a top and a bottom
that I cannot see
lost across the clouds
moving like slow bubbles
any sound but the one
in my soul
hurling itself
towards an infinite sky
one could think
I would die
but it's a mistake
I just wish to dive.

Mais sans doute aussi pour dire que la langue est toujours étrangère à l'expérience, à la douleur : Je parle une langue morte.

Le poème est inhabitable, conclut-il. Pourtant un homme est tout entier l'occupant lucide de ces poèmes-là.

http://www.sergedelaive.net/

Gérald Purnelle
Avril 2009

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Gérald Purnelle est docteur en Philosophie et lettres, philologue classique de formation. Ses recherches actuelles à l'ULg ont pour principal objet la métrique, l'histoire des formes poétiques et la poésie française des XIXe et XXe siècles.