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Lectures pour l'été 2017 - Poches - Essais & documents

06 June 2017
Lectures pour l'été 2017 - Poches - Essais & documents

FlaubertGustave Flaubert, Le Gueuloir (Points/Le goût des mots)

Flaubert l’a dit et écrit, il « gueulait » ses textes « comme un énergumène ». Ce « gueuloir » se situait soit dans son bureau, soit au fond du jardin de Croisset, selon Thierry Gillyboeuf qui, dans sa préface, se demande si ce ne serait pas aussi sa correspondance particulièrement abondante. La lettre participe en effet chez lui d’un « métabolisme vital », elle joue « un rôle compensatoire et exutoire où l’écriture s’affranchit de toutes les contraintes de la littérature ». L’écrivain n’hésite pas à s’y montrer caustique, dénonçant notamment l’esprit bourgeois qu’il a en horreur, tout en faisant part de ses conceptions sur la vie, l’art et la littérature. Ce bref volume reprend une sélection d’extraits de lettres qui reflètent le caractère de son auteur et témoignent de ses ambition d’écrivain. « Le seul moyen de n’être pas malheureux, c’est de t’enfermer dans l’Art et de compter pour rien tout le reste (…) », écrit-il à Ernest Chevalier en 1945. Et à Louis Colet : « Le seul moyen de vivre en paix, c’est de se placer d’un bond au-dessus de l’humanité entière et de n’avoir avec elle rien de commun, qu’un rapport d’œil. » Ou encore à George Sand, quelques années avant sa mort : « Le mot ne manque jamais quand on possède l’idée. »

 

 

ErmanMichel Erman, Bottins proustiens (La Petite Vermillon)

Ces Bottins proustiens pourraient bien devenir le bréviaire des lecteurs, occasionnels ou assidus, d’À la recherche du temps perdu. Son auteur, spécialiste de l’écrivain, y propose deux dictionnaires, l’un des personnages, l’autre des lieux. Le premier « relève autant de la gageure que de la nécessité », estime-t-il, car Proust n’est pas un portraitiste réaliste et les personnages existent aussi par ce que l’on dit d’eux. Quant à répertorier les lieux présents dans ce « roman-cathédrale », c’est d’autant plus utile que, comme le remarque le préfacier, la représentation de l’espace est « à la fois concrète et imaginaire ». « Avant d’être incarnés, bien des lieux sont d’abord des toponymes pour les héros qui les imagine, en explore les variantes sonores et les variations thématiques. »

 

 

DebrayDebray-candideRégis Debray, Carnets de route (Quarto) & Un candide à sa fenêtre (Folio)

C’est la consécration pour Régis Debray, omniprésent sur le terrain éditorial (plus de vingt ouvrages en dix ans) : Gallimard, son principal éditeur, lui a en effet ouvert les portes de sa très belle collection Quarto. Carnets de route est un volume de plus de mille pages sous-titré « Écrits littéraires ». N’ont en effet été retenus que les textes écrits à la première personne du singulier. « Le je murmure. Ce qui se murmure ou chantonne s’entend souvent mieux, et plus longtemps, que ce qui se vocifère », note en introduction cet éphémère juré Goncourt qui rappelle que, chez lui, les nouvelles et récits ont précédé les essais et dissertations.  « Ayant toujours fait route le stylo à la main, ces écrits littéraires forment autant de jalons plantés étape après étape. » D’où sa volonté, contrairement à l’ordinaire dans Quarto, d’imbriquer l’œuvre dans la vie. Ses écrits viennent ainsi s’intercaler, au fil de leur rédaction, dans sa biographie abondamment illustrée. Sont repris, parfois en extraits (pourquoi ?), ses deux premières nouvelles, Un jeune homme à la page et La frontière (1967), un court extrait de L’indésirable (1975), La neige brûle (1977), Les masques (1987), Comète ma comète (1986) et Loués soient nos seigneurs (sur sa période cubaine, 1996). L’ouvrage se termine par des textes divers : le pamphlet Contre Venise, le monologue L’Apostat, les pièces de théâtre Happy Birthday et Benjamin, dernière nuit, ainsi que quelques textes divers (Le bel âge, Le plan vermeil, etc.). L’occasion de découvrir un homme et un écrivain que les nouvelles générations connaissent peut-être moins, ou pas.

