Hans Fallada, Seul dans Berlin

FalladaCe roman publié en 1946, et proposé pour la première fois dans sa version intégrale en 2011, nous plonge dans le Berlin populaire des années 40. Dans le même immeuble coexistent ceux qui subissent la bêtise et la brutalité nazie et ceux qui, comme Baldur Persicke, membre des Jeunesses hitlériennes, usent et abusent de celles-ci pour humilier, jouer au petit chef et finalement assassiner. Fallada ne restitue pas seulement le quotidien berlinois, ces « bas-fonds » que l’idéologie nationale-socialiste a façonnés en stimulant les pulsions les plus abjectes, il montre aussi comment la résistance s’organise chez ceux et celles qui n’ont d’abord aucune espèce de conscience politique, aucune aversion véritable pour le régime (Anna Quangel appartient même à la Frauenschaft, la ligue des femmes nazies) : comment l’esprit de liberté s’insinue dans le bloc compact d’une réalité saturée de haine. Otto et Anna Quangel, ayant appris la mort de leur fils unique « tombé pour la patrie », se décident à agir et, pour cela, à prendre la plume : ils inondent Berlin, sous la forme de tracts, de courts messages déposés dans les cages d’escalier des immeubles, d’étranges bouteilles à la mer anti-hitlériennes qui, comme autant de grains de sable, pétrifie et ridiculise l’Etat policier. Otto Quangel et « son visage d’oiseau » prend son envol : il deviendra « l’oiseau de malheur » de la Gestapo, l’ennemi introuvable, le poison de la liberté. Au milieu de la majorité silencieuse où pullulent escrocs, trafiquants et mouchards, les Quangel incarnent une dignité, silencieuse elle aussi, mais qui, malgré la solitude et la mort (« Jeder stirbt für sich allein », dit le titre allemand), ne peut que triompher.

 

Olivier Dubouclez

Hans Fallada, Seul dans Berlin, trad. Laurence Courtois, Folio, 2016, 768 p.
 

Lectures pour l'été 2017
Romans, nouvelles et récits romancés

<<< Précédent   •   Suivant >>>