Une histoire de l’Amérique sous le regard de Paul Auster

A travers les insomnies d'un critique littéraire à la retraite, Paul Auster imagine une autre histoire de l'Amérique. Avec Seul dans le noir, son nouveau roman, c'est comme si, en lieu et place des attentats du 11-Septembre, une nouvelle guerre civile s'était déclenchée au sein même de son pays.

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Lorsqu'il est venu à l'Université de Liège, lors de la rentrée académique de septembre 2007, pour recevoir son titre de Docteur honoris causa, Paul Auster terminait l'écriture d'un roman, dont il n'avait souhaité dire qu'une chose : il serait d'une certaine façon inscrit dans la proximité des événements du 11-Septembre. Le propos était suffisamment ouvert pour ne pas suggérer d'interprétation précise, même si l'on se souvient que la dernière page de Brooklyn Follies (Actes Sud, 2005) se bouclait le matin même de l'effondrement des Twin Towers. Et, effectivement, avec Seul dans le noir, son nouveau roman paru début janvier, Auster a bien écrit un roman parallèle à l'histoire récente de l'Amérique.

Le narrateur et personnage principal, August Brill, est condamné à l'immobilité suite à un accident de voiture. Il a trouvé refuge auprès de sa fille Miriam, qui dans le même temps accueille sous son toit sa fille Katya, et la petite-fille d'August. Unis par ces liens familiaux, les trois personnages de ce huis-clos tantôt mélancolique tantôt amer, le sont également par le deuil et la douleur : critique littéraire à la retraite et quelque peu désœuvré, August a perdu récemment son épouse. Miriam ne se remet pas d'un divorce prononcé cinq ans plus tôt. Katya pleure la disparition de son petit ami Titus, avec qui elle avait rompu récemment, et qui est mort tragiquement en Irak.

Paul Auster, Seul dans le noir. Traduit de l'américain par Christine Le Bœuf, Actes Sud, 182 p. 
 

Les lecteurs familiers d'Auster ne seront pas dépaysés par la suite du récit, qui se joue durant les longues nuits d'insomnie d'August, effectivement souvent Seul dans le noir. Auster y enchâsse une série d'histoires dont il a le goût - comme beaucoup de ses lecteurs et lectrices -, reliant chacun des trois protagonistes. Histoires qui se révèlent également à la faveur des mémoires dont August a entrepris tant bien que mal la rédaction.

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Paul Auster lisant des extraits de Seul dans le noir chez PassaPorta, à Bruxelles, le 18 juin 2008
Photo Alain Delaunois - reproduction interdite

Les blessures et sentiments de culpabilité plus ou moins bien assumés par le grand-père, la fille et la petite-fille, ne sont toutefois que le cadre d'un récit plus onirique celui-là : une sorte de fiction très inconfortable qu'August s'invente une nuit, où il imagine qu'il n'y a pas eu de 11-Septembre, mais que la guerre à laquelle se livrent les forces américaines est une guerre civile, impitoyable, entre Américains d'opinions opposées. Dans ce conflit qui rappelle le clivage Nord-Sud de la Guerre de Sécession, August ou son double, un certain Owen Brick, ont un rôle à tenir, par lequel s'explique en partie la culpabilité du vieil homme. Rêve, cauchemar, fiction, réalité ?

Comme à l'accoutumée, le romancier américain tisse les fragments aux tonalités multiples d'une tapisserie faite de doutes et d'espoirs, de secrets enfouis et de révélations. Mais surtout, il s'interroge métaphoriquement sur la division qui s'est installée au sein de son propre pays, durant les huit années de la présidence de George W. Bush. Et sur la capacité de chaque être humain à pouvoir résister aux croisades menées contre « les forces du Mal ». Mais c'est en pessimiste que l'auteur du Livre des Illusions clôt son roman, par une sorte de pirouette qui n'indique pas, clairement, une manière de sortir de l'impasse. Comme s'il était n'était pas encore possible à ce moment là - le roman a été écrit avant l'élection de Barack Obama - d'envisager une issue réaliste aux tourments et à la culpabilité occasionnée par les guerres successives de l'Amérique, pesant de tout leur poids sur les épaules de milliers d'Américains.                           

Le 18 janvier 2009, Paul Auster était avec la comédienne Irène Jacob, au Théâtre du Vieux-Colombier, à Paris, pour une lecture de son roman Seul dans le noir. Regardez le début de cette lecture.  
 
 

Alain Delaunois
Mars 2009

 

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Alain Delaunois est journaliste à la RTBF et enseigne la pratique de la critique culturelle au Département Arts et Sciences de la Communication.