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Lectures pour l'été 2017 - Poches - Polars

07 juin 2017
Lectures pour l'été 2017 - Poches - Polars

Bussi-collectorMichel Bussi, Gravé dans le sable & Le temps est assassin (Pocket)

Après Nymphéas noirs, Un avion sans elles ou N’oublier jamais, Gravé dans le sable, publié une première fois chez un éditeur normand en 2007 sous le titre d’Omaha Crimes, confirme que Michel Bussi est l’un des maîtres du suspens en France. Le 6 juin 1944, des rangers tirent au sort l’ordre de sortie pour aller déposer des explosifs au pied d’une falaise sur une plage normande. Lucky accepte d’échanger son numéro avec le 4 pioché par un soldat poltron, ce qui signifie une mort assurée, contre un pactole qui doit revenir à sa petite amie. Mais ce n’est que vingt ans plus tard que celle-ci apprend l’existence de ce contrat de la bouche d’anciens marines. Avec un détective privé amoureux d’elle, la voilà lancée dans un jeu de piste qui, à partir de Washington, l’envoie dans d’improbables petites villes de l’Amérique profonde. C’est passionnant, riche en surprises et en coups de théâtre, et, surtout, terriblement humain. Car, au-delà de l’intrigue, c’est cette dimension qui intéresse l’auteur.

Bussi

Le décor du Temps est assassin est la Corse. L’été 1989, sur la presqu’île de le Revellata, au nord-ouest de l’île, Clothilde, gothique de 15 ans dont l’idole est Lydia Deetz interprétée par Winona Ryder dans Beetlejuice de Tim Burton, est la seule rescapée de l’accident de voiture dans lequel ont péri ses parents et son frère aîné. Vingt-sept ans plus tard, pour la première fois, elle revient avec son mari et leur fille adolescente sur les lieux du drame, louant un mobil-home dans le même camping des Euproctes. Elle apprend du policier qui a mené l’enquête à l’époque, aujourd’hui retraité, que l’accident pourrait ne pas être un. Elle tente, en vain, d’en savoir plus auprès de son grand-père paternel, sorte de parrain à qui appartient toute la région – hormis une plage où est en train d’être construite une marina de luxe, sans que, manifestement, il ne puisse s’y opposer, lui qui, pourtant, se dit le gardien d’une terre qu’il entend conserver telle quelle. La quadragénaire devenue avocate est en outre confrontée à toute une série de phénomènes incompréhensibles: elle reçoit une lettre dont l’écriture est celle de sa mère, elle trouve un matin le petit déjeuner dressé exactement comme lors de leur dernier matin, etc. En parallèle, nous découvrons le contenu du journal intime tenu par l’adolescente pendant les quinze jours de 1989 qui ont précédé la chute de la voiture dans un ravin, un journal qu’elle avait perdu. Et que celui qui l’a trouvé, ou volé, est en train de lire. Cette construction très ingénieuse, extrêmement bien maîtrisée, envoie le lecteur sur des fausses pistes et des voies de garage, sans que jamais il puisse se douter de l’issue finale.

 

ThilliezFrank Thilliez, Rêver (Pocket)

Dans le nord de la France, trois adolescents ont été enlevés, plus une quatrième fille non identifiée. La seule piste dont disposent les enquêteurs lillois est l’épouvantail retrouvé peu après chaque enlèvement, habillé des vêtements de la victime précédente lacérés à coups de griffes et tâchés de sang. Le kidnappeur a été surnommé Freddy, en référence à Freddy Krueger, le croquemitaine du film de Wes Craven, Les Griffes de la nuit. Ce thriller de Franck Thilliez est enrichi d’une dimension scientifique devenue fréquente chez lui (Syndrome E, Pandemia). Ici, il s’agit d’une maladie du sommeil, la narcolepsie, et de son symptôme majeur, la cataplexie, dont souffre l’héroïne, Abigaël, une psychologue membre de la cellule d’enquête. À tout moment, elle peut non seulement être prise d’une irrépressible envie de dormir mais aussi s’écrouler sur le sol et être incapable de bouger pendant plusieurs minutes tout en étant éveillée et consciente. De plus, elle est souvent incapable de distinguer le rêve de la réalité, au point de se piquer avec une aiguille puis de se brûler le bras avec une cigarette pour savoir si elle rêve ou pas.

L’une des forces de Rêver est sa construction qui entremêle différentes périodes. Afin de permettre au lecteur de s’y retrouver, chaque nouveau chapitre est situé sur une ligne du temps dont les extrémités sont deux événements distants de six mois et liés à Abigaël : d’une part, l’accident de voiture au cours duquel elle a perdu son père et sa fille ; d’autre part, l’incendie d’un lavoir (situé près de Binche) dont on découvre, dans le prologue, qu’elle est prisonnière. Entre ces deux moments, viennent se greffer plusieurs mystères, tels un roman qui semble parler de cette même affaire ou les différents messages mystérieux qu’elle tente de résoudre. Et puis, une autre disparition hante ce roman, celle du chapitre 57. Qui ne peut être lu que sur le site du livre auquel on accède grâce à un code donné dans le cours de l’histoire.