Dans le même temps, un Debray « actuel » est réédité en poche, Un candide à sa fenêtre, qui fait suite à Dégagements. Ce sont autant de courtes réflexions (souvent à partir de son vécu) où le médiologue dresse un état des lieux forcément (férocement ?) subjectif, moqueur et souvent dépité, parfois grognon, du monde tel qu’il va. La plume légère, et parfois frivole, il entretient son lecteur de tout et rien. Il confie par exemple son amour pour les seconds rôles du cinéma français (qu’on identifie mais dont le nom nous échappe) et son désamour pour le Salon du Livre de Paris comparé à une « discothèque de jour », s’aperçoit qu’il est difficile, pour un étudiant des années 50 « d’être contemporain de son temps », etc.

 

PeltJean-Marie Pelt & Pierre Rabhi, Le monde a-t-il un sens ? (Babel Essai)

Paru en 2014, le texte de Jean-Marie Pelt, qui constitue la première partie de ce bref livre, est l’un des derniers publiés par le botaniste mort l’année suivante. Il y défend le principe d’associativité, « la manière dont les entités simples s’associent à deux ou à plusieurs pour aboutir à des entités plus complexes avec émergence de propriétés nouvelles ». Il observe donc l’évolution de l’univers, du Big Bang jusqu’à l’homme, en s’arrêtant à ses paliers successifs. Divisée en douze chapitres regroupés en trois parties – le monde minéral, le monde vivant et l’humanité –, cette réflexion parle notamment des symbioses, du cerveau et des sociétés humaines, et se termine sur la question du sens. Pour rappeler que cette notion n’est en rien incompatible avec les acquis du darwinisme. Au contraire, « par son universalité », elle « rend l’évolution de l’univers cohérente, significative, porteuse de sens. À tout le moins si le mot signifie “direction” ». Dans sa contribution, Pierre Rabhi pose la question de l’avenir de l’humanité et plaide pour une « insurrection des consciences ».

 

 

LoridanMarceline Loridan Ivens, Et tu n’es pas revenu (Le Livre de Poche)

Marceline Loridan-Ivens, 89 ans, s’adresse à son père avec qui elle a été déportée à Auschwitz et qu’elle n’a ensuite plus jamais revu. Elle raconte sa vie le camp, son retour difficile, l’abandon de son nom, Rozenberg. Et sa rencontre avec le documentariste hollandais Joris Ivens, avec qui elle réalisera des films jusqu’à la mort en 1989. Deux ans avant son propre retour à Auschwitz-Birkenau, dont elle tirera un long métrage avec Anouk Aimée, La petite prairie aux bouleaux (traduction de Birkenau), récemment édité en DVD. Une fois par mois, celle qui dit : « On le sent toute sa vie qu’on est revenu », dîne avec des amis survivants.

 

 

 

WinockMichel Winock, François Mitterrand (Folio Histoire) et La France républicaine (Bouquins).

«Ce qui est tout à fait passionnant, surprenant et original dans son cas est d’avoir été plusieurs personnes, non pas de façon successive, ce qu’on est toujours plus ou moins dans une longue vie, mais de manière simultanée. Il ne désavoue rien, il ne se repend jamais, il cumule les figures, les personnages, les rôles et reste jusqu’au bout tout ce qu’il a été. » Voilà comment l’historien Michel Winock définit le président français auquel il a consacré, après d’autres (Lacouture notamment), une biographie très fouillée. « Entre distance et empathie, j’ai voulu comprendre cet homme, sa puissance de séduction, ses faiblesses, ce qu’il pouvait avoir d’attachant, d’intelligent et de lucide », confie celui qui, sans vraiment l’aimer, avoue avoir toujours voté pour lui. Se débarrassant de l’anecdote et du superflu, il a travaillé en historien pour tenter d’atteindre la vérité d’un homme issu de la droite et devenu l’artisan de l’Union de la gauche puis le premier président socialiste de la Ve République. Un homme riche en contradictions. Dont celle, qu’il souligne, d’être passionné par l’histoire sans en comprendre ses évolutions (la décolonisation, notamment).Winock-France

