Lectures pour l'été 2017 - Poches - Littérature française

 

JobArmel Job, Dans la gueule de la bête (Espace Nord)

Venu tard à la littérature – à 52 ans -, ancien prof de latin et de grec et chef d’établissement à Bastogne, Armel Job s’est imposé de livres en livres comme l’un des écrivains majeurs en Belgique francophone. Servies par des personnages forts, ses intrigues sont riches d’une densité et d’une profondeur humaines, mais aussi sociales et historiques, pas si fréquentes en littérature. Dans la gueule de la bête a pour décor une ville qu’il connaît bien, Liège, pendant la Seconde Guerre mondiale. Une fois par semaine, à La Miséricorde, un établissement tenu par des bonnes sœurs où elle est pensionnaire, Annette reçoit la visite de ses parrain et marraine. En réalité, elle s’appelle Hannah et ce sont ses parents juifs, bravant mille dangers, qui viennent la voir. Lui loge dans une mansarde rue Sainte-Marguerite chez une veuve dont la fille, Angèle, se montre suspicieuse à son égard. Sa femme, Fannia, s’occupe des enfants d’un notaire depuis la mort de leur grand-mère. Elle y a été placée, dissimulée sous le nom de Nicole, par le réseau catholique. Chacun se méfie de chacun, les espions et délateurs courent les rues. Jean, le nouvel amoureux d’Angèle, est-il sincère quand il affirme que la propriétaire du logement qui pourrait accueillir leur amour demande 1500 francs de caution? Et Laja, la sœur de Fannia qui vit à Seraing avec son mari, n’a-t-elle pas été imprudente en voulant revoir la chapellerie familiale près de la rue Grétry? Elle a en effet l’impression d’avoir été suivie. Sur ce terreau qui renvoie à des heures sombres, l’auteur des Fausses innocences a construit un roman fort et prenant.

 

BoltanskiChristophe Boltanski, La Cache (Folio)

Il y a la grand-mère, Myriam Boltanski, auteure après la guerre d’une vingtaine de romans et d’essais sous le pseudonyme d’Annie Lauran, les oncles, Christian et Jean-Élie, respectivement artiste plasticien et linguiste, le père, Luc, sociologue, et aujourd’hui le fils, Christophe, grand-reporter au Nouvel Observateur et auteur de ce premier roman, La Cache, où il raconte l’histoire de sa famille en parcourant les différentes pièces de la maison parisienne de ses grands-parents rue de Grenelle. Un peu à la manière d’un Cluedo, sinon que ce n’est pas un meurtre qu’il va découvrir, mais une disparition, celle de son grand-père qui, pendant vingt mois, de l’automne 1942 à la Libération de Paris, s’est caché dans un espace aménagé sous l’«entre-deux », une petite pièce située au premier étage entre la chambre et la salle de bain. Avant, une fois la paix revenue, de reprendre son métier de gastro-entérologue à l’hôpital, parmi ceux qui l’avaient dénoncé ou avaient pris sa place.

Cette maison, Christophe l’a bien connue car ses parents, qui étaient encore jeunes, le mettait souvent chez les « Bolt ». Pour son plus grand plaisir. Elle était, selon lui, la « métonymie » de celle qui régnait sur la tribu, sa grand- mère, une petite femme débordant d’énergie qui, résume-t-il, « nous a avalés pour nous protéger ». Septième enfant d’une famille pauvre, adoptée par une « marraine » qui avait changé son prénom de Marie-Élise en Myriam, elle avait attrapé la polio pendant ses études de médecine. Mais elle niait son handicap et ses enfants et son petit-fils lui servaient de béquilles. Une femme éminemment paradoxale. Encartée au Parti communiste, alors qu’elle était issue de la bourgeoisie catholique de l’ouest de la France où elle possédait des terres, une famille plutôt antirépublicaine (l’un de ses frères passa par Vichy) mais totalement désargentée, elle recevait des « camarades » en « oubliant » de leur préparer à manger – au point qu’ils avaient fini par apporter leur frichti. Ne pouvant grossir, nourrir la famille n’était d’ailleurs pas le premier de ses soucis. Souvent, il n’y avait pas grand-chose aux repas, son petit-fils allant se sustenter dans la cuisine à même les plats. Le luxe côtoyait l’indigence. Ils étaient des grands bourgeois vivant comme des clochards, des intellectuels dont les enfants n’étaient pas scolarisés. Paru en 2015, ce premier roman saisissant a reçu le prix Femina.

