En refermant La vie mode d’emploi, le chef-d’œuvre de Georges Perec, je pensais avoir tout lu en matière de contraintes formelles en littérature. Je découvre aujourd’hui les ouvrages d’un nouveau “fou littéraire”, Jacques Perry-Salkow, un musicien, compositeur, passionné de mathématiques et de la langue française qui réalisa un palindrome de 10.001 signes ! Il compose ici des anagrammes (“renversement de lettres”, mot ou suite de mots formés à partir des lettres d’un autre mot ou d’une autre suite) dont la force est de mettre au jour une pensée voilée dans une formulation anodine, révéler l’intime sens caché dans un pli du signifiant. C’est ainsi que Perry-Salkow peut voir dans le Front national, l’entonnoir final ou suggérer de la démocratie, un art de la comédie. Et les nuits salaces ne le sont que parce qu’on y chantonne Les sucettes à l’anis de l’innocente France Gall.
Que viennent donc faire dès lors, dans cette entreprise de type oulipien, l’écrivain Sylvain Tesson et le philosophe Raphaël Enthoven ? Ils établissent des ponts (de mots) entre certaines expressions de départ et la réplique imaginée par l’esprit tortueux du musicien-poète. Ainsi, vous reconnaîtrez les ébriétés froides de Tesson dans les forêts de Sibérie, quant au philosophe du tout-Paris, il vous dira que Carpe diem, ça déprime. Vous comprendrez ainsi comment on passe de l’assertion le capitalisme à si cela me plaît ou vous verrez pourquoi Toussaint Louverture est sursaut et révolution. Je pourrais en citer des dizaines, mais je ne vais que titiller votre curiosité en voyant dans Michel de Montaigne un homme digne et câlin ou vous éviter de verser dans l’acrimonie en lisant Émil Cioran ! Et si votre souhait est de rencontrer un jeune président de la République au Café de la rotonde, je vous conseille de commander un Carafon de Tolède.
Alain Dantinne
Sylvain Tesson et Jacques Perry Salkow, Anagrammes à la folie, ill. Michel Pinosa, Pocket, 2015, 144 p. Raphaël Enthoven et Jacques Perry-Salkow, Anagrammes pour lire dans les pensées, ill. Jiang Hong Chen , Actes Sud, coll. Essais Sciences, 2016, 160p.
