Lectures pour l'été 2017 - Poches - Littérature française

DivrySophie Divry, Quand le diable sortit de la salle de bain (J’ai Lu)

L’héroïne de La Condition pavillonnaire (J’ai Lu), le précédent roman de Sophie Divry, est simplement nommée M.-A. Enfant unique élevée dans un village avant d’aller étudier à Lyon, elle a connu une jeunesse joyeuse et insouciante, rêvant de voyages et de liberté. Puis elle s’est mariée à un homme aimant et attentionné, bien qu’un peu terne, a eu une fille et un fils qui l’ont comblée, une amie intime à qui elle se confiait, menant une vie confortable dans un pavillon de banlieue. Bref, sa vie a été, pourrait-on dire, heureuse. Oui, mais manquant de surprises, d’inattendu, de peps. Et cette Emma Bovary moderne a, comme l’héroïne de Flaubert, pris un amant. Pour se désennuyer. Sans pour autant être vraiment satisfaite.

De cette vie qui ressemble à celle de tant d’autres, finalement peut-être plus réussie que ratée, la romancière offre une photo inversée avec Quand le diable sortit de la salle de bain. À la fois par le style et par la personnalité de leurs héroïnes. Au « tu » mélancolique et à l’écriture tenue et feutrée du premier roman, succède le « je » énergique, bourré d’humour et terriblement roboratif de la narratrice du second. Cette jeune écrivaine au chômage se demande comment manger avec quelques dizaines d’euros par mois. Le diable, appelé Lorchus, est, comme dans Tintin, le mauvais génie, la figure du mal. Une figure d’autant plus persuasive et tentatrice que Sophie, l’héroïne fictionnelle, se dévalorise, a honte. Et ce n’est pas la voix de sa mère, omniprésente dans sa tête, qui arrange les choses. Sur les conseils de ce Lorchus, mais aussi de son meilleur ami, Hector, grand séducteur sans emploi comme elle, elle se risque à écrire un chapitre plus « osé » dont Hector est lui-même le héros. Ce qui permet à l’autre Sophie, l’auteure, de jouer sur différents niveaux de lecture. Tout cela dans un esprit farceur et malicieux, sans se prendre au sérieux. À la fin du livre, à l’instar des bonus d’un DVD, on peut lire des scènes coupées ainsi qu’une note d’intention.

 

SchneckColombe Schneck, Sœurs de miséricorde (J’ai Lu)

Azul est née à Chuqui-Chuqui, un village bolivien sur les bords du Rio Chiquo. Aujourd’hui, elle fait le ménage à Paris chez Madame Isabelle où elle arrive après deux heures de bus et de RER. C’est sa vie que retrace Sœurs de miséricorde, l’un des plus beaux livres de l’auteur de La Réparation. Un père volage puis assassiné, laissant une famille de neuf enfants. Des années de collège à Santa-Cruz où l’a précédée sa grande sœur et où l’« indigène » est ostracisée par ses condisciples « blanches ». Le harcèlement sexuel dont elle est victime dans la librairie où elle travaille. Un mariage raté et un premier enfant. Un second homme, gentil mais faible, et une fille. L’instauration de la dictature, la crise économique et, faute de travail, son départ pour Rome, seule. Son retour, deux ans plus tard, avec des économies insuffisantes pour éponger les dettes de son compagnon. Nouvel exil à Paris où cette femme courageuse et volontaire tente de trouver sa place. Délaissant l’autofiction et la biographie familiale, Colombe Schneck signe un livre simple et magnifique, sans effets, faisant confiance aux faits pour produire de l’émotion, de la compréhension et de la compassion.