 

DavrichewyKéthévane Davrichewy, L’autre Joseph (10/18)

L’un des deux « héros » de L’autre Joseph n’est autre que le futur Staline, dont l’arrière-grand-père de l’auteure, Kéthévane Davrichewy, qui se prénommait lui aussi Joseph, a été le compagnon de jeu enfant. Mieux, ils se ressemblent tellement que des bruits courent sur une liaison entre le préfet de la ville géorgienne de Gori, dont le patronyme est alors Davrichachvilli, et la mère de celui qu’on surnomme Sosso, par ailleurs souffre-douleur de son père brutal et violent. « On peut les prendre pour des frères », signale effectivement la romancière née à Paris et auteure de trois romans. Si les deux enfants se retrouvent dans leur détestation du catéchisme, ils ne s’aiment guère. Ils s’opposent même souvent, soit dans la même bande, soit en leaders de clans rivaux. Jusqu’en 1907, date à laquelle ils se verront pour la dernière fois, leurs chemins vont se croiser à plusieurs reprises. Envoyé au séminaire à Tiflis, où il se révèle être un agitateur indomptable, Sosso est envoyé en Sibérie d’où il reviendra en ardent bolchevik. Joseph, de son côté, collégien dans la même ville avant d’aller étudier à Paris avec un garçon de son âge, le futur Kamenev (membre du triumvirat soviétique avec Staline et Zinoviev), s’il défend lui aussi des idées révolutionnaires, se bat d’abord pour une Géorgie libre. Vers 1905, les deux jeunes hommes sont les chefs de deux milices rivales à Tiflis qui se livrent à des pillages spectaculaires, couverts par la population. Joseph attendra la mort de « l’autre Joseph » avant d’évoquer leurs supposés liens de sang. Fruit d’un long travail d’enquête, ce roman est de bout en bout passionnant et fascinant, montrant que sous Sosso, puis Koba, perçait déjà le monstre sanguinaire

 

GardeFrançois Garde, La baleine dans tous ses états (Folio)

Né en 1959 dans le sud de la France, François Garde a été notamment sous-préfet à la Martinique et administrateur des îles australes et antarctiques françaises. En 2012 et 2013, il a respectivement signé deux romans tout à fait remarquables, Ce qu’il advint du sauvage blanc et Pour trois couronnes, avant de publier un livre sur un animal auquel il a commencé à s’intéresser lorsqu’il administrait les îles Kerguelen. C’est là que se trouvait la seule usine baleinière installée sur le sol français, Port-Jeanne-d’Arc, ouverte à la fin du 19e siècle et définitivement arrêtée en 1929. La baleine dans tous ses états porte bien son titre puisqu’il envisage sous ses multiples facettes le plus gros animal du monde, qui peut peser jusqu’à cent nonante tonnes, soit vingt-sept éléphants. Avec un fil conducteur qui revient à diverses reprises, par des biais différents, le personnage de Jonas (dont la Bible dit seulement qu’il a été avalé par un « gros poisson »). Énumérant les records liés à ce cétacé, l’auteur constate que « la baleine est au sens propre démesurée, hors de notre compréhension ». Il la traque partout : dans les noms de rues, de places, de communes (Sant-Clément-des-Baleine sur l’île de Ré) ou de rivières (au Québec) dans les musées et les livres (Pinocchio, Moby Dick), dans la chasse à laquelle se livre l’homme depuis dix siècles, etc. Ou même en vrai, comme ce corps mort venu s’échouer sur la plage du François, à la Martinique, et qu’il faudra faire exploser. On apprend aussi que la vache est plus proche de la baleine que du cheval, ayant avec elle un ancêtre commun et aime, comme elle, vivre en troupeaux. Ce précieux livre ne plaira pas seulement aux amoureux des baleines ou à ceux qui veulent apprendre des choses sur ces elles, mais, plus globalement, à tous ceux qui aiment la belle littérature.