 

IznerClaude Izner, Le pas du renard (10/18)

Pendant une bonne décennie, sous le nom de plume de Claude Izner, Liliane Korb et Laurence Lefèvre, ont raconté douze enquêtes de Victor Legris s’échelonnant entre 1889 et 1900. Sautant par-dessus la Première Guerre mondiale, les deux sœurs ont imaginé une nouvelle série dont Le pas du renard est le premier tome. Le héros est une nouvelle fois un enquêteur amateur, un talentueux pianiste américain de 25 ans. Jeremy Nelson a franchi l’océan pour tenter de retrouver la piste de son père qui a quitté la demeure familiale lorsqu’il avait quatre ans. Ses seules pistes, enfouies dans le sac retrouvé suite au décès de sa mère, sont deux photos avec un texte au verso, une courte lettre et trois adresses. Grâce à la caissière d’un cinéma de quartier, il se fait engager dans un cabaret tenu par une sexagénaire alerte qui loge les artistes se produisant chez elle. Mais à peine Jeremy est-il assis devant son piano, que des morts et des accidents s’accumulent. Lui-même est agressé et retrouve des lettres de menaces dans ses poches. Un même fait divers semble relier ces événements : le mystérieux incendie, trois ans auparavant, de l’immeuble à la place duquel a été construit le petit cinéma.

Ce roman est rythmé par de nombreux morceaux de jazz ou de fox-trot, des chansons de Mistinguett ou de Maurice Chevalier. Et jalonné d’évocations de films de Charlot, Douglas Fairbanks ou Cecil B. DeMille qui triomphent alors sur les écrans. On retrouve aussi, avec gourmandise, le goût des auteures pour la reconstitution historique et sociologique de l’époque : ses habitudes, ses lieux, ses modes vestimentaires et, bien sûr, son langage. Et, surprise !, au cours de cette enquête, il est question de vieilles connaissances, les héros de la série précédente, le trio formé par Victor Legris, Kenji Mori et Joseph Pignot, ainsi que de leur librairie de la rue des Saints-Pères, Elzévir.

 

ManevalÉric Maneval, Retour à la nuit (10/18)

À huit ans, voulant passer à la nage un barrage dans une rivière en crue, Antoine fait une chute qui aurait pu être mortelle. Si un homme, qui se trouvait sur la rive, ne l’avait sauvé, avant de le déposer à l’hôpital et s’en aller. Il s’en est sorti le torse strié de longues griffes qui le quadrillent comme une grille. C’était il y a vingt-cinq ans. Aujourd’hui, il est gardien de nuit dans un foyer pour enfants dans les environs de Limoges accueillant des cas sociaux et des délinquants. Parmi les premiers, Ouria, une jeune fille de dix-sept ans, alternant des épisodes d’anorexie et de boulimie, l’a pris comme confident. Par hasard, Antoine tombe sur un fait divers ancien – le meurtre d’un enfant pour lequel a été condamné un jeune homme qui clame son innocence. Une contre-enquête menée par un journaliste des années plus tard dresse le portrait-robot d’un homme qui se trouvait dans les environs. Et qui ressemble étrangement à celui qui l’a sauvé. Antoine prend alors contact avec le journaliste qui va le conduire vers des policiers pratiquant l’hypnose. Ce premier et bref thriller d’un libraire marseillais, écrit à la première personne, très tendu et particulièrement inquiétant, laisse une fin ouverte. Peut-être trop.

 

FelJérémy Fel, Les loups à leur porte (Rivages poche)

Il est abondamment question d’enfants dans le premier roman du Français Jérémy Fel. Au Kansas, Daryl, 17 ans, en bagarre perpétuelle avec son père, met le feu à la maison de ses parents. Duane, un quadragénaire qui propose ses services à des hommes et femmes aisés, traverse les États-Unis, de New York à Chicago, avec à son bord l’enfant battu de l’avocate qui le louait depuis quelques mois. Claire, revenue dans la demeure familiale des environs d’Annecy suite à la disparition mystérieuse de sa mère, garde pour la nuit l’enfant d’une amie victime de terreurs nocturnes. Diplômée en psychologie, elle s’intéresse au cas de Daryl, jusqu’à aller enquêter sur place. Un certain Walter recherche Scott, le fils adoptif d’un couple de l’Idaho. Un adolescent de la région nantaise, disparu après un match de foot, est retrouvé par un camarade de lycée dans la cave de la remise de son beau-père. D’autres histoires mettant en scène une serveuse de cafétéria en Indiana, une femme trompée qui espionne son mari ou un homme qui se débarrasse du corps de sa femme en Angleterre composent ce roman qui ressemble plutôt à un recueil de nouvelles, la plupart de ces histoires n’ayant pas de liens entre elles. Des faits divers glaçants dont le fil serait la violence dont sont capables les hommes – et les femmes.

 

AntoineAmélie Antoine, Fidèle au poste (Le Livre de Poche)

L’expression « coup de théâtre » convient parfaitement à ce premier roman d’Amélie Antoine. Ses héros sont deux trentenaires qui, après leur mariage trois ans auparavant, ont quitté Paris pour venir vivre à Saint-Malo. Au début de l’histoire, Chloé se noie, ce qui plonge Gabriel dans un désespoir profond. Le réconfort, il le trouve auprès d’une association locale, Traverser le Deuil. Et plus spécifiquement auprès d’Emma, une photographe qui, en attendant de pouvoir arpenter la planète, travaille pour l’office du tourisme. Si cette jeune femme est tout le contraire de la défunte, moins sophistiquée, moins snob, moins jolie aussi peut-être, elle ne laisse pourtant pas le veuf indifférent. Ces différents protagonistes, autour desquels gravitent d’autres personnages (un ancien amoureux, les familles, etc.), prennent alternativement la parole. Y compris la morte, constatant, non sans jalousie, que son amoureux pourrait bien chavirer. Et puis tout d’un coup… Effet de surprise garanti ! Faute de trouver un éditeur, Fidèle au poste a d’abord été autoédité avec succès par Amazon (20 000 exemplaires numériques vendus) avant d’être repéré par Michel Lafon, qui a ainsi rattrapé l’aveuglement de ses confrères.

