Lectures pour l'été 2017 - Poches - Littérature étrangère

FontanaGiorgio Fontana, Mort d’un homme heureux (Points)

En mars 1978, Aldo Moro, président de la Démocratie chrétienne, est enlevé à Rome par les Brigades rouges. Son corps sera retrouvé deux mois plus tard dans le coffre d’une voiture. Ce crime politique symbolise les années de plomb qui ont secoué l’Italie pendant deux décennies. Il sert de toile de fond à Mort d’un homme heureux, le deuxième roman de Giorgio Fontana traduit en français après Que justice soit rendue. Giacomo Colnaghi, son héros dont le titre révèle le destin tragique, est le substitut du procureur milanais chargé d’enquêter sur l’assassinat, par une cellule dissidente des Bridages rouges, d’un leader de l’aile droite du parti démocrate-chrétien. Cet homme d’une trentaine d’années vit seul en semaine dans un quartier défavorisé de la ville lombarde, rejoignant les weekends sa femme et son fils restés auprès de sa propre mère à Saronno, leur ville natale située dans la grande banlieue milanaise. Il apprécie son travail ainsi que sa relative solitude, d’autant plus qu’avec sa femme, l’ambiance a tendance à tourner souvent à l’aigre. Mais la conscience et les certitudes de ce catholique pratiquant, opposé à l’avortement et au divorce, sont ébranlées lorsqu’il se retrouve face à un membre de la Formation prolétarienne combattante accusée du meurtre de l’homme politique. Il découvre en effet qu’ils sont l’un et l’autre d’origines modestes, qu’ils ont tous deux été au patronage, et ce n’est qu’ensuite que leurs vies ont pris des voies divergentes. N’aurait-il pas pu devenir, lui aussi, révolutionnaire, s’interroge-t-il?

Pendant le Deuxième Guerre mondiale, son père était un partisan opposé à Mussolini. Ce combat, il l’a payé de sa vie, à la grande fureur de ses parents et de sa femme qui ne lui ont pas pardonné, même de manière posthume, ce qu’ils considéraient comme une folie immature. Le récit de la lutte de celui que l’Italie considère aujourd’hui comme un héros alterne avec ce début des années 1980 où, une fois de plus, l’Italie tremble sur ses bases.

Traduit de l’italien par François Bouchard

 

LeviPrimo Levi, Dernier Noël de guerre (10/18)

Dans Si c’est un homme, paru en 1947, Primo Levi (1919-1987) raconte son expérience à Auschwitz. Avec L’Univers concentrationnaire de David Rousset, L’Espèce humaine de Robert Antelme et La Nuit d’Elie Wiesel, il constitue l’un des témoignages les plus importants ramenés des camps d’extermination. Celui qui a mené après-guerre une carrière de chimiste a écrit d’autres livres, tels La Trêve (1963), La Clé à molette (1978) ou Maintenant ou jamais (1982). Les treize nouvelles qui composent ce recueil sont restées inédites jusqu’en 2002. Un kangourou participe à une réception mondaine, où il s’ennuie ferme, sans que cela surprenne qui que ce soit. Les animaux sont d’ailleurs très nombreux, plusieurs d’entre eux – un goéland, une taupe, une girafe – sont interviewés par un journalise. Un employé chargé de choisir le type de mort de la personne dont il reçoit le nom et la date du décès démissionne lorsqu’il tombe sur la fiche d’une fillette de huit ans. La nouvelle qui donne son titre à l’ensemble est autobiographique. Levi y raconte ses dernières semaines dans son Lager, Monowitz, à quelques kilomètres d’Auschwitz, où il est possible de recevoir des nouvelles du « monde libre ». À Noël, il reçoit un paquet de nourriture envoyé par sa mère et sa sœur. Dont une partie lui sera volée de façon très ingénieuse.

Traduit de l’italien par Nathalie Bauer.

