Lectures pour l'été 2017 - Poches - Littérature française

MordillatGérard Mordillat, La brigade du rire (Le Livre de Poche)

Les éditorialistes français qui affirment à longueur de colonnes ou d’interventions télévisées que la France « ne travaille plus », que les salariés sont « surprotégés » ou que l’État-providence est une « illusion incompatible avec le monde actuel devraient faire attention s’ils ne veulent pas subir le même sort que Pierre Ramut, le héros du nouveau roman de Gérard Mordillat. Ce journaliste vedette de l’hebdomadaire Valeurs françaises et auteur du best-seller La France debout où il développe ces idées, considère que les ennemis des salariés sont moins les patrons que les pauvres, les immigrés, les chômeurs, les travailleurs sans-papiers, « tous les laissés-pour-compte prêts à leur manger la laine sur le dos ». Mal lui en a pris d’écrire cela car il a été enlevé par la Brigade du rire. Non pour être maltraité ou échangé contre une rançon, mais pour travailler de ses mains. Pendant trois mois, contre salaire, cet homme si sûr de lui et de ses convictions va faire des trous avec une perceuse dans des plaques du duralumin, six pièces à l’heure, huit heures par jour. Pour le surveiller, ses geôliers arborent les masques des sept nains et de Blanche Neige. Les différents brigadistes – un imprimeur au chômage, le directeur d’une petite entreprise, deux jumelles, un distributeur de films, une journaliste en grève, un prof d’économie, un garagiste, un spécialiste de Shakespeare… - existent par eux-mêmes, on les voit tous évoluer dans leur vie personnelle et professionnelle sans que jamais ils ne soient décrits. Et sans jamais entrer dans leur pensée, l’auteur fuyant tout psychologisme.

 

LiberatiSimon Liberati, Eva (Le Livre de Poche)

Au début des années 1970, au Palace, haut lieu de la vie parisienne nocturne, le chemin de Simon Liberati croise très brièvement celui d’Eva Ionesco. Elle a 13 ans, lui 19. Par la suite, il la revoit à plusieurs reprises, mais de loin. Elle le marque néanmoins puisqu’en 2004, dans son premier roman imprégné de souvenirs, Anthologie des apparitions, elle est Marina, la jeune sœur du héros perdue entre drogue et prostitution. Et aujourd’hui, elle est sa femme. Lorsqu’en avril 2013, suite à plusieurs dîners où ils se retrouvent invités, ils entament une liaison, ils ont l’un et l’autre un passé chargé. À plus de quarante ans, Simon Liberati est l’auteur de cinq romans, dont deux primés – L’hyper Justine par le Flore et Jane Mansfield 1967 par le Femina -, et tend à se perdre dans l’alcool et la drogue. Dans le roman de son ami et premier éditeur Frédéric Beigbeder, Un roman français (2009), il est « le Poète » avec lequel l’auteur passe une nuit au poste pour avoir sniffé de la cocaïne sur le capot d’une Bentley. Eva, de son côté, avant de devenir actrice et de réaliser un film autobiographique, Little Princess, a fait scandale en posant nue, à 12 ans, devant l’objectif de sa mère, la photographe Irina Ionesco, contre laquelle elle a d’ailleurs gagné un procès. C’est un mois après l’installation de sa nouvelle compagne dans sa maison à la campagne que le romancier décide d’écrire sur elle. Au fil des pages, tout en évoquant leur vie commune, il fait son portrait, raconte quelques épisodes de son enfance, notamment le rejet dont elle a été victime à l’école, à cause de photos érotiques – elle a fait notamment la Une de Der Spiegel en 1977 -, mais aussi de ses tenues extravagantes. Si leur quotidien est parfois tumultueux - Eva a un caractère « abrupt », voir hystérique, est rétive à toute autorité et témoigne d’« un goût effréné pour le scandale » -, il se réjouit néanmoins d’avoir rencontré une « sœur »».

 

AzoulaiNathalie Azoulai, Titus n’aimait pas Bérénice (Folio)

Dans le très écrit Titus n’aimait pas Bérénice, paru en 2015, Nathalie Azoulai a pris le parti de l’extrême simplicité. De nos jours, pour se consoler d’avoir été rejetée par son amant (Titus) resté fidèle à son épouse, une jeune femme (Bérénice) se plonge dans Racine. Dont, après cette brève entrée en matière, nous est contée la vie. Nous découvrons son éducation à Port Royal, ses rapports avec Boileau (son ami et confident), La Fontaine ou ses concurrents Corneille et Molière ou l’écriture et la création de ses pièces. Nous assistons à ses amours avec ses actrices, ses liens avec Louis XIV (qui l’aime mais n’aime pas Port Royal que Racine aime) ou son entrée à l’Académie (tout court, sans l’ajout de « française »). Le tout est conté d’une plume libre, allègre, faisant du héros un personnage plus romanesque qu’historique. Et de l’héroïne du début, il est question par intermittence.