Cette biographie est, au fond, un focus porté sur ce qui passionne Michel Winock, l’histoire politique de la France du 19e au 21e siècle. Cette histoire fait l’objet d’un volume de la collection Bouquins, La France républicaine. D’après son auteur, elle peut être lue en fonction de trois clivages : religieux, institutionnel et politique (la lutte des classes). Le premier oppose d’abord les catholiques et les protestants, puis les cléricaux aux anticléricaux ; le deuxième confronte la monarchie à la république qui prendra différentes formes, avec l’intermède impérial ; le troisième touche, à la « question sociale ». Après avoir défini quelques notions indispensables – nation, populisme, démocratie, fascisme, laïcité…– , Winock retrace près de deux siècle d’histoire de France sous un doubla angle thématique et chronologique : les idéologies, la société, les gauches, le communisme, la droite. En terminant par des temps d’arrêt sur des épisodes spécifiques de son évolution ; juin 48, l’élection du président de la République, l’esprit de Munich, la Guerre d’Algérie, jusqu’au 11 janvier 2015.

 

VergezBénédicte Vergez-Chaignon, Les vichysto-résistants (Tempus)

La Seconde Guerre mondiale est régulièrement l’objet d’études très diverses. Les Vichysto-résistants apportent une pierre inédite à cet édifice. Bénédicte Vergez-Chaignon  rappelle que de nombreux résistants, et non des moindres, ont trouvé des bienfaits au régime de Vichy. Henry Frenay, par exemple, qui fut l’un des principaux chefs de la Résistance et ministre de De Gaulle à la Libération, a fait, en 1940 et 41, les louanges de Pétain, considérant l’Homme du 18 Juin comme un militaire rebelle. Le terme « vichysto-résistant » désigne les « patriotes » qui se rangent aux côtés de Pétain, par sentiment antiallemand ou par volonté de redresser le pays, avant de se rendre compte de leur erreur. Cet épais ouvrage est une sorte d’épopée humaine extrêmement riche qui met bien en évidence l’ambivalence de certains choix durant cette époque troublée.

Il révèle notamment qu’il régnait, chez ces résistants, derrière la question du « problème juif », un antisémitisme plus ou moins avoué. Un document daté de mars 1944 demande par exemple que les « Israélites » soient écartés « de tout gouvernement et de toutes les fonctions publiques », sous prétexte que « le Français (…) voudrait se débarrasser des échappés du ghetto qui, chassés de partout, on envahi notre pays, sans espoir d’assimilation ». Si l’auteur de ce texte reconnaît que les persécutions contre les Juifs, « ont toujours paru odieuses, il ne faut pas croire que la population française soit prête à dresser aux Juifs des arcs de triomphe pour leur retour ». Et de conclure, après avoir estimé qu’un Juif ne pourra être considéré comme « vraiment Français », que, s’il a participé « au péril de sa vie » à la résistance, « le fait que Vichy a pris de telles mesures de limitation [dans leurs activités professionnelles] n’est pas une mesure suffisante pour prendre le contre-pied de ces dispositions ».

