Juan Pablo Villalobos, Les temps perdus

VillalobosDans un immeuble délabré de Mexico, cible des invasions répétées d’une colonie d’irréductibles cafards, Théodore, un artiste incompris et vendeur de tacos de grande renommée, s’efforce tant bien que mal de vivre une tranquille retraite, obnubilé par le nombre d’années que ses économies lui permettront encore d’assurer ses vitales allées et venues quotidiennes au café. Alors que ses voisins, un groupe de vétérans assidus au cercle de lecture mené par Francesca, leur leader aux airs de dictatrice, l’accusent –à tort ?– d’écrire un roman, Théodore ne recule devant aucune provocation ou sournoise machination pour les contrarier en retour. Dès que la situation se complique, il n’hésite pas à s’armer de son bouclier : la Théorie littéraire d’Adorno, son guide spirituel et le point de départ de réflexions métalittéraires. Dans ses carnets de dessins, il griffonne de faux embryons de roman à l’attention de Francesca, qui l’épie la nuit venue. La narration à la première personne du vieillard bougon oscille entre son quotidien burlesque – sollicité de toutes parts, entre autres par un jeune mormon évangélisateur venu lui porter la bonne parole, un maoïste clandestin qui l’implique dans un trafic de livres, et son amie la marchande de légumes anticonformiste – et les souvenirs de sa jeunesse marqués par l’échec et le sordide.

Parallèlement à cette narration en deux temps, le roman retrace le dernier siècle de l’histoire du Mexique, et promène un regard critique sur ce que le pouvoir institutionnel a choisi d’en retenir, en parsemant la ville de mémoriaux aux soi-disant héros du passé. Mexico se voit plongée dans le chaos lorsque, suite à un affaissement du sol – évident écho au tremblement de terre de 1985 qui changea à jamais la vie de Théodore –, le fameux monument à la Révolution mexicaine menace de s’effondrer. On voit alors naître l’opportunité de contester l’Histoire officielle et d’en écrire une version alternative, celle des perdants et des oubliés. Sous la contestation du totalitarisme patrimonial se dissimule une condamnation de l’exercice du pouvoir dans un État profondément corrompu. Par la mise en scène de personnages anarchistes, révolutionnaires, idéalistes ou ‘ratés’, Juan Pablo Villalobos envisage une possibilité de corriger les erreurs du passé et d’offrir la postérité aux infortunés de l’Histoire. Un roman qui se résiste aux catégories littéraires, Les temps perdus désarçonne le lecteur par la dysharmonie entre la gravité de ses thèmes et l’humour incurable avec lequel ceux-ci sont abordés.

 

Auréline Mossoux

Juan Pablo Villalobos, Les temps perdus, Trad. Claude Bleton, Actes Sud, 2016, 295 p.

 

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Romans, nouvelles et récits romancés

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