 

DeMulderCaroline De Mulder, Nous les bêtes traquées (Babel)

Prix Rossel 2010 avec Ego Tango, la Belge Caroline De Mulder revient avec ce bien étrange roman. « Nous les bêtes traquées, nous aimons changer souvent de pelage », écrit sa narratrice, Marie, aux tenues extravagantes et refaite de partout, notamment des seins, lui laissant deux cicatrices « comme deux grands sourires ». Elle partage la vie d’un célèbre avocat qui défend « les grandes causes », les demandeurs d’asile ou les millions de personnes croupissant en prison sans procès. Il assistait à une vente de charité en Ouzbékistan lorsqu’a eu lieu un massacre à Andijan en 2005, coûtant la vie à plusieurs milliers d’Ouzbeks. Massacre qui est d’ailleurs raconté par ses acteurs-victimes en cours de roman. Aujourd’hui, il va témoigner devant la Cour pénale internationale et, en attendant, se cache à Bruxelles, dans une maison de Saint-Josse dont la cave est sous eau. Parmi les différentes voix qui interviennent, figurent notamment la sienne et celle d’un certain Ismaïlov chargé, semble-t-il, de le surveiller. Nous les bêtes traquées est un roman d’un abord assez complexe qui demande au lecteur de se laisser emporter par sa langue très travaillée.

 

MourlevatJean-Claude Mourlevat, Mes amis devenus (Pocket)

Jean-Claude Mourlevat est l’auteur de plusieurs romans jeunesse joyeusement farfelus qui font le bonheur de leurs lecteurs, notamment La Ballade de Cornebique ou La Rivière à l’envers. Mes amis devenus est sa deuxième incursion dans la littérature adulte après Et je danse, aussi, écrit en collaboration avec Anne-Laure Bondoux. Cinq anciens amis – trois hommes, deux femmes - se retrouvent pour quelques jours sur l’île d’Ouessant. S’ils se sont très bien connus jeunes, ils ne se sont plus vus depuis… quarante ans. Que sont-ils devenus ? Mentalement, mais également physiquement ? C’est la question que se pose l’un d’eux, le narrateur parti en avance, anxieux de retrouver Mara dont il a été très amoureux. À sa suite, on revisite leur jeunesse commune jusqu’au débarquement du quatuor. Quel plaisir de lecture! Mourlevat met admirablement en scène les liens subtils qui relient ses héros, chargeant son roman d’émotions qui renvoient à notre propre vécu.

 

LabergeMarie Laberge, Ceux qui restent (Pocket)

Sylvain Côté a 29 ans lorsqu’il se donne la mort le 26 avril 2000. Il laisse plusieurs proches éplorés: Mélanie-Lyne, sa femme, qui évoque leur vie commune et voit grandir leur fils non sans inquiétude, incapable de comprendre qu’il ne peut exprimer de sentiments ; Vincent, son père, qui, s’adressant à son petit-fils, mène une enquête sur le disparu, et partant sur lui-même, tandis que sa femme Muguette, qui vit dans le déni, commence à décliner ; et son ancienne maîtresse, Charlène, une barmaid qui lui parle de sexe comme s’il était encore vivant, sans toujours le ménager, tout en s’interrogeant sur la valeur de leur relation.  Ce sont « ceux qui restent ». Ils prennent alternativement la parole au cours de ce roman qui s’étire sur plusieurs années, ce qui permet de les voir grandir ou vieillir et d’assister à l’évolution de leurs relations. Avec quelques flash-backs, notamment dans le passé de Vincent qui, plus de trente ans auparavant, est tombé follement amoureux d’une hôtesse d’accueil plus jeune mais qu’il n’a pas suivi alors qu’il n’aimait plus sa femme. Des intermèdes retracent la vie de Muguette, ses rapports avec sa belle-mère, la naissance de Sylvain, sa « haine féroce » et grandissante à l’égard de son mari, le couple ne fonctionnant plus depuis longtemps, sa dépression, etc. Plus tard, le roman avançant dans le temps, il sera encore question des rencontres sur Internet ou de la sexualité des personnes âgées. Ce roman de l’écrivaine québécoise Marie Laberge fourmille de mots, expressions et tournures de phrases locales et multiplie les « y » venant un peu partout remplacer des « il », principalement chez Charlène, ce qui ne manque pas du surprendre le lecteur francophone de ce côté-ci de l’Atlantique.

 

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