 

MitterandFrédéric Mitterrand, Les aigles foudroyés et Mémoires d’exil (Tempus)

Diffusés à la télévision dans les années 1990, Les aigles foudroyés et Mémoires d’exil sont ensuite devenus des livres, sans la voix très singulière de leur réalisateur mais avec son sens du récit historique. Dans le premier, Frédéric Mitterrand étudie le destin des trois grandes dynasties européennes – les Habsbourg, les Hohenzollern et les Romanov –, toutes liées à la reine Victoria, au cours des décennies précédant la Première Guerre mondiale, conflit qu’ils ont contribué à déclencher et qui a causé leur perte. Ce faisant, il retrace l’histoire de notre continent par le biais de ses dirigeants, plus ou moins glorieux, plus ou moins respectables. Dans le second volume, il s’intéresse à « l’après » : comment ces dirigeants et leurs familles ont-ils survécu à cette déflagration mondiale ? Où et comment ont grandi les enfants ? Dans quel état d’esprit ? Et comment ont-ils été traités dans leurs exils forcés ? Le style emporte le lecteur dans des envolées parfois emphatiques mais jamais relâchées sur le plan littéraire.

 

DepardonRaymond Depardon, La solitude heureuse du voyageur précédé de Notes (Points)

Publié il y a près de vingt ans, La solitude heureuse du voyageur rassemble un peu plus de cinquante photos prises par Raymond Depardon au cours de ses voyages dans les années 1980. On y trouve pêle-mêle des déserts égyptien, mauritanien ou djiboutien, des immeubles de New York ou de Beyrouth, des paysages de Roumanie ou de RDA, et quelques présences humaines, en Bolivie, en Éthiopie ou au Niger. Ce cahier photos est précédé de Notes, « premier livre fondateur » de l’artiste publié en 1979, quelques mois après son entrée à l’agence Magnum comme associé (il a 36 ans). Ce « journal » réalisé durant son périple en Afghanistan, à Beyrouth et au Pakistan, qu’il évoque dans son introduction, a paru à l’époque chez un petit éditeur. Il s’agit de notes et de photos noir et blanc prises principalement durant son reportage dans les montagnes afghanes, auprès des rebelles qui combattent le régime de Kaboul aidé par les Russes. Il a comme guide un jeune étudiant ayant appris sa langue au lycée français, du nom de Massoud, le futur lion de Panshir. Figure aussi dans ce volume, une longue interview donnée par Depardon à l’émission Radio-Photo, sur France Culture, en février et mars 1980.

 

MaeghtYoyo Maeght, La saga Maeght (Points)

Yoyo Maeght dénonce avec force la façon dont est aujourd’hui gérée la célèbre Fondation créée par ses grands-parents. Ce sont son père, sa tante et sa sœur aînée qui, au sein du conseil d’administration, sont censés veiller au respect de l’esprit originel. Mais « le compte n’y est plus », déplore-t-elle. Après avoir fréquenté pendant un demi-siècle ce lieu enchanteur, elle s’en est fait éjecter manu militari en 2010 par des gendarmes l’accusant de vol. Cet ouvrage n’est pas seulement le constat de ce dévoiement, avant tout pour des raisons d’argent. Il est d’abord un hommage rendu à ses grands-parents, par la troisième fille de Paulette et Adrien Maeght que sa famille (et Jacques Prévert) avait trouvé « humoristique » de faire passer pour une enfant trouvée sur les marches d’une église. Yoyo, en réalité Françoise, raconte comment Aimé, un orphelin d’Hazebrouck hébergé dans les Cévennes pendant la Première Guerre mondiale, donnera son nom, avec sa femme Guiguite, à l’une des plus prestigieuses entreprises artistiques privées du 20e siècle. « Il aurait aimé être artiste, mais il s’est rendu compte qu’il ne serait pas le meilleur », explique celle qui a passé plus temps auprès de lui que de ses parents qui négligeaient leurs enfants. Lithographe, imprimeur et éditeur sur la côte d’Azur pendant la Deuxième Guerre mondiale, Aimé se met à fréquenter les peintres qui se sont retirés dans la région – Matisse, Bonnard, Picabia  –, puis à vendre les œuvres de certains d’entre eux. Après-guerre, il déménage sa galerie à Paris. Suivront Zurich, Barcelone et, en 1964, l’inauguration de la fondation à Saint-Paul-de-Vence, une commune de l’arrière-pays niçois. Cette aventure artistique est aussi une douloureuse histoire père/fils. Jeune homme, Adrien ne s’intéresse pas à l’art, préférant l’automobile et une vie oisive. Mais à la mort de son jeune frère, il devient le successeur désigné d’Aimé. Les rapports entre eux seront toujours conflictuels, le fils allant jusqu’à ouvrir Rive gauche, une galerie montrant les œuvres sur papiers des mêmes artistes que ceux exposés par son père.

