Daniel Defoe, Heurs et malheurs de la fameuse Moll Flanders

DefoeSi un ouvrage ne vaut pas la peine d'être relu, il ne vaut pas celle d'être lu. Cette maxime s'applique parfaitement à l'ouvrage de Defoe, dont l'intérêt ne faiblit pas après de nombreuses relectures. Il faut dire que l'on y trouve tous les éléments des bons romans du 18e siècle.

Moll Flanders est la confession d’une femme de mauvaise vie, qui mena une vie très aventureuse, puis devint pénitente et eut alors une vie riche, heureuse et paisible. Ce sont ces mémoires que nous lisons car, dans l’intention de faire profiter de son expérience, elle raconte l’histoire de sa vie.

Ses aventures commencent tôt : elle naît en prison et sa mère, reconnue coupable, est envoyée dans les colonies. Abandonnée ainsi dès sa naissance, elle accompagne une troupe de bohémiens avant de s’enfuir (elle a alors trois ans !) et de parvenir à se faire aider par une paroisse et d'être mise en nourrice. A huit ans, elle refuse d’être - comme il est de coutume étant donné sa condition - envoyée comme domestique et parvient à rester chez sa nourrice où, jusqu’à la mort de celle-ci, elle apprend la couture. Elle a alors douze ans et elle est recueillie par une famille de la noblesse et élevée parmi les enfants de cette famille. Mais entre seize et dix-huit ans, elle devient la maîtresse du frère aîné de cette famille qui, bien qu’elle l’aime, réussit à la convaincre d'épouser son frère.

C’est ainsi que commence la vie passionnante d’une femme du XVIIe siècle qui n’eut pas moins de cinq maris - dont son propre frère -, qui fut bigame à plusieurs reprises, qui eut plusieurs amants, qui se retrouva intrigante, voleuse, prostituée. Elle fut arrêtée, se repentit et, bien que récidiviste, parvint à échapper à l’échafaud et à se faire déporter en Virginie avec son quatrième mari, où, fortune faite, ils coulèrent des jours heureux avant que de rentrer finir paisiblement leurs jours en Angleterre. Elle fut successivement une femme du monde et une mendiante, une grande dame et une voleuse, une honnête femme et une catin. Riche ou dans la misère, elle fit sans cesse preuve de ruses pour contrebalancer les infortunes du sort et pour tirer le meilleur parti des situations qui s’offrent à elle.

L'ouvrage du créateur de Robinson Crusoe est très plaisant à lire, mais son intérêt dépasse largement le plaisir d'un classique découvert par soi-même à l'âge adulte. Il s'agit peut-être du premier roman féministe, car la situation des femmes dans la société anglaise est constamment mise en évidence et l'héroïne même réfléchit sur son rôle dans la société et la manière dont elle peut soit en jouer soit y échapper. La portée sociale de l’œuvre est aussi sensible par les divers milieux sociaux que traverse la protagoniste au fur et à mesure de ses aventures.

Mais cette présentation ne serait pas honnête si elle n'abordait aussi un autre élément de l’œuvre. Un des aspects les plus étonnants est sans doute la manière dont la narratrice réfléchit sur ses actions et la façon dont elle joue constamment avec sa conscience. Le génie de Defoe tient aussi au fait qu'il n'a pas eu besoin d'une voie extérieure pour nous montrer toutes les ambiguïtés morales de son héroïne et comment il est facile, alors même qu'on condamne de telles attitudes, de les justifier quand elles sont accomplies par nous-même. L'analyse psychologique et morale est remarquable sans jamais tomber dans aucun moralisme.

Anne Staquet

Daniel Defoe, Heurs et malheurs de la fameuse Moll Flanders,Trad. Marcel Schwob,  Folio Classiques, 1979, 527p.
 

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