 

stefanssonJon Kalman Stefansson, D'ailleurs les poissons n’ont pas de pieds (Points)

De Jon Kalman Stefansson (né en 1963), à ne pas confondre avec son homonyme l’auteur de polars Jon Hallur Stefansson édité par Actes Sud, Gallimard a publié la puissante trilogie formée d’Entre ciel et terre, de La tristesse des anges et du Cœur de l’homme. Les poissons n’ont pas de pieds, sous-titré « Chronique familiale », se passe à Keflavik, ville portuaire située à l’ouest de Reykjavik, où se trouve l’aéroport international et où l’auteur a lui-même vécu. Et où, jusqu’en 2006, les Américains ont établi une base aérienne en vue de protéger ce territoire qui ne possède pas d’armée. Stefansson retrace l’aventure de son île tout au long du XXe siècle à travers une famille et sur trois époques. Ari, de retour au pays le « cœur brisé » après avoir travaillé deux ans comme éditeur à Copenhague (capitale d’un pays « qu’on ne saurait à proprement parler considéré comme l’étranger »), ouvre le coffre aux souvenirs familiaux. Apparaît Oddur, le premier capitaine à savoir nager, son épouse Margret, et leur fils Trygvvy, plus versé vers la poésie que vers la marine. Ces chapitres, titrés Jadis, alternent avec les années 1970-80 marquées par l’enfance d’Ari, et avec Aujourd’hui. Dans ce portrait vibrant d’une Islande disparue, il est question des usines de conditionnement de poissons ou de la base américaine et des colis qui lui sont destinés, délestés d’une partie de leurs contenus. Et aussi de ses paysages et de la mer, à la fois angoissants et envoutants.

Traduit de l’islandais par Éric Boury

 

RielReil-vieJørn Riel, Le chant pour celui qui désire vivre & Une vie de racontars (10/18)

Jorn Riel est né en 1931 au Dannemark. Des seize années passées au Groenland, il a ramené de nombreux livres, notamment formés de « racontars », des brèves fictions dont les personnages sont des trappeurs. Le chant pour celui qui désire vivre est différent. Ce volume réunit trois textes – Heq, Arluk et Soré – qui offrent une fresque historique, ethnologique et écologie du peuple inuit, dont l’auteur restitue admirablement les coutumes, le mode de vie et les croyances. Et même la langue puisque son texte est émaillé de mots indigènes expliqués dans le lexique. À la tête de ses hommes, en l’an mil, Heq, un chaman, migre vers le Groenland à travers le Grand Nord canadien. Également chaman, Arluk, orphelin élevé par son grand-père qui lui a raconté les légendes de son peuple, arpente cette région du globe au cours du XVIe siècle. Soré, quant à elle, est une petite fille qui, dans les années 1970, veut retranscrire l’histoire de ses ancêtres. Ces trois récits nous invitent à découvrir, dans un style à la fois épique et intimiste, une civilisation qui nous est largement inconnues.

Une vie de racontars est, par contre, un texte autobiographique dans lequel Jorn Riel entend partager quelques épisodes de sa vie « longue et riche ». Il explique que son envie de découvertes est venue des masques africains que collectionnait son père. Il raconte son premier voyage comme mousse sur l’Amanda, un douze tonnes qui l’emporte du côté de Munich et de Prague. Il se souvient l’hiver de ses vingt ans passé dans l’est du Groenland, avec un « vieux camarde d’expédition », dont il évoque plus longuement la personnalité ailleurs. Cette vie de voyageur, restituée sans souci chronologique, est relatée avec humour et simplicité, et toujours avec le souci de parler de ces petites choses qui en font la singularité. Et en veillant toujours à transmettre les émotions ressenties à l’époque.

Traduits du danois par Inès Jorgensen et Andréas Saint Bonnet.

