Francis Édeline, La poésie concrète soixante ans après

EdelineL’intérêt de Francis Édeline pour la poésie concrète ne date pas d’hier. Dès 1969, il faisait office de pionnier en publiant un numéro spécial du Journal des poètes consacré à cette forme encore et toujours méconnue. Il a depuis lors multiplié les essais consacrés à ce qu’il définit comme une manière de travailler le corps du texte : en effet, jouer avec la matérialité des lettres et des mots, les considérer comme des « objets sonores et plastiques », revient à travailler le signifiant afin d’en multiplier les signifiés, et ce pour le meilleur ou pour le pire. La première vocation de la poésie concrète est de « rechercher le plaisir » et de « libérer le refoulé » du langage, nous dit l’auteur. Mais le concrétisme a aussi connu ses compromissions, et Édeline ne peut que constater que l’âge d’or de cette forme est bel et bien révolu, la formule « jugée épuisée par ses créateurs, ne survi[vant] que dégradée et mercantilisée chez les publicitaires ».

Richement illustré, La poésie concrète soixante ans après est un ouvrage remarquable de lucidité et de sensibilité. Bien qu’il s’en défende (il se définit dans l’Avant-propos non pas comme un historien mais comme un « curieux qui s’émerveille de découvrir les mille façons de produire du sens par les mots et les images »), Édeline est un poéticien majeur qui a jeté les bases d’une réflexion approfondie sur les enjeux de la poésie concrétiste, celle qu’on appelle aussi parfois spatialiste, visuelle, visive, verbivocovisuelle ou encore lettriste.

Depuis les efforts fondateurs d’Eugen Gomringer et des frères de Campos dans les années 1950 (sans parler de « pionniers » tels que Stéphane Mallarmé – auquel Gomringer a rendu hommage dans ses constellations, et Guillaume Apollinaire), la poésie dite « concrète » ne cesse de fasciner et d’interpeller. Cette anthologie commentée nous en offre un florilège raisonné qui nous rappelle au passage que les expérimentations avant-gardistes, loin d’être gratuites et purement formelles, revêtent souvent un engagement politique profond ; on songe, entre autres exemples, à la « guérilla sémiotique » prônée en Italie par Luciano Ori, ou encore à des « classiques » tels que « beba coca cola » du brésilien Decio Pignatari.

 

Michel Delville

Francis Édeline, La poésie concrète soixante ans après, La Maison du livre, 2016
 
 

Lectures pour l'été 2017
Poésie

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