Quel avenir pour les foires du livre ?
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À Bruxelles, une édition Off s'est dressée contre la Foire du Livre. Est-il important que des alternatives existent ?  Pendant la Foire ?

À partir du moment où toute la production éditoriale n'est pas représentée, les alternatives sont essentielles, quelle que soit leur forme. Au Festival international de la bande dessinée d'Angoulême, l'alternative fait partie intégrante du salon officiel, qui se divise en deux espaces. D'un côté les plus grands éditeurs. De l'autre, grosso modo, les plus petits et les éditeurs émergents. S'agissant de Bruxelles, il y a scission sur base d'un désaccord quant à la visibilité des éditeurs dits « alternatifs » ou « indépendants », avec tout ce que ces termes comportent de flou. La création du Off entérine le désaccord et regroupe les éditeurs qui soit se sentent exclus de la Foire du Livre de Bruxelles, soit n'en partagent pas les arguments commerciaux. Cela ne veut pas dire, pour autant, que la Foire du Livre de Bruxelles ne fédère que les poids lourds de l'édition. De nombreux éditeurs de petite ou moyenne taille font le choix d'y être présents, même si cela représente un coût non négligeable.

Rien n'empêche une alternative de voir le jour en dehors de la période de la Foire du Livre de Bruxelles, et les exemples en la matière ne manquent pas. L'une des expériences les plus porteuses de ces dernières années reste sans doute le Joli Mai, aux Halles de Schaerbeek, un projet initié par les éditions Aden. Il y a revendication également, mais vécue sur une autre mode : là où le Off se présente comme une contre-Foire du Livre de Bruxelles, ou comme son complément, c'est selon, cette dimension reste relativement implicite dans le cas du Joli Mai. Au final, c'est de toute façon le même objectif qui est poursuivi : mettre l'accent sur des créations de diffusion restreinte. L'atout du Off évidemment, même si la démarche n'est pas unique en son genre, c'est de prendre appui sur l'impact médiatique de la Foire de Bruxelles. La presse a les yeux rivés sur l'événement. L'une des stratégies du Off consiste à détourner provisoirement ce regard. On parle plus facilement d'une alternative à un succès que d' une alternative coupée de toute réalité médiatique.

Le Off n'a pas connu un grand succès de foule. Pourquoi, selon vous ?

Le Off est de création très récente, on ne peut pas vraiment lui reprocher son manque de fréquentation. Il faut laisser le temps à la manifestation de cibler ses enjeux, de s'organiser en interne — l'un des scénarios probables étant évidemment qu'elle en vienne elle-même à s'institutionnaliser. Difficile de prévoir de quoi demain sera fait. Le Off aura peut-être une influence décisive sur la Foire du Livre de Bruxelles et l'amènera à se remettre en question. Dans deux ans, cinq ans, dix ans, la Foire du Livre de Bruxelles sera peut-être, comme Angoulême, un espace à double compartiment.

Avec une fréquentation stabilisée, le succès, surtout en chiffres de vente, de La Foire reste indéniable.

Elle bénéficie d'une couverture médiatique exceptionnelle et se donne les moyens d'attirer un vaste public. Les auteurs en dédicaces sont, du moins pour certains d'entre eux, des stars de la vie littéraire. Pour certains lecteurs, la rencontre avec ces auteurs est primordiale, et beaucoup d'entre eux vont jusqu'à passer plusieurs heures en file indienne pour obtenir une dédicace. C'est un réflexe assez commun, il n'y a pas grand-chose à y redire. Si vous invitez Amélie Nothomb et Éric-Emmanuel Schmitt, vous aurez forcément du monde. Dans le même temps, il faut cependant rester objectif et garder à l'esprit qu'une manifestation comme le Off s'adresse à un public restreint. Je ne veux pas dire forcément plus cultivé, mais prenez le cas d'un enfant : les titres proposés au Off s'adressent tendanciellement à un public adulte. Si la visite de la Foire du Livre de Bruxelles par un enfant se limite à parader avec le chapeau de Spirou ou les oreilles de Bill, le cocker de Boule, alors la mission est manquée. Mais il faut se rendre à l'évidence : que propose l'édition alternative en matière de livres scolaires par exemple ? Rien. Ses objectifs sont ailleurs, c'est comme ça.

Au Off comme à la Foire, des musiciens et des comédiens viennent animer les soirées. Il est donc difficile de faire des soirées uniquement autour des livres ?

Même si cela n'a pas toujours été le cas, la lecture est un acte profondément individuel. Quand un événement consacré au livre se met en place, il faut imaginer toutes sortes de médiations pour casser ce rapport à la solitude. L'essentiel dans le livre est moins sa forme que son contenu. Et le tout est de trouver les moyens d'en rendre compte. La dédicace est de l'ordre du fétichisme, et n'a pas vraiment trait au contenu. Les rencontres, lectures et débats en revanche peuvent s'avérer des expériences enrichissantes. La discussion apporte une valeur ajoutée au livre, et redynamise éventuellement sa place au sein de la société. L'espace d'un instant, les lecteurs sont ensemble autour d'un même livre, ce qui est plutôt rare. Depuis quelques années, les passerelles entre le livre et d'autres formes d'expression, que ce soit la musique ou la vidéo, se multiplient et ne font qu'accentuer cet aspect des choses en prolongeant ou réinterprétant le contenu. Ici comme ailleurs, le tout est de voir ce qui est proposé au juste. Il faut bien distinguer projets sincères et opérations de marketing déguisées.

Sur le plan des rencontres, sans doute la Foire du livre de Bruxelles peut-elle et doit-elle encore s'améliorer. Là où des tables rondes, dans certains salons qui se déroulent à l'étranger, font l'objet de comptes-rendus détaillés dans la presse internationale, on voit mal ce qui pourrait faire ici l'objet d'un tel intérêt. La plupart du temps, les débats ne sont pas suffisamment problématisés. La Foire du livre de Bruxelles s'inquiète beaucoup d'attirer les foules, et à condition de ne pas faire dans la seule facilité, c'est fort bien. Concernant le débat professionnel par contre, Bruxelles n'existe pas.
 
Propos recueillis par Adrienne Nizet
Mars 2009

 

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Adrienne Nizet, journaliste indépendante, collabore au quotidien « Le Soir » et à la revue« Indications ».

 

 

Tanguy Habrand est assistant au Département des arts et sciences de la communication, et membre du  Centre d'étude du livre contemporain (CELIC)

 

 

Le Salon du Livre se tient à Paris, Porte de Versailles, du 13 au 18 mars. Informations : www.salondulivre.com

L'invité d'honneur y est le Mexique. À découvrir : Le réalisme sale de Guillermo Fadanelli

 

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