Delvaux : L’Origine du Monde

Dans cet itinéraire, ce lent et patient cheminement parcouru par Delvaux, il y a quelques étapes-clés, des passages ou des carrefours importants, où le voyage prend son sens.

En 1943, Le Musée Spitzner est une évocation du choc qu'avait produit la visite de la baraque foraine du Docteur Spitzner sur le jeune Paul Delvaux : « Toutes les Vénus endormies que j'ai faites viennent de là. Même celle qui est à Londres, à la Tate Gallery. C'est une transcription exacte de La Vénus endormie du Musée Spitzner, mais alors avec des temples grecs ou avec des mannequins, tout ce que vous voulez. C'est autre chose (...) mais le sentiment profond, c'est celui-là ». Dans le monde de Delvaux, les femmes nues au visage inexpressif sont l'objet d'une fascination émerveillée et inquiète : elles attirent et repoussent, et offrent leur sexualité avec une évidence tranquille, comme une promesse ou un rêve d'étreinte jamais accomplie.

Delvaux
 
 
 
 
 
De l'animal à l'homme - Rencontre avec Paul Delvaux, Gérard Lippert, Blondé Artprinting International, 1997 (cliquez sur la couverture pour la voir en plus grand)
 
 
 
 
 
 
 

A partir de la fin des années ‘30, l'œuvre prend cette allure de périple initiatique évoqué par Jean Clair : Les Phases de la lune I (1939, New York, The Museum of Modern Art), La Vénus endormie (1944, London, The Tate Gallery) sont quelques-uns des tableaux pivots, où apparaissent avec force les leitmotivs de l'imaginaire de Delvaux. C'est à cette époque qu'apparaît la figure du professeur Otto Lidenbrock, le savant minéralogiste du Voyage au centre de la terre de Jules Verne. Il hante de nombreuses toiles, seul ou en compagnie d'autres savants, penché sur quelque échantillon, aveugle à la nudité des Vénus qui l'entourent. Dans l'Hommage à Jules Verne (1971, collection particulière), l'évocation est particulièrement explicite. Gérard Farasse décrypte la métaphore du  périple paléontologique et géologique du Voyage au centre de la terre : « Ce périple chtonien est une exploration du corps féminin, une spéléologie intime : tunnels, galeries, gouffres, grottes, cavernes, cryptes dessinent une géographie du corps maternel, le corps de l'origine. Le roman se développe, à partir de cet ombilic, en suivant le cours de la gestation des différentes ères géologiques, depuis le primaire jusqu'au quaternaire. Sur le point d'amorcer sa descente, juste avant de pénétrer dans l'orifice du puits qui s'ouvre au fond du cratère, Axel aura une dernière pensée pour Graüben : « un de mes souvenirs s'envola vers ma jolie Virlandaise, et je m'approchai de la cheminée centrale. »

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La Genèse est au bout du voyage : aux confins de l'Océan primordial, dans l'amnios du monde, paysage des premiers matins, buffles, élans, boucs et rhinocéros, reflet de la Lune dans l'eau matricielle, Vestales impubères ou androgynes, souffle lointain des volcans,... nous sommes arrivés à l'horizon du Temps, là où se met en mouvement la Genèse du Vivant, là où, rythmé par la métamorphose des roches et des plantes, le Monde est Femme et porte en lui l'infinité des possibles.

Au fronton néoclassique de l'Institut de Zoologie, les effigies de Charles Darwin et d'Édouard Van Beneden veillent sur la Genèse de Paul Delvaux.

 

photo © Michel Houet -ULg

Jean Housen
Mars 2009

 

icone crayon
Jean Housen est historien de l'art. Il est conservateur du  Musée en Plein Air de l'Université de Liège au Sart-Tilman et collaborateur d'Art&fact.

 

 


 

Bibliographie
Michel BUTOR, « Le rêve de Paul Delvaux », dans Francis DE LULLE (dir.), Delvaux, Paris, La Bibliothèque des Arts, 1975, pp. 14-53.
Jean CLAIR, « Un rêve biographique », dans Francis DE LULLE (dir.), Delvaux, Paris, La Bibliothèque des Arts, 1975, p. 80.
Gérard FARASSE, « Paul Delvaux, cristallographe », dans Lettres de château, Villeneuve d'Ascq, Septentrion - Presses Universitaires, 2008, p. 34.

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