Labyrinthe-Fétiches, une exposition qui en cache une autre

labyrintheJusqu’au 26 février prochain, la Cité Miroir accueille Labyrinthe-Fétiches. Cette exposition temporaire, conçue à partir des collections africaines de l'ULg par l'artiste Toma Muteba Luntumbe à l’invitation de Julie Bawin,  questionne l'évolution du regard occidental sur les objets africains et leur représentation depuis le 19e siècle jusqu'à l'époque postcoloniale. Une démarche artistique réflexive et critique qui entend moins montrer des artefacts africains que révéler les idéologies cachées derrière leurs mises en scène.

L'exposition Labyrinthes-Fétiches qui a lieu à la Cité Miroir a été réalisée à partir des collections africaines de l'ULg qui ont, pour l'essentiel, été rassemblées dès 1896 par le professeur d'anatomie pathologique Charles Firket. C'est dans l'écrin immaculé de l'espace Rosa Parks, ancien petit bassin des Thermes et Bains de la Sauvenière, que ces artefacts ont temporairement élu domicile. Statuettes, armes, masques, instruments de musique ou encore outils... Ces objets sont consignés dans des armoires vitrées, rangés sur des étagères ou trônent sur des socles éclairés.

 

L'espace d'exposition comme lieu d'activisme

Au premier regard, cette panoplie d'objets semble donc être mise en valeur pour ses caractéristiques esthétiques, pour ses attributs dits «primitifs» ou encore pour l'intérêt anthropologique ou ethnographique qu'elle peut susciter chez les collectionneurs et passionnés d'art africain. Pourtant, la réalité est tout autre.

Dans ce parcours imaginé à la manière d'un labyrinthe des sens, des éléments scénographiques attirent le regard et questionnent. Un sentiment d'étrangeté, ou plutôt de non-familiarité, se dégage de la mise en scène opérant un réel décalage. Celui-ci est notamment rendu possible par l'absence de cartels ou par la présence d’un texte défilant. Ces indicateurs permettent en effet de produire un discours qui va à l'encontre de dispositifs qui se voudraient didactiques, à caractère ethnographique ou à visée esthétique.

Comme l'avance la commissaire de l’exposition, Julie Bawin : « Labyrinthe-Fétiches n'est donc pas une exposition dont la principale intention serait de jeter un regard neuf sur une collection par des rapprochements inattendus entre les œuvres ou par la mise en place d'une scénographie inédite ». Il s’agit plutôt d’un exercice de déconstruction et de distanciation par rapport aux discours et aux représentations qui façonnent les objets africains depuis la fin du 19e siècle. L'artiste entend en effet réorienter le regard, le déplacer des objets vers les dispositifs qui les donnent à voir pour les mettre à nu et ainsi en désamorcer leur charge idéologique.

Cette volonté de montrer l'envers du décor pour dénoncer le discours colonial qui l'imprègne n'est pas nouvelle chez l'artiste. « Le travail de Toma Muteba Luntumbe interroge depuis de nombreuses années le concept de musée ethnographique. En 2000, déjà, il avait organisé une exposition choc en invitant sept artistes à intervenir au sein des collections du Musée de Tervuren, un musée qui était alors encore fortement marqué par l'idéologie coloniale de ses commanditaires. Cette exposition, réalisée en collaboration avec l’anthropologue Boris Wastiau, a alors conduit à une véritable réforme du musée et à une remise en question de ses dispositifs scénographiques », poursuit Julie Bawin.

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2 collages de Toma Muteba Luntumbue, Sans titre, 2016

 

 

Accumuler, classer, déclasser

Pour parvenir à produire ce que l'artiste a nommé « l'archéologie du regard », il laisse au spectateur la liberté de déambuler à sa guise dans l'espace d'exposition qui est organisé autour de trois sections. Chacune interrogeant à sa manière les processus de muséalisation des objets africains. 

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Montage de l'exposition. Photos © Didier Pepin

Corpus

La première intitulée Corpus fait référence aux logiques de stockage, d'accumulation et de pré-langage qui précèdent l'organisation de toute chose. Ici, «Toma Muteba Luntumbe met en place un dispositif susceptible d'évoquer ce que les institutions muséales ne montrent jamais : la collection isolée dans un état de prélangage, dans une phase qui précède le nominalisme de l'exposition et la construction de sens que l'on veut lui donner », écrit la commissaire dans le catalogue de l'exposition.

Classer

La seconde section, Classer, s'inspire des méthodes de collecte et de classement qui émergent avec l'avènement de l'ethnologie et se propagent à la fin du 19e siècle au sein des institutions muséales. Ces catégorisations par ethnie, par zone d'habitat, par genre, etc. sont motivées par une volonté d'organiser le monde selon un mode encyclopédique et pédagogique.

Les différents classements évoqués par l'artiste au sein de l'exposition sont de plusieurs ordres. Le premier se  réfère notamment à un classement stylistique à travers des objets qui, comme le précise l'artiste, « portent la décoration typique de l'ethnie Kuba, un groupe culturel d'Afrique centrale considéré par les historiens de l'art comme ayant créé les objets les plus raffinés car il servent une cause royale ». Le deuxième classement inspiré du modèle des sciences naturelles expose les objets dans des vitrines comme on épinglerait des papillons. Enfin, le dernier classement reproduit le modèle à l'œuvre dans les années '30 et adopté par le Musée du Quai Branly à Paris. Celui-ci mise sur une esthétisation et sur une fascination pour les objets africains héritée des mouvements artistiques modernes comme le cubisme. «Ce modèle évacue tous commentaires ethnologiques pour laisser place à la délectation visuelle. Les objets sont isolés sur des socles et sublimés par l'éclairage. Cette esthétisation nous imprègne beaucoup car elle est semblable à la façon dont les bijoux sont exposés dans notre culture marchande basée sur la séduction visuelle

Et l'artiste de poursuivre, « ces différentes typologies qui visent à classer les objets africains renforcent plus que jamais les présupposés véhiculés sur l'Afrique puisqu'elles mettent l'accent sur le caