Jan Baetens, La Lecture

BaetensJan Baetens n’écrit jamais deux fois le même livre. Pourtant, cet essayiste doublé d’un poète – à moins que ce ne soit un poète doublé d’un essayiste – est extraordinairement prolifique. Sa production, très libre, toujours inattendue, explore les sujets et les formes avec une belle gourmandise : le basket, le cinéma, la novellisation, la photographie, les poètes du dimanche, la bande dessinée, le roman-photo, la poésie sonore, la poésie à contraintes, le monde, etc. : autant de sujets qui l’ont, précisément, contraint à écrire.

Cette fois, selon un dispositif particulier, c’est un tableau, ou plutôt deux tableaux jumeaux de Henri Fantin-Latour, qui servent de point de départ à l’élaboration poétique. Il faut dire que ces deux toiles, qui datent pour l’une de 1870 et, pour l’autre, de 1877, semblent en appeler à l’écriture dans la mesure où elles s’intitulent toutes deux La Lecture, comme le recueil de Baetens, et qu’elles mettent en scène deux femmes, l’une faisant à l’autre la lecture à voix haute. Ces deux œuvres, vraiment magnifiques de sobriété, sont reproduites sur la couverture et la quatrième de couverture, comme pour enrober le texte. En outre, deux séries de photos en noir et blanc, dues à Milan Chlumsky, font aux poèmes un second cadre englobant. La première série est consacrée au thème du feu, la seconde au mouvement.

Il n’est pas facile, pour un poème, de dialoguer avec un tableau. Chez la plupart des poètes qui ont tenté l'expérience, le texte navigue sans cesse entre le Scylla de la trop grande proximité, qui rend les mots inutiles, et le Charybde du trop grand éloignement, qui confère aux vers un sentiment de total arbitraire. Jan Baetens a trouvé la juste distance. Ou plutôt, ce qui est encore plus émouvant, il la cherche en permanence, il semble en tout cas sans cesse la chercher : si un poème s’en éloigne davantage, le suivant s’en rapproche aussitôt. Il tourne autour d’un tableau ou de l’autre, il se glisse entre eux : là aussi, en vertu d’un jeu de proximité et d’éloignement, il paraît à certains moments les écarter et, à d’autres, les rapprocher au point de les confondre : certains poèmes nous permettent de reconnaître, grâce à un détail (comme la présence d’un gant), de quel tableau il s’agit ; d’autres poèmes, au contraire, pourraient s’appliquer aussi bien à la version de 1870 qu’à celle de 1877.

Il faudrait encore commenter les photographies, le rapport entre la peinture et la photographie, entre la photographie et la poésie. Mais un tel commentaire sort tout à fait de ma compétence. Je puis juste dire deux choses. D’abord, les photos semblent s’inscrire dans une plus grande distance vis-à-vis du tableau que les poèmes, mais cela s’imposait sans doute, au vu de la proximité des deux arts en question, tous deux visuels. Ensuite, l’ensemble, indéniablement, est une grande réussite. Un petit bijou.

 

Laurent Demoulin

Jan Baetens, La Lecture, avec des photographies de Milan Chlumsky, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2017, 96p.
 

Lectures pour l'été 2017
Poésie

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