 

OsterChristian Oster, Le cœur du problème (Points)

Si votre femme vous quittait en vous laissant comme cadeau d’adieu le cadavre de son amant, comment réagiriez-vous ? La première chose que fait Simon est d’enterrer le corps dans le jardin, sous les tomates. Sans en informer quiconque, pas même son meilleur ami, Paul. Sa deuxième réaction est de tenter de retrouver sa femme. Si les policiers restent sourds à ses inquiétudes, l’un d’eux, Henri, tout juste à la retraite, s’intéresse à son sort. Au point de l’inviter chez sa belle-sœur à quelques heures de voiture de là. Entretemps, le mari déboussolé a retrouvé la fugueuse à Londres, mais elle n’a rien à lui dire. Il décide alors de mettre la maison en vente. Christian Oster (prix Médicis pour Mon grand appartement et dont Une femme de ménage a été adapté au cinéma) fait de la littérature à partir du quotidien. Non sans humour, il se lance dans une description quasi exhaustive des faits et gestes de ses personnages et des pensées de son narrateur. Et c’est de cette banalité que naît une histoire elle-même peuplée d’autres histoires qui renvoient à notre propre condition humaine.

 

SthersAmanda Sthers, Les promesses (Le Livre de Poche)

En France, pour sa mère, il s’appelle Alexandre. En Italie, pour la riche famille de son père qui s’est noyé lorsqu’il était enfant, il se nomme Sandro. Et lui, toujours, balance, victime de la « schizophrénie » que son prénom a provoquée dans sa vie. Entre hier, dans la villa toscane de Nonno où il a passé tous ses étés, y connaissant sa première expérience sexuelle avec une voisine, et aujourd’hui, où il parcourt le monde pour expertiser des livres anciens. Entre trois femmes. Bianca, son épouse qui lui a donné deux enfants aux prénoms « bilingues », Clara la conventionnelle et Nicola le mou égoïste. Gilda, nettement plus jeune, qui l’enferme progressivement dans le « piège » qu’il avait fui. Et surtout Laure, une sculptrice qu’il a aimée ardemment mais chastement, la laissant se marier, incapable de tout briser pour construire quelque chose avec elle. Et puis, il balance entre des promesses non tenues : celles que la vie lui avait faites d’allégresse et de bonheur assurés, celles qu’il s’était faites mais estime avoir trahies, et celles qu’il avait faites, comme emmener Laure à Venise. Le seul vrai choix d’Alexandre/Sandro, c’est finalement de n‘avoir pas choisi l’artiste. Et lorsqu’en bout de course, il va vers elle, c’est trop tard.

 

BauchauHenry Bauchau, Le temps du rêve (Babel)

Le futur psychanalyste et auteur d’œuvres majeures comme La Déchirure, Le Régiment noir, Œdipe sur la route ou Antigone (Rossel 1997) a vingt ans lorsqu’en 1933, durant son service militaire, il écrit ce court texte resté inédit jusqu’en 2012. Dans sa préface, il en révèle la portée totalement autobiographique : l’amour ressenti, l’été de ses onze ans, pour une fillette de sept ans. La rencontre a lieu lors d’une journée passée, avec ses cousins et cousines, en compagnie des enfants d’amis de leurs parents dans leur propriété. Pendant des heures, les deux enfants jouent ensemble, se cachent des autres, se rendent à l’étang ou s’amusent sur les balançoires. Ce sera la seule fois, jamais plus ils ne se reverront vraiment. Tout juste se croiseront-ils à la messe, un dimanche. Henry Bauchau fait preuve ici, à la fois d’une grande maîtrise stylistique et d’une extrême finesse dans la traduction des émois vécus par son héros.
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LeroyJérôme Leroy, Jugan (Folio)

Ne cherchez pas Noirbourg sur une carte, ce bourg normand situé en plein Cotentin n’existe pas. C’est pourtant là que le narrateur de ce roman a passé une année comme prof de collège. Si, en vacances sous le soleil grec, il ne cesse de revivre ces quelques mois, c’est parce qu’ils sont liés à Jugan, un ancien révolutionnaire de retour au bercail après dix-huit ans de prison. Par bribes, nous remontons dans le passé de celui-ci pour découvrir ses faits d’armes à une époque où des jeunes gens ont cru que la révolution passait par la violence. Et pour comprendre pourquoi il est défiguré. Recruté par une ancienne amie, qui n’a pas fait le deuil de sa révolte, afin de s’occuper d’une école de devoirs, il rencontre une jeune fille trop influençable qu’il va vampiriser et conduire à sa perte. Ce livre lourd d’une ambiance de plus en plus poisseuse, oppressante, rappelle que le terrain de prédilection de son auteur, Jérôme Leroy, est le roman noir à résonance sociale et politique. Il a d’ailleurs publié deux romans à la Série Noire, Le Bloc, où il raconte l’accession au pouvoir d’un parti d’extrême droite, et, l’an dernier, L’Ange gardien, portrait assez inquiétant d’une France en déliquescence. Il a également été le coscénariste du film de Lucas Belvaux, Cher nous.

 

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