 

BourcyThierry Bourcy et François-Henri Soulié, Le Songe de l’astronome et La Conspiration du Globe(10/18)

L’un est romancier et scénariste, Thierry Bourcy, l’autre homme de théâtre, François-Henri Soulié, et ensemble, ils ont créé une série qui se déroule au début du 17e siècle. À chaque fois, ils plongent des personnages historiques et fictionnels au cœur d’une période historique qu’ils restituent à merveille, dans ses mœurs et croyances notamment. Prague en 1601 sert de cadre au Songe de l’astronome, un huis-clos dont les protagonistes sont, entre autres, Tycho Brahe, l’un des plus célèbres astronomes de l’histoire, leBourcy-globe peintre anversois Bartholomeus Spranger, le médecin et alchimiste allemand Michael Maier ou l’inquisiteur Roberto Bellarmin, celui-là même qui a envoyé Giordano Bruno au bûcher. Invités pour une  grande réception par l’empereur Rodolphe II de Habsbourg dans son château, ils sont confrontés à une série de morts suspectes. Kassov, le capitaine de ses gardes et son neveu mènent l’enquête.

Les protagonistes de La Conspiration du Globe, qui se passe à Londres en 1603, sont, eux aussi, bien connus, mais sur un autre terrain, puisqu’ils ont pour nom Rosencrantz et Guildenstern. De ces deux émissaires envoyés par le roi du Dannemark pour négocier avec Élisabeth 1re, Shakespeare a fait des personnages de la pièce qu’il vient d’écrire, Hamlet. Or les deux acteurs interprétant leurs rôles sont retrouvés assassinés. Par le biais de l’enquête menée par le capitaine Kassov, que la reine a fait venir de Prague, les auteurs font revivre le célèbre théâtre shakespearien.  Dans ce roman à énigmes, on est très loin du polar actuel qui aime le gore et le sanguinolent. C’est ce qui fait son charme un peu old school et rend sa lecture si plaisante. Et nettement moins stressante.

 

GrangéJean-Christophe Grangé, Lontano (Le Livre de Poche)

Jean-Christophe Grangé, qui dit avoir la violence et la cruauté en horreur, s’en donne pourtant à cœur joie dans ses thrillers. Et celui-ci, son onzième depuis 1994, ne déroge pas à la règle. Au centre de Lontano, il y a une famille : un père, une mère, deux fils et une fille. Mais non seulement ils se détestent tous, mais aucun d’entre eux n’est vraiment franc du collier. Grégoire Morvan, 67 ans, adore ses enfants et ferait tout pour eux. C’est son unique faiblesse et son seul côté sympathique. Surnommé Le Fossoyeur, ce triste symbole de la Françafrique a connu tous les présidents et gouvernements, conservant son bureau Place Beauvau, au Ministère de l’Intérieur. Et il bat sa femme, Maggie. Qui, comme on finit par s’en rendre compte, est faussement soumise et est également dépositaire de certains secrets. Loïc, le cadet, est une sorte de trader cocaïnomane, et bouddhiste. La benjamine, Gaëlle, veut être actrice, peu importe dans quel genre de films, et est ravie à participer à des soirées très libertines pourvu que ça « emmerde » son père. Le seul de la tribu à peu près normal est l’aîné, Erwan, devenu un flic irréprochable. Il est envoyé en Bretagne pour un bizutage qui a mal tourné dans une école militaire. Un étudiant de première année, qui participait à ce rite initiatique particulièrement gratiné, a été retrouvé dans une ruine de l’autre côté du bras d’eau. Enfin, retrouvé… Son corps est éparpillé « façon puzzle », l’armée se livrant justement cette nuit-là à un exercice de tir sur ce bâtiment abandonné. Évidemment, Erwann ne croit pas à cette version et, en d’incessants allers-retours entre la côte bretonne et Paris, il ne va pas ménager sa sueur pour qu’éclate la vérité. Et pendant ce temps, son paternel tente de savoir qui veut faire une OPA sur les mines africaines de coltan dont il est copropriétaire.

 

ColizePaul Colize, Concerto pour 4 mains (Pocket)

D’un côté, le « braquage du siècle » : cent vingt caisses de diamants bruts ont été subtilisées à l’aéroport de Zaventem lors de leur débarquement de l’avion affrété par une compagnie suisse. De l’autre, une tentative de cambriolage minable dans un bureau de poste bruxellois. Pour le premier, on soupçonne Franck Jammet, braqueur de légende et pianiste virtuose, une sorte de gentleman cambrioleur à l’ancienne (le polar a d’ailleurs reçu le prix Arsène Lupin), qui affirme pourtant être rangé des voitures. Et dont on découvre la « carrière » par flash-backs. Pour le second, on a arrêté un jeune Belge, fils de parents algériens épiciers à Ixelles. À la demande de son père, et après avoir d’abord refusé, il accepte d’être défendu par un avocat réputé, Jean Villemont (par ailleurs le narrateur de ces chapitres). Cet humaniste qui plaide pour qu’on s’attaque à la racine de la délinquance, s’entend souvent demander, à l’instar de tous les pénalistes, comment il peut « défendre une crapule pareille ». Visionnant la vidéo de la poste, il se rend compte que pas mal de choses ne collent pas dans le comportement de son client. Par exemple, le fait qu’il passe un coup de fil pendant qu’il surveille (à peine) ses otages et qu’ensuite, il sorte sans emporter d’argent. Le reste est à découvrir dans ce roman impeccable, à l’écriture très soignée, signé par un auteur bruxellois né en 1953 et considéré comme l’un des maîtres du genre.