 

DeCortanzeGérard de Cortanze, Les amants de Coyoacan (Livre de Poche)

Les amants du titre, ce sont Frida Kahlo et Trotsky. En 1937, le couple que la jeune peintre forme, depuis neuf ans, avec le très infidèle Diego Rivera n’est pas au beau fixe et, de retour de New York, elle pense au suicide. Mais l’installation chez eux, à la Casa Azul, le 11 janvier, du fondateur de l’Armée Rouge expulsé d’URSS et de sa femme, Natalia Sedova, à qui le Mexique a accordé l’asile politique, va la faire renaître. L’artiste de vingt-neuf ans va vivre avec son aîné de près de trente ans une passion amoureuse qui durera plusieurs mois. Elle lui dédicacera un Autoportrait qu’elle lui offrira à son anniversaire en novembre. Leur histoire est des plus romanesques : billets enfiévrés glissés dans des livres, rendez-vous secrets… Les deux amants n’hésitent pas à faire le mur  ou à prendre la fuite. C’est à cette période qu’André Breton et son épouse rendent visite aux deux couples. Cette histoire, Gérard de Cortanze la raconte avec la fougue enthousiaste dont il fait preuve dans ses nombreux livres, des Vice-rois aux Zazous, en passant par Banditi ou Miroirs.

 

 

MnouchkineAriane Mnouchkine, L’art du présent (Babel)

Ce recueil rassemble dix-huit rencontres, seize entre 2002 et 2004, deux en 2015, d’Ariane Mnouchkine avec la critique dramatique de Télérama, Fabienne Pascaud. La femme de théâtre parle de son enfance (son père est un grand producteur de cinéma), de son « coup de foudre » pour le théâtre lors de l’année passée à l’université d’Oxford, après le bac, d’un voyage fondateur au Japon quelques années plus tard. Elle raconte la fondation du Théâtre du Soleil en 1964, « pour partir à l’aventure, traverser des océans inconnus », commente leur manière de travailler, évoque les trois grandes crises survenues après trois triomphes ou développe son rapport à Shakespeare et son travail avec Hélène Cixous. Et bien sûr, elle revient sur les spectacles qui ont émaillé l’histoire de la troupe : La Cuisine, Songe d’une nuit d’été, 1789, 1793, L’Âge d’or, Le Dernier Caravansérail (un spectacle sur le réfugiés – en 2002 !). Il est aussi question de ses films, et d’abord de Molière présenté à Cannes en 1979 où il est éreinté par la critique mais acclamé par le public. Elle aborde encore sa « dimension militante », lorsqu’elle dénonce les dérives de l’intégrisme musulman dans Tartuffe en 1995 ou fait une grève de la faim pour la Bosnie en 1995 avec quatre autres « pauvres théâtreux ». Un livre magnifique qui apporte un éclairage indispensable sur une artiste qui a marqué le théâtre en France ces cinquante dernières années.

