Jean-Claude Bologne, Histoire du coup de foudre

BologneAuteur de nombreux livres sur la pudeur, le couple, le célibat, le sentiment amoureux ou la conquête amoureuse, Jean-Claude Bologne, également romancier, se devait de s’intéresser à ce moment mystérieux et inexplicable qu’est le coup de foudre. « En alexandrins ou en onomatopées, le coup, de foudre ne semble guère avoir varié au cours des âges », observe-t-il. Mais peut-on le comprendre et l’expliquer ? Il fait le pari que oui dans cet essai stimulant qui en observe les diverses facettes et en visite les multiples recoins, tout en l’inscrivant dans l’histoire humaine.

Pourquoi vous êtes-vous intéressé au coup de foudre ?

Je m’intéresse aux clichés que nous véhiculons plus ou moins consciemment et qui sont construits par strates historiques, convaincus que, si nous ne les maîtrisons pas, nous en devenons esclaves. Contrairement à ce que l’on pense, le coup de foudre repose sur une base très naturelle, présente dans toutes les cultures et à toutes les époques, mais la façon dont on le vit est culturelle. C’est une façon parmi d’autres d’entrer dans le sentiment amoureux. Et, comme il échappe au temps, il possède une dimension éternelle, c’est ce qui fait sa brutalité. Ensuite, il peut, ou non, se transformer en un amour stabilisé.

Longtemps, il a été vu comme un événement surnaturel, lié à Dieu (par exemple pour Ramsès II) ou au diable (au Moyen-Âge). Et aujourd’hui ?

De nos jours, la dimension surnaturelle est toujours présente chez certaines personnes. Même si, depuis l’Antiquité grecque, on veut aussi le rationnaliser, considérant à l’époque l’amour comme une maladie qu’il convient de soigner. Ce besoin de rationalisation s’amplifie à partir du 17e siècle, avec Le traité des passions de Descartes qui considère que la passion amoureuse est purement physiologique, c’est pour lui un trouble des sens qui se communique à l’âme.

Pourquoi le 12e siècle est-il une époque charnière ?

À cette époque apparaît une nouvelle conception du temps. On sort du temps cyclique, celui des saisons, pour entrer dans un temps de ruptures présent dans le roman d’aventures. Perceval, par exemple, découvre, sous un éblouissement, les chevaliers ainsi que l’amour, et se convertit. Le récit romanesque repose ainsi sur une fragilité du héros, qui va de ruptures en ruptures, et non sur des éléments extérieurs.

Si le terme apparaît chez Crébillon fils en 1741, dans Les Égarement du cœur et de l’esprit, il ne se répand vraiment qu’au siècle suivant. Dans quelles circonstances ?

Au 18e siècle, le terme reste en effet limité à un petit cercle de littérateurs et philosophes. Crébillon lui-même n’y croit pas. Pour lui, le coup de foudre reste un prétexte avancé par la morale amoureuse pour précipiter les relations sensuelles. Il n’est plus nécessaire d’être amoureux. C’est une excuse inventée par les femmes pour se donner immédiatement plutôt que de se laisser faire la cour pendant un certain temps. La morale libertine est de la sorte peut-être plus cynique mais moins hypocrite, elle ne se retranche plus derrière l’amour. Je pense que c’est avec le succès de De l’amour de Stendhal, lors de sa réédition en 1830, que l’expression commence à s’étendre très largement. Avec Balzac aussi, chez qui les coups de foudre sont multiples, propices aux métaphores les plus inattendues.

À quoi correspondent les deux parties de votre livre, « Expliquer » et « Raconter » ?

On trouve, à toutes les époques, une volonté d’expliquer ce qui apparaît comme totalement irrationnel, impossible à maîtriser. Or, à l’instar d’une expérience mystique, il est impossible de constater directement le coup de foudre, il arrive de façon impromptue. On ne dispose que des récits de ceux qui l’ont ressenti. Les exemples historiques pullulent. Au point de faire croire que toutes les grandes passions sont nées par ce biais, ce qui est faux. Je me suis alors demandé à quoi répondait ce besoin de transformer une histoire d’amour passionnelle en coup de foudre. Il me semble que, d’une part, c’est parce qu’étant un coup de folie subit, il justifie des actions qui ne sont pas toujours morales. Et que, d’autre part, témoignant d’un amour qui dépasse notre volonté, il est censé monter que la passion est tellement forte qu’elle va durer. Même si ce n’est pas vrai puisque sa durée est limitée.

Jean-Claude Bologne, Histoire du coup de foudre (Albin Michel)
 

Voir aussi Jean-Claude Bologne, Une mystique sans Dieu

 

Sorties de presse des ULgistes - printemps 2017
<< précédent – Essais suivant >>

Voir aussi : Les écrivains de l'ULg