 

LebelNicolas Lebel, Sans pitié, ni remords (Le Livre de Poche)

En 2003, à Paris, le MAAO (Musée des Arts d’Afrique et d’Océanie) ferme ses porte et une partie de ses collections intègrent le nouveau musée des Arts premiers, quai Branly. Dans son troisième polar, Nicolas Lebel imagine que, pendant l’inventaire, des employés détournent des objets d’une valeur de quatre millions d’euros. Or l’un des diamants volés réapparaît en 2014 dans une enveloppe léguée à sa mort par un policier à son collègue, Mehrlicht, héros récurrent de l’auteur. Qui, ne pouvant croire à la culpabilité de son ami, accepte de mener l’enquête aux côtés du capitaine Kabongo de l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels. Au même moment, ces employés indélicats sont successivement retrouvés pendus ou défenestrés. Pourquoi, douze ans plus tard, deux anciens légionnaires, un Corse et un Russe, sont-ils revenus faire le ménage? Placé sous le patronage de Baudelaire, dont des vers introduisent les chapitres et auquel il doit son titre, Sans pitié ni remords entraîne le lecteur dans un jeu de piste diablement bien conçu. Et d’autant plus épicé que le défunt, fan de mots fléchés, a laissé de judicieux messages codés que tentent de résoudre les policiers.

 

LucovichJean-Pierre de Lucovich, Satan habite au 21 (10/18)

Jean-Pierre de Lucovich aime la période de l’Occupation. Dans son premier roman, Occupe-toi d’Arletty, l’immortelle Garance des Enfants du paradis, dont la conduite n’a pas été absolument irréprochable ces années-là, recevait des petits cercueils bien peu chaleureux. Dans cette deuxième enquête de Jérôme Dracéna, c’est un autre personnage historique, mais d’un tout autre genre, qui défraie la chronique : le docteur Petiot. En ce 11 mars 1944, dans la cave de sa maison en flammes située 21 rue Le Sueur, les pompiers découvrent vingt-sept corps dissous dans de la chaux vive. On le sait, celui qui sera guillotiné en mai 1946, aidé par deux recruteurs, faisait venir chez lui des candidat(e)s à l’exil, qu’il dépouillait avant de les incinérer. L’ancien policier devenu détective privé, qui a ses entrées partout dans ce Paris interlope où fricotent officiers allemands, collabos et malfrats de tous poils, se lance à la poursuite de ce « Dr Satan », comme le surnomme la presse. L’auteur, un ancien journaliste, connaît par cœur son sujet. Il raconte cette époque comme s’il l’avait vécue, décrit avec gourmandise la topographie de la ville dans les pas de son héros, et se fait un historien passionné, et passionnant, de son versant culturel : le music-hall, le théâtre, mais surtout le cinéma, nommant les films projetés et leurs acteurs vedettes (dont Arletty, évidemment).

 

LenormandFrédéric Lenormand, Docteur Voltaire et Mister Hyde (Le Masque) et Qui en veut au marquis de Sade? (J’ai Lu).

Depuis vingt-cinq ans, Frédéric Lenormand écrit des romans policiers historiques et humoristiques qui se passent à Venise ou dont les héros s’appellent tantôt le juge Ti (emprunté à Robert van Gulik), tantôt Voltaire. Dans le sixième épisode de ses enquêtes, Docteur Voltaire et Mister Hyde, le célèbre philosophe est, semble-t-il, menacé de mort. Après avoir été sauvé de la noyade par le futur naturaliste Buffon, il revient à Paris touché par la peste en compagnie d’Edmund Hyde, baronet of Jek’Hill. Où il retrouve son frère.

Lenormand-Sade

Parallèlement, l’auteur de la série pour ados L’Orphelin de la Bastille crée une nouvelle héroïne, Laure de Sade, dont la première enquête, Qui en veut au marquis de Sade ?, sort directement en poche. Emprisonné à la Bastille, le sulfureux écrivain est transféré à l’hospice de Charenton dix jours avant la prise de la forteresse le 14 juillet 1789. Mais il y a laissé ses précieux manuscrits que sa fille tente de récupérer, tout en voyageant en aérostat et en essayant d’échapper à un tueur particulièrement… sadique. On retrouve, dans cette nouvelle aventure les marques de fabrique de Lenormand : un humour en roue libre et une attention particulière portée à la vie quotidienne de l’époque.

NicholsonPhilippe Nicholson, Extra muros (Pocket)

Dans un futur assez proche, profitant de la crise économique qui touche une majorité de pays, les entreprises ont pris le pouvoir. Elles ont formé des zones d’affaires protégées par de hauts murs électrifiés, tandis qu’en ces temps de fortes chaleurs et de pénuries d’électricité, le reste de la population survit comme elle peut. Ces états-entreprises sont devenus plus puissants que les pays. Filmée par des drones américains, une armada de navires – porte-containers, pétroliers, gaziers… - s’apprête, au nom de l’un d’entre eux, à coloniser le Nord de l’Espagne afin d’y établir son nouveau territoire, Evergreen. Après avoir expulsé – en les dédommageant – les populations locales et avec la complicité du pays concerné, qui qualifie l’opération de « pacifique», «bénéfique pour l’avenir de la région, de l’Espagne et de toute l’Europe». Max, le héros qui vit avec sa mère en Irlande dans l’une de ces zones protégées, se trouve chez son père à Marseille. De jour comme de nuit, il filme tout ce qu’il voit dans cette ville hors-zone : un bus qui tombe en panne, des ambulances rouillant sur le parking d’un hôpital, des enfants fouillant dans des bennes en quête de biens de première nécessité, etc. Pour un individu qui vit bien, dix autres restent en effet sur le carreau, c’est le ratio, une loi physique. Mais, la résistance s’organise. Le jeune homme décide de suivre Flynn, l’un de ces résistants. A-t-il fait le bon choix ? On a du mal à considérer cet excellent thriller géopolitique comme un livre totalement d’anticipation, tant certains éléments développés sont déjà en germe aujourd’hui, quand on voit le pouvoir que prennent certaines multinationales imposant leurs lois aux États. Ancien journaliste, Philippe Nicholson est très convaincant de bout en bout, sans jamais relâcher la pression. Et c’est bien cela qui est inquiétant.