 

PiccoliMichel Piccoli, Gilles Jacob, J’ai vécu dans mes rêves (Le Livre de Poche)

Le 27 décembre dernier, Michel Piccoli a fêté ses 91 ans. Il fait partie, avec Robert Hirsch ou Michel Bouquet nés quelques mois avant lui, des acteurs les plus âgés encore en activité (mais battus par Gisèle Casadesus et ses 130 ans). En activité? Si le héros des Choses de la vie ou d’Habemus papam a encore envie de jouer, il avoue avoir des problèmes de mémoire dans cet ouvrage où il répond longuement à cinq lettres que lui adresse Gilles Jacob, ancien grand manitou de Festival de Cannes, de cinq ans son cadet. Il ne s’agit en aucun cas d’une autobiographie mais d’une suite de souvenirs et de réflexions autour de plusieurs thèmes : l’enfance, l’apprentissage, le cinéma, l’Acteur (sic) et vieillir. On y apprend que Michel Piccoli a « remplacé » un frère né quelques années avant lui. Ce qui lui fait dire que si cet enfant avait survécu, il ne serait pas là. Ses parents étaient tous les deux musiciens, mais de second plan : son père violoniste dans un petit orchestre, sa mère pianiste qui donnait des cours à défaut de jouer. À plusieurs reprises, il rappelle qu’ils furent pour lui des contre-exemples : ils respiraient l’ennui alors que lui a placé toute sa vie, et sa carrière, sous le signe de la joie et de l’humour. Toujours, il a fait des blagues, y compris sur des scènes de théâtre. « Je n’aime pas l’esprit de sérieux et je crains toujours de paraître prétentieux », écrit celui dont le modèle « absolu » est Mastroianni et le contre-modèle…Yves Montand, « arriviste », « encombré du sentiment qu’il avait de sa propre grandeur ».

C’est pendant la guerre, en Corrèze, qu’il découvre le plaisir de jouer, convaincu d’être « fait pour ce métier ». Outre cette absence de sérieux, son autre ligne de conduite est le refus de la prétention, de la grandiloquence, du cabotinage. Cherchant à toujours sortir de sentiers battus, à être toujours « différent » en interprétant des œuvres diverses avec de grands metteurs en scène : Chéreau, Brook, Bondy, Engel au théâtre, Sautet, Ferreri, Oliveira, Ruiz et tant d’autres au cinéma (il a joué dans quelque 200 films). « Des œuvres qui ne laissent pas indifférents et qui au besoin font hurler », espère-t-il. Il a aussi été producteur, finissant ruiné après dix ans d’activité, et a même réalisé trois films entre 1997 et 2005.

 

DarroussinJean-Pierre Darroussin, Et le souvenir que je garde au cœur (Points)

Si, dans ce livre de souvenirs, le comédien raconte son enfance et ses débuts sur les planches, c’est la figure de son père, un étameur qui a pris sa retraite à 75 ans pour ne pas laisser en plan son jeune collègue, qui en est le fil conducteur. Communiste, profondément humaniste, cet homme bon lui a communiqué des valeurs qu’il a mises en pratique dans sa vie et son métier. Né en 1953 à Courbevoie, Jean-Pierre Darroussin évoque ses jeunes années dans un milieu populaire, son attrait pour le théâtre, sa formation au cours Florent puis au Conservatoire où il rencontre Ariane Ascaride (qu’il retrouvera devant la caméra de Guédiguian) et Catherine Frot. Il se souvient des bandes de copains (notamment la Compagnie du Chapeau rouge) et des petits boulots (notamment vendeur de journaux de droite et de gauche). Tout cela, il le raconte avec cet humour dilettante qui fait son charme et sa singularité. Mais il sait aussi se montrer plus grave et profond lorsqu’il remonte plus loin dans sa généalogie, abordant l’exode rural et revendiquant ses racines paysannes. Il s’ancre ainsi dans une histoire ancienne qui lui confère cette force intérieure et ce bon sens dont il est riche.