 

HertmansStefan Hertmans, Guerre et térébenthine (Folio)

Guerre et Térébenthine n’est pas un roman, d’ailleurs le mot ne figure pas sous le titre, mais retrace l’histoire du grand-père (1891-1981) de l’auteur, reconstituée à partir des nombreuses notes consignées par lui depuis 1963, cinq ans après avoir perdu sa femme, et enrichies de souvenirs personnels (par exemple une visite à l’expo de 1958 à Bruxelles). Urbain Martien naît à Gand dans un milieu modeste. Son père, restaurateur de peintures d’églises, meurt quand il est encore très jeune, ce qui l’oblige à quitter l’école pour travailler. Les tranchées de la Première Guerre mondiale sont déterminantes pour lui, à tel point que, pour cette partie, Hertmans lui donne la parole. Après-guerre, rejeté par la jeune femme qu’il aime, au point de penser se suicider, le jeune homme épouse la sœur de son ex-promise, avec qui il restera lié toute sa vie par une profonde tendresse. Il attend la retraite pour donner corps à sa passion pour la peinture qui constitue pour lui un « réconfort ». Comme l’écrit son petit-fils, « il ne va pas plus loin que les natures mortes, qui sont peintes avec trop de précision pour avoir du caractère ». Ce récit d’une vie, au cours duquel l’écrivain intervient constamment, est jalonné de photos noir et blanc ou de quelques tableaux réalisés par son protagoniste.

Traduit du néerlandais par Isabelle Rosselin

 

MurakamiHaruki Murakami, Ecoute le chant du vent, suivi de Flipper, 1973 (10/18)

Voici réunis en un même volume les deux premiers romans de l’écrivain japonais, respectivement publiés en 1979 et 1980. Dans sa longue préface, le futur auteur de Kafka sur le rivage raconte dans quelles circonstances ont vu le jour ces « romans de cuisine », comme il les appelle. À la fin de ses études, refusant de s’engager dans une vie professionnelle classique, avec horaires fixes et patron, Murakami ouvre un bar, tout en faisant des petits boulots pour éponger ses dettes. Et un jour, assistant à un match de base-ball, il a une révélation : et s’il écrivait un roman ? C’est donc tard dans la nuit, après la fermeture de son bar, sur la petite table de la cuisine, qu’il se met à noircir les pages qui formeront Ecoute le chant du vent. Non sans mal : ne sachant comment écrire, il reprend son roman à la machine à écrire et… en anglais, langue qu’il ne manie pourtant pas aisément. Et, justement, cette méconnaissance le contraint à adopter le style simple qui lui convient. Après le premier chapitre, convaincu d’avoir trouvé son « rythme d’écriture », il retraduit tout en japonais avant de poursuivre dans cette langue. Il embraie ensuite avec un deuxième roman, Flipper, 1973, au terme duquel il vend son bar pour « devenir un écrivain à plein temps ». La Course au mouton sauvage, rédigé dans la foulée, sera son premier succès.

Si ces deux premiers romans n’ont évidemment pas la qualité des suivants, ils ne sont pas médiocres pour autant, loin de là, Murakami ayant déjà trouvé le style qui le caractérise. Conçus comme un diptyque, ils reflètent la vie et les préoccupations de leur auteur entre vingt et trente ans. Déjà, le romancier instille dans le quotidien de son héros de l’imaginaire qui vient le pervertir, lui conférer une part d’onirisme inattendu. En compagnie de son ami de comptoir, Le Rat – personnage présent dans les deux romans qui s’étonne que son compagnon de beuverie lise des livres -, le jeune dilettante, après avoir prévenu qu’il allait « raconter une histoire », ne raconte finalement pas grand-chose. En effet, Ecoute le chant du vent, qui se déroule en août 1970, quelques mois après la révolte étudiant e de l’année précédente, n’a pas vraiment de ligne conductrice, il est principalement peuplé par ses petites amies.

Dans Flipper, 1973, dont le narrateur a ouvert une agence de traduction qui remporte un vif succès, deux jumelles se retrouvent dans son lit. « Des expériences du même genre, j’en avais déjà connu, mais c’était la première fois avec des jumelles », s’étonne-t-il avec humour. Ces deux filles qu’il ne parvient pas à distinguer, il les appelle Entrée et Sortie ou 208 et 209. Elles sont, avec Naoko rencontrée au foyer de l’université, deux types venus de Saturne et de Vénus et, donc, le Rat, les personnages principaux de ce séduisant roman humoristique et mélancolique… où il est notamment question de flippers.

Traduit du japonais par Hélène Morita

 

Michel Paquot
Juin 2017

 

 

crayongris2Michel Paquot est chroniqueur littéraire indépendant

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