 

AbteyBenoît Abtey et Pierre Deschodt, Les héritiers (10/18)

Quatre-vingt ans après sa dernière apparition, Arsène Lupin est de retour dans de nouvelles aventures. En cette fin de 19e siècle, l’orphelin, adopté enfant par un comte qu’il est soupçonné d’avoir tué, vit sous les traits d’un baron philanthrope et amateur d’art. Il est épris d’une jeune fille également amoureuse de lui, à la fureur d’un jeune député aux dents longues qui le dénonce au préfet de police Lépine, avant de provoquer l’incendie du Bazar de la Charité où le couple s’est rendu. Après un retrait dans le désert marocain, le gentleman cambrioleur est de nouveau à Paris où il se voit accusé d’espionnage avec l’Allemagne, ce qui laisse dubitatif Clémenceau devenu Président du Conseil. Fidèle à la personnalité de leur séducteur aux identités multiples et toujours soucieux du bien commun, Benoît Abtey et Pierre Deschodt inscrivent Les Héritiers dans une époque qui se dirige à grand pas vers le premier conflit mondial. Si le héros de Maurice Leblanc apparu pour la première fois en 1905 et libre de droits, a été vu ici et là (notamment en 2015 dans La nouvelle vie d’Arsène Lupin d’Adrien Goetz), il semblerait que cette aventure aux multiples rebondissements connaisse une suite.

 

VanoyekeViolaine Vanoyeke, Meurtre aux Jeux olympiques (Le Masque)

Venus des différentes cités grecques, et de plus loin encore, les athlètes qui, au 3e siècle avant J.-C., vont s’affronter aux jeux d’Olympie, s’entraînent pendant une mois dans la ville neutre d’Elis, au cœur du Péloponnèse. Rosalis, responsable de Victoire, une école de sportifs d’Alexandrie, disparaît soudainement. Les soupçons d’Alexandros, l’enquêteur, et du chef de la police, Raminos, se portent sur son compagnon, Costas. Qui se défend en affirmant qu’elle est rentrée en Égypte, les femmes ne pouvant être présentes sur le sol olympique. Mais alors pourquoi, son singe Kipiou, qui ne la quitte jamais, est-il resté sur place ? Mêlant ses héros fictifs à d’autres réels – le pharaon égyptien Ptolémée II Philadelphe ou Bilistiché, une athlète prestigieuse qui fut sa compagne -, Meurtre aux Jeux Olympiques recrée avec précision et passion ces jeux antiques qui rassemblent différentes disciplines. Et où il est – déjà – question de surentraînement, de transferts de sportifs entre clubs, de tricheries et même de dopage. « Dès que Solon, au 8e siècle avant J.-C., a décidé de récompenser royalement les vainqueurs, toutes les magouilles ont commencé, explique l’auteure. On a trouvé des tentatives de dopage avec des épices, des herbes ou du sésame donné aux chevaux, ce qui entraînait l’exclusion, voire même la condamnation de l’athlète. On a aussi l’exemple d’un excellent coureur qui, corrompu pour de l’argent, s’est laissé dépasser par ses concurrents. »

 

DokmakBoris Dokmak, Les Amazoniques (Mécanique générale)

1967. Peu aimé par sa hiérarchie pour n’avoir pourtant fait que son devoir de flic en interpellant un grand industriel, Saint-Mars, un ancien para passé par l’Indochine est envoyé en Guyane française régler une sombre histoire : un homme sorti de la jungle affirme qu’un ethnologue français aurait tué un Américain. Comment savoir s’il dit la vérité sinon en se rendant sur place ? C’est-à-dire au cœur de la forêt où le présumé assassin continue de vivre parmi les indiens Arumgaranis. C’est à partir de Santa Margerita, au Surinam voisin, que l’enquêteur entame son voyage. Il est précédé par la sœur du mort qui veut se faire justice elle-même, soutenue par un Rangero local, personnage tout puissant. Au terme d’un voyage extrêmement périlleux, il découvre des indigènes en proie à un bien mystérieux mal.

Pour cette histoire, Boris Dokmak, qui signe son deuxième thriller après La femme qui valait trois milliards, s’est inspiré d’une histoire vraie : le projet Sunshine.Il s’agit d’une expérience scientifique et médicale menée par les États-Unis au Venezuela à partir du milieu des années 1940. Elle consistait à expérimenter sur des Indiens des produits toxiques et radioactifs sous forme d’injections, afin de tester la réaction de leurs métabolismes assez vierges. Si ce projet est connu des ethnographes locaux, qui l’ont mis au jour en 1967, les institutions étasuniennes ont toujours refusé d’admettre son ampleur. Ces expériences, dont les résultats sont évidemment tenus secrets, ont causé la disparition des indiens-cobayes Yanomami qui, aujourd’hui, n’existent plus en tant que culture. Quelques villages ont été reconstitués ensuite.

Étouffant sous une chaleur moite, les villes où se passe une partie du roman, donnent l’impression d’être en marge de la civilisation, presque sans foi ni loi, en proie à toutes les dérives. On découvre un univers aux lisières du monde, brassant des individus aux contours flous, et dont certains sont inspirés de personnages que Dokmak a lui-même connus. Et notamment, le principal, Saint-Mars qui ne tient debout que grâce à la morphine.

 

MaraveliasÉric Maravélias, La faux soyeuse (Folio Policier)

Les héros de La faux soyeuse, le premier polar sociologique d’Éric Maravélias, ce sont des jeunes de banlieue encapuchonnés qui, faute d’avenir, saccagent le présent et se droguent à tout-va. Le narrateur est d’ailleurs l’un d’entre eux, représentant d’« une humanité malade et désenchantée, juxtaposition de détresses », mais qui « peut, des heures durant, accrocher [son] regard sur un simple nuage, à la recherche de quelque jour heureux ». L’action se déploie en moins de 48 heures, scandées par de fréquents retours en arrière. Immersion hyperréaliste dans un monde dur, violent, passablement désespéré et désespérant. Mais pas sans issue puisque l’auteur, qui a été toxico pendant vingt ans, en est sorti. Et si le style, peu dialogué, est en phase avec le propos, il n’abuse pas de ces mots et tournures de phrases censées représentées une certaine jeunesse actuelle, comme trop souvent dans ce type de littérature.

 

 

 

MussoGuillaume Musso, L’instant présent (Pocket)

Arthur, célibataire de 25 ans, urgentiste dans un hôpital de Boston, hérite d’une petite maison reliée à un ancien phare sur la côte est des États-Unis, achetée en 1954 par son grand-père. Qui, alors qu’il y faisait des travaux, a soudainement disparu sans laisser de traces. En acceptant ce legs, le jeune homme s’engage à ne pas pénétrer dans une pièce jadis murée par son père. Il rompt sa promesse, bien sûr, et, après de longs efforts, parvient à en ouvrir la lourde porte en fer. Et… Le jeune homme va faire la connaissance de Lisa, une apprentie comédienne de 20 ans, d’une manière, disons, intrusive. Et sans comprendre comment, il va vivre à New-York vingt-quatre jours qui vont passer comme vingt-quatre ans. Ou l’inverse, « visitant » successivement les multiples boroughs de la métropole américaine, de Manhattan au Queens, du Bronx à Staten Island – avec un crochet par Paris. Le phare de Cap Cod existe vraiment. Il fait partie des biens nationaux que l’État américain a vendus après la Deuxième Guerre mondiale. Avec ce roman, Musso donne vie à une envie ancienne : raconter en plusieurs tableaux l’histoire d’un homme et une femme qui ne se verraient qu’un seul jour par an. Une histoire qui, finalement, ressemble par bien des aspects à celle d’un couple ordinaire : la rencontre, les premiers émois, les hésitations, les enfants, les crises de jalousie, les engueulades, les tentatives pour faire durer l’amour…

KonateMoussa Konaté, L’affaire des coupeurs de têtes (Points)

À Kita, à trois jours d’intervalle, trois mendiants sont retrouvés décapités. Un ou deux autres vont suivre. Rencontrés dans Meurtres à Tombouctou, le commissaire Habib, dont Kita est la ville natale (ainsi que celle de l’auteur), et son adjoint Sosso, un Bambara (ce qui n’est pas sans importance), sont envoyés en renfort du commissaire local dépassé par la situation. D’autant plus qu’une partie de la population en appelle à l’esprit des ancêtres. Pour eux, le coupable, c’est l’argent-roi et la « dérive » de la cité qui déplaît aux esprits auxquels, après avoir reconnu ses torts, il faut présenter ses excuses. Le policier doit prendre en compte cet irrationnel, qui finit par toucher presque toutes les couches de la population, et qu’il ne veut pas heurter car il en connaît bien la prégnance. Tout en menant son enquête, nettement plus prosaïque. Dans ce livre plein d’humour et de sagesse, où il est notamment question du pouvoir sexuel des bananes, on croise toute une série de personnages admirablement croqués, un fou et son coupe-coupe, sorte de coupable idéal, quelques notables affairistes et autres figures locales. Ce roman à l’écriture presque feutrée est le dernier de l’écrivain malien mort en 2013.

 

LeBretonBeckerLebrunFrench Pulp Éditions

Née l’an dernier, cette maison d’édition entend donner une nouvelle vie à des polars français oubliés. Entre 1957 et 1959, sous le pseudonyme de Benoît Becker, Jean-Claude Carrière a publié, au Fleuve Noir, six tomes de Frankenstein, une série prolongeant le chef-d’œuvre de Mary Shelley en faisant vivre de nouvelles aventures à son héros. French Pulp permet également à des écrivains célèbres en leur temps, mais dont les livres sont épuisés, de toucher de nouvelles générations de lecteurs. Tels Francis Ryck (1920-2007), dont une grande partie de l’œuvre a paru sous les couleurs noir et jaune de la Série Noire, avec Paris va mourir ou Drôle de pistolet (devenu Le Silencieux au cinéma), Auguste le Breton (1913-1999) avec Du Rififi à New York, Michel Lebrun (1930-1996) et Le Géant, un polar sociologique sur fond de l’arrivée des grandes surfaces dans des petites villes écrit en 1979. Ou encore le moins connu Pierre Nemours (1920-1982), un auteur pourtant extrêmement prolifique dont est repris Le gang des honnêtes gens paru 1970. À noter aussi la réédition des premiers tomes de La Compagnie des Glaces (qui en compte 98 !) de G.-J. Arnaud, la plus longue série de science-fiction jamais écrite par un seul auteur.