 

AdamOlivier Adam, La renverse (J’ai Lu)

La renverse du titre du roman d’Olivier Adam désigne la période entre deux marées où le courant est nul. Cette période, chez Antoine, le narrateur, a duré la décennie entre le scandale politico-sexuel dans lequel ont été impliqués sa mère et le sénateur-maire d’une petite ville normande dont elle était l’adjointe, et la mort accidentelle de l’édile. Dix ans pendant lesquels, réfugié sur la côte bretonne, il a vécu en exil intérieur. Il se souvient de la déflagration familiale provoquée par ces présomptions de viols. De la thèse du complot mise en avant. De la fracture entre deux mondes, les accusatrices ne disposant pas des armes intellectuelles et médiatiques pour se battre. De sa fuite avec la fille du potentat local, adolescente comme lui. Le désarroi humain né de ce scandale est raconté avec sensibilité et empathie, comme toujours chez l’auteur de Peine perdue. Qui décrit tout, des goûts picturaux du héros au mobilier du pavillon familial, en passant par les clients d’un bar, la topographie des lieux ou le fond musical lors d’une discussion. Si ces précisions renforcent la véracité sociologique ou humaine de l’histoire, elles laissent cependant peu de place aux non-dits et à l’imaginaire du lecteur. Voir aussi ici

 

FayeÉric Faye, Il faut tenter de vivre (Points)

On parle parfois, pour tel ou tel roman, et pas toujours à bon escient, d’une ambiance « modianesque ». C’est moins de cela qu’il s’agit ici, que de bouts de phrases qui auraient pu avoir été écrits par l’auteur de Dora Bruder, d’émotions ou de pensées qui pourraient être celles de ses héros. Ou encore la triple temporalité du livre. Le narrateur (Éric Faye lui-même comme il le signale en exergue, sans que pour autant jamais son livre n’ait des airs d’autofiction) se souvient d’une époque ancienne (le milieu des années 90) où il a connu une jeune femme, Sandrine Broussard, qui lui a raconté son propre passé. Soit la décennie précédente au cours de laquelle, avec son frère, elle a escroqué par petites annonces des hommes en quête d’une compagne. Ceux-ci lui envoyaient de l’argent afin qu’elle les rejoigne à l’autre bout de la France, ce qu’elle ne faisait évidemment jamais. Si elle s’est enrichie, menant la grande vie dans des restaurants de luxe, la police a fini par repérer ses combines, provoquant sa fuite à Bruxelles. Outre cette structure romanesque qu’affectionne Modiano, certaines réflexions du narrateur qui porte sur son passé un regard plus étonné que mélancolique évoque le Prix Nobel de Littérature. Telle celle-ci : « Je me dis parfois que la vie n’est pas une affaire de clarté mais plutôt de ténèbres. Que distingue-ton véritablement au-delà des premiers mètres ? » Ou cette autre : « Un soir, j’ai retrouvé Sandrine dans un café de la rue de Rome, près des voies de chemin de fer. Il faudrait que je me décide à retourner là-bas, un de ces jours, mais je me dis que les endroits par où nous sommes passés doivent s’effacer derrière nous et qu’il est préférable de ne pas revenir sur ses pas. » Et encore : « Cassis, Vercors, Paris, la rue de l’Ouest. Je revois cette époque comme si l’on avait posé dessus un filtre photo polarisant, ou comme si tout cela se silhouettait à travers une vitre embuée. Je venais d’avoir trente ans et je n’étais pas doué pour la vie. » Ajoutons à cela les nombreux noms d’emprunt utilisés par l’héroïne, personnage forcément insaisissable entretenant des liens flous avec le narrateur qui ne révèle jamais la nature profonde de ses sentiments.

 

LouisÉdouard Louis, Histoire de la violence (Points)

En janvier 2014, Edouard Louis, alors âgé de 21 ans, a frappé fort avec son premier roman, En finir avec Eddy Bellegueule, devenu un grand succès critique et public. Il y racontait les souffrances, injures, humiliations et coups endurés par un enfant homosexuel – lui-même - dans une famille ouvrière au cœur d’un village picard dans les années 2000. Histoire de la violence s’inscrit dans cette même double lignée autobiographique et littéraire. Son point de départ est le viol dont son auteur a été victime de la part d’un certains Reda, un jeune Kabyle rencontré un soir de Noël qui l’a dragué et convaincu de l’accueillir chez lui. Après une nuit d’amour, lorsque l’amant de fortune s’est mis à voler quelques objets, les choses se sont envenimées, et le garçon, après avoir menacé de tuer son hôte, l’a violé (selon Louis). Ce qui a donné lieu à une plainte, vite retirée à cause du racisme policier, puis à une affaire judiciaire non encore soldée aujourd’hui (Reda a fait onze mois de préventive et clame son innocence). De cette histoire, le jeune écrivain spécialiste de Bourdieu va faire ce livre paru en 2016. Un « roman » au parti-pris extrêmement littéraire, à la fois dans sa déconstruction narrative et dans le double récit : celui du narrateur, l’auteur lui-même, et celui, fictif, de sa sœur qui raconte les faits à son mari. Cette dernière voix, mal structurée, bourrée d’approximations lexicales et grammaticales, mise en parallèle avec un phrasé autrement plus racé de son frère, a été reprochée à l’auteur accusé de se moquer du terreau social où il est né et dont il est sorti. Davantage que de cette transposition littéraire très travaillée de ce parlé populaire, le malaise naît plutôt du portrait sinistre, voire méprisant, qu’il donne de ce milieu social et géographique. L’autre reproche fait à ce livre est son déterminisme social : la violence de Reda ne serait que le fruit d’une autre violence sociale et politique dont son père et, plus globalement, les Kabyles ont été les victimes.