 

LuchiniFabrice Luchini, Comédie française (J’ai lu)

Vous aimez Fabrice Luchini ? Vous aimerez alors son livre dont le sous-titre, Ca a débuté comme ça…, est la première phrase du Voyage au bout de la nuit de son cher Céline omniprésent au fil des pages. Pour se désennuyer pendant le tournage du film de Bruno Dumont, Ma loute (sélectionné en 2016 au Festival de Cannes), le comédien égrène une poignée de souvenirs : ses débuts comme coiffeur, son dépucelage, ses cours de théâtre chez Jean-Laurent Cochet, sa rencontre d’Éric Rohmer avec qui il tournera sept films, suivi d’une période « chaotique » durant laquelle il se sent « méprisé ». Il est aussi question du Misanthrope de Molière (longs extraits à l’appui), de Nietzsche qu’il a lu très jeune pour faire plaisir à sa copine de l’époque, de Rimbaud et de la poésie en général, ou encore de son amour des « grands textes ». Et puis bien sûr de ses lectures-spectacles nourris d’extraits de Céline, de Philippe Muray et d’auteurs divers. Il parle aussi de lui, de son regret de ne pas être de gauche, de ses rapports aux médias, avec cette intelligence ironique qu’on lui connaît et ce style oral aux intonations familières.

 

BohringerRichard Bohringer, Quinze rounds (J’ai Lu)

Dans un style apaisé, le comédien se raconte en quinze « rounds ». « Fils de boche » élevé par sa mamie (sa mère vit en Allemagne, son père est prisonnier en Russie), il nourrit très tôt « des rêves d’artiste » et se met à écrire des nouvelles. Il raconte sa découverte du jazz à Saint-Germain, ses premiers pas sur les planches et les plateaux. Il parle de ses films, de ses rencontres (par exemple avec Mocky) et de ses voyages grâce au cinéma, de l’Afrique qu’il aime tant, de ses enfants ou des tournées (notamment en Belgique) avec son spectacle Traîne pas trop sous la pluie. Tout en livrant sa conception de la vie.

 

 

QuivyVincent Quivy, Trintignant, l’inconformiste (Points)

C’est Michael Haneke qui a convaincu Jean-Louis Trintignant, qui ne faisait plus que de la scène, de reprendre le chemin des plateaux pour Amour (Palme d’or à Cannes en 2012). Et cinq ans après, les deux hommes sont à nouveau réunis dans Happy end, présenté sur la Croisette cette année. Cette biographie très complète du comédien (âgé de 86 ans) repose sur énormément de témoignages et chaque titre de chapitre est une adresse postale. « Il est tarte ! », « C’est vraiment une petite conne ! ». C’est l’effet que se font réciproquement le jeune comédien de 26 ans et Brigitte Bardot, sa future partenaire de quatre ans plus jeune, lorsqu’ils se rencontrent pour la première fois à la veille du tournage de Et Dieu créa la femme. Si le film est un succès, il faudra néanmoins attendre le triomphe d’Un homme et une femme (Palme d’or à Cannes en 1966), après un détour par l’Italie (principalement dans Le Fanfaron), pour faire passer Trintignant du statut de vedette à celui de « star internationale ». Suivrons Z de Costa-Gavras, film « fauché » dont le tournage en Algérie est longuement raconté et qui vaut à l'interprète du « petit juge » un prix d’interprétation à Cannes en 1969, Ma nuit chez Maud de Rohmer, Le Conformiste de Bertolucci,Le train de Granier-Deferre, Vivement dimanche de Truffaut, Trois couleurs-Rouge de Kieslowski (sélectionné à Cannes), etc. Il refuse certains des films, pour des raisons diverses, tels Le dernier tango à Paris, L’aventure c’est l’aventure ou César et Rosalie. Cette carrière magnifique, face à laquelle l’intéressé a cependant toujours pris ses distances (au point de penser arrêter au milieu des années 1970), est également jalonnée par la réalisation de deux films qui furent des échecs. Elle a aussi été accompagnée de tragédies, la mort de ses deux filles, Pauline en 1968 et, trente-cinq ans plus tard, Marie, avec qui il lisait des poèmes sur scène et jouait au théâtre.

 

Michel Paquot
Juin 2017

crayongris2Michel Paquot est chroniqueur littéraire indépendant


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