 

 

 

IndridasonIndridason-lagonArnaldur Indridason, Opération Napoléon & Le lagon noir (Points)

Opération Napoléon est un passionnant hors-série de l’auteur islandais paru en 1999 dans son pays, après les deux premières enquêtes du commissaire Erlendur Sveinsson (non traduites en français). En 1945, des militaires américains tentent de retrouver un bombardier allemand qui s’est écrasé quelques jours plus tôt contre le glacier Vatnajökull, le plus grand d’Europe situé au sud-est de l’île. Mais leurs recherches restent vaines. Un demi-siècle plus tard, dans le plus grand secret, une autre équipe revient avec le même projet. Où allait cet avion qui aurait contenu l’or nazi ? Une avocate, dont le frère s’est trouvé là au mauvais moment, va être amenée à découvrir un mystère qui rappelle le rôle parfois trouble des Américains à la fin de la guerre. Le tout sur fond des prémisses de la Guerre froide.

Le Lagon noir est la deuxième enquête du tout jeune inspecteur Erlendur après Les Nuits de Reykjavik (mais écrite après toutes les autres). L’homme repêché en 1979 est un ingénieur travaillant sur la base aéroportuaire tenue par les Américains qui refusent de laisser la police islandaise enquêter. Pas de quoi décourager le héros très hostile à cette présence. Tout en travaillant sur une vieille affaire de disparition, il fait son devoir de policier. Une fois encore, avec un réel brio et humanité, l’auteur de La Cité des Jarres fait ressortir des fantômes dont son île est encombrée.

Traduits de l’islandais par Éric Boury

 

ThoraninssonArni Thorarinsson, Le crime (Points)

Autre pointure du polar islandais, l’auteur de L’Ombre des chats ou du Dresseur d’insectes a pris soin de sous-titrer ce bref roman « Histoire d’amour ». En effet, il s’agit moins d’un roman policier que d’un drame familial. Frida affirme haïr ses parents qui se sont séparés lorsqu’elle avait huit ans, la plaçant chez ses grands-parents. Ils lui ont promis de lui en révéler les raison à ses dix-huit ans. Ce jour est arrivé. Mais le père, psychologue qui culpabilise, et désespère face à des institutions et à une société qui tombent « en ruine », n’ose pas. Et la mère, alcoolique et abrutie de médicaments, le fait par le biais d’une lettre. Qui commence par ces mots : « Tu as été conçue en plein bonheur, par la grâce du bonheur. » Alors, que s’est-il passé ? Le mystère est progressivement levé au cours de ce bref roman, très dense

Traduit de l’islandais par Éric Boury.

 

 

nesboJo Nesbø, Fantôme (Folio Policier)

De la littérature policière norvégienne, qui ne jouit pas en français de la même popularité que la suédoise ou l’islandaise, Jo Nesbø (né en 1960) est le plus célèbre et brillant représentant. Fantôme est la neuvième enquête de Harry Hole depuis L’Homme chauve-souris traduit en 2002. Après un détour par Hong Kong, où cet ex-inspecteur était allé soigner sa déprime consécutive à sa rupture amoureuse, puis par le Congo, où il était parti sur la trace d’un tueur en série, voici le pas toujours fringant enquêteur de retour à Oslo. Il retrouve une ville profondément changée, livrée aux trafiquants de drogue. La drogue, et notamment une nouvelle venue, la fioline, est le fil rouge de cette intrigue qui implique douloureusement son héros puisqu’Oleg, le fils de la femme qu’il aime, se voit impliqué dans le meurtre d’un dealer. Fantôme offre une plongée vertigineuse au cœur d’une cité que l’auteur montre sous ses atours les moins seyants. Signalons que ce roman existe aussi sur un CD audio lu par Frédéric Dimnet : 15h30 d’écoute! (Gallimard / Écoutez Lire).

Traduit du suédois par Paul Dott.

 

EdwardsonÅke Edwardson, La maison au bout du monde (10/18)

Le polar, peut-être plus que d’autres genres littéraires, au-delà de l’intrigue et du suspense, constitue en général une formidable plongée sociologique dans la ville ou le pays où il se déroule. C’est le cas avec cette Maison au bout du monde. Erik Winter, le héros récurrent de l’auteur suédois Åke Edwardson, revient au pays après deux ans passés en Espagne, où il a failli mourir au fond d’une piscine (depuis il souffre d’acouphènes) et où il a laissé sa femme et ses deux filles. Quittant la chaleur du sud pour le froid nordique, il enquête sur le meurtre d’une femme et ses deux enfants. Il retrouve un pays qui a bien changé, qu’il n’est pas sûr de reconnaître, où le modèle social-démocrate tant vanté prend eau de toutes parts avec la montée du racisme et de l’extrémisme. Et puis, il a vieilli, et il le ressent.

Traduit du suédois par Rémy Cassaigne

 

 

ShohamLiad Shoham, Oranges amères (10/18)

Après deux enquêtes conduites dans la bouillonnante Tel-Aviv où il vit, Liad Shoham déménage son action et ses personnages de quelques kilomètres à l’intérieur des terres, à Petah Tikva. Dans cette petite ville, il est réputé ne rien se passer - les magouilles du maire sont d’ailleurs étouffées afin de ne pas troubler cette quiétude. Sauf lorsqu’un journaliste d’investigation ne donne subitement plus signe de vie, ce qui inquiète sa compagne. L’inspectrice Anat Nahmias, qui s’ennuie ferme, entend investiguer, contre l’avis de sa hiérarchie qui pense à une fuite. Elle est confortée dans ses intentions par un ami du disparu, par ailleurs publicitaire spécialisé dans les campagnes électorales. À deux, ils vont mettre les pieds dans un marigot particulièrement nauséabond, à leurs risques et périls. À travers cette immersion dans une réalité sociologique israélienne que l’on ne connaît pas forcément, l’auteur, avocat dans son autre vie, met au jour la corruption qui gangrène le monde politique local. Des pratiques que l’on retrouve, hélas, sous toutes les latitudes.

Traduit de l’hébreu par Laurent Cohen

 

MillerJax Miller, Les infâmes (J’ai Lu)

« Je m’appelle Freedom. » Ce sont les premiers mots de Freedom Oliver lorsqu’elle prend la parole pour raconter son histoire. Cette femme alcoolique et suicidaire a peur. Elle qui travaille depuis dix-huit ans comme barmaid dans l’Oregon apprend en effet que son beau-frère, condamné pour l’assassinat de son mari dont elle a été un temps accusée, vient d’être libéré. Il pourrait être tenté de la retrouver pour se venger, secondé par sa famille complètement tordue, convaincue de sa culpabilité. Lorsqu’elle apprend aussi que sa fille, dont elle a été séparée (avec son fils) et qui a été élevée par un pasteur traditionnaliste au sein des Adventistes du 3e jour, a été enlevée, elle décide de prendre la route et d’affronter son passé. Et son destin. Dans son cheminement, elle est aidée par un policier. Au cours de ce road trip vers un avenir incertain, nous suivons alternativement différents personnages, dont certains (sheriff, avocat, etc.) collent à l’image que l’on se fait de l’Amérique profonde. Plus proche du roman noir que du polar strict, d’une écriture brute, ce premier roman d’une New-yorkaise vivant en Irlande est poisseux à souhait, comme si rien ne méritait vraiment d’être sauvé.

Traduit de l’anglais (américain) par Claire-Marie Clévy

 

delArbolVíctor del Árbol, Toutes les vagues de l’océan (Babel Noir)

Né à Barcelone en 1968, Víctor del Árbol, dont c’est le troisième roman traduit en français après La tristesse du Samouraï et La maison des chagrins, brasse, à travers une intrigue extrêmement prenante, quelques moments tragiques du 20e siècle : la guerre civile espagnole et les camps français où furent ensuite parqués les réfugiés républicains, l’URSS des années 1930 et le goulag stalinien. Le personnage principal, un avocat barcelonais quadragénaire et un peu falot, Gonzalo Gil, apprend que sa sœur, dont il n’avait plus de nouvelles depuis longtemps, s’est suicidée après avoir torturé un truand russe qu’elle soupçonnait d’être l’assassin de son fils. Est-ce la vérité ? En plein doute, il décide d’aller voir de lui-même, faisant remonter le passé à la surface. Un passé d’où émerge la figure de son le père, Élias, jeune communiste idéaliste arrivé à Moscou en 1933. Accusé de trotskisme avec quelques camarades, il est déporté en Sibérie sur « l’île aux cannibales » où un prisonnier de droit commun fait régner la terreur. Revenu vivre en Espagne, il a disparu en 1967. Cette histoire dans l’Histoire, passionnante, terrifiante aussi, apporte au roman une densité et une force dramatique rares.

Traduit de l’espagnol par Claude Bleton.

 

 

TakanoKazuaki Takano, Treize marches (10/18)

Publié au Japon en 2001, Treize marches, premier roman d’un scénariste tokyoïte né en 1964, a été vendu à 400 000 exemplaires. Un condamné à la peine capitale, amnésique lors du procès et qui attend depuis sept ans dans le couloir de la mort, voit sa mémoire revenir lorsqu’il entend hurler un prisonnier qui va être exécuté. Un ancien détenu accusé d’homicide involontaire, qui découvre que ses parents doivent payer une importante somme d’argent pour son crime, accepte, pour se racheter, d’aider son ancien gardien, qui s’occupe de la réinsertion des prisonniers, à prouver l’innocence du condamné à mort. Le titre se rapporte au nombre d’échelons (et donc de signatures) nécessaires avant chaque exécution. Celle-ci peut donc survenir n’importe quand. Les deux hommes se lancent dès lors dans une course contre la montre, sans savoir s’ils ne font pas tout cela pour rien.

Traduit de japonais par Jean-Baptiste Flamin.

 

GilbersHarald Gilbers, Les Fils d’Odin (10/18)

Dans son premier roman, Germania, Harald Gilbers montre une ville de Berlin pilonnée par les bombes alliées l’été 1944. Son héros, Richard Oppenheimer, un ex-commissaire de police révoqué parce que Juif mais non déporté grâce à son épouse aryenne, enquêtait sur les meurtres de jeune femmes retrouvées mutilées devant des monuments aux morts. Nous le retrouvons quelques mois plus tard, début 1945, vivant dans la crainte de faire partie des derniers déportés. Il se cache, aidé par une amie bientôt accusée d’avoir tué son ex-mari membre des SS impliqués dans des expérimentations humaines menées à Auschwitz. Il revêt alors ses habits d’enquêteur et, pour tenter de la sauver, se lance à la recherche du vrai coupable. Au fil de sa quête, il tombe sur une secte qui entend, fidèle aux nazis, assurer la suprématie de la race aryenne. Bien sûr, cette traque est haletante. Mais Les Fils d’Odin, dont le premier chapitre se passe à Auschwitz une semaine avant sa libération, est d’abord une exceptionnelle photographie d’une ville, et d’une nation, au bord de l’abîme, au point de chavirer. Chacun tente de sauver sa peau comme il peut, coûte que coûte, surtout si l’ardoise est lourde. Quant à la population, pressée de tournée la page, elle rechigne à suivre les ordres des nazis zélés, sans pour autant être rassurée sur son avenir immédiat. Cette plongée dans le Berlin quotidien est sidérante, et très peu connue.

Traduit de l’allemand par Joël Falcoz.

 

Michel Paquot
Juin 2017

crayongris2Michel Paquot est chroniqueur littéraire indépendant

 


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