 

ChalandonSorj Chalandon, Profession du père (Livre de Poche)

Émile, le jeune héros de Profession du père, est un mélange de l’auteur, de son frère cadet et de fiction. Contrairement à lui, Sorj Chalandon n’était pas enfant unique, il n’a pas été chassé de chez lui mais s’est fait émanciper à 17 ans, il n’est pas devenu restaurateur de tableaux mais journaliste et son père n’est pas mort en 2011 mais en 2014. Et pourtant, l’enfance racontée est bien la sienne. Un père qui le tabasse pour ses piètres résultats scolaires, qui l’appelle tantôt « rebelle », tantôt « sale con », qui le réveille la nuit pour lui faire faire des exercices physiques. Ou qui laisse sa femme dormir sur le palier parce qu’elle est allée avec une amie assister à un concert des Compagnons de la Chanson, groupe dont il affirme avoir été à l’origine avant d’en être exclu. Ce qui est faux, cet homme est un mythomane. Il n’a jamais cessé de s’inventer des passés et des métiers: agent secret, pasteur pentecôtiste, para, gardien de but professionnel, judoka ceinture noire au Japon… Sans jamais trancher. Si bien qu’à l’école, à côté de « profession du père », son fils écrivait: « sans ». À 13 ans, Émile l’admire. Et donc le croit. À sa demande, il trouve une « cache » pour héberger le danseur russe Rudolph Noureev qui a fait défection lors d’un voyage en Europe. Et lorsqu’il est question d’un nouvel attentat contre le Général de Gaulle fomenté par l’OAS opposée à l’indépendance algérienne, après celui manqué d’août 1962, il accepte d’aider son père, glissant des lettres de menaces dans la boîte aux lettres d’un député proche du « félon ». Convaincu de faire partie de « l’organisation », il « recrute » un fils de rapatriés pieds noirs qui vient d’intégrer sa classe. Et se trouve bientôt pris lui-même dans une spirale mensongère dont il ne parvient plus à sortir.

 

HenryKarine Henry, La désœuvre (Babel)

On reste stupéfait par la maturité d’écriture et de propos de La Désoeuvre, le premier et ample roman d’une libraire, Karine Henry, paru en 2008. Cette histoire de deux sœurs est d’une saisissante puissance romanesque et émotionnelle. Marie, jeune fille d’une vingtaine d’années, reçoit en héritage la maison familiale d’Artel. En héritage ? Barbara, sa sœur aînée de onze ans qui la lui lègue, n’est pas morte, comme leurs parents des années auparavant dans un accident de voiture. Mais, dérangée psychiquement, elle a été internée, et ni elle, ni son beau-frère ne savent où elle est. Le roman est la reconstitution de l’histoire de cette étrange famille. Une mère qui n’a d’yeux que pour son aînée – au point de lui refuser un studio à Paris de peur qu’elle ne revienne pas assez souvent -, un père généreux qui tente d’aplanir les conflits, une fille prise d’accès de folie et la cadette qui tente de trouver sa place, contrainte, devenue orpheline, d’aller vivre chez sa sœur et son mari. Alternativement, nous sont donnés à lire le récit de Marie et les échos souvent délirants, toujours douloureux, de la vie intérieure de Barbara ferraillant contre elle-même et les Autres pour parvenir à mener à bien un récit qu’elle nomme « l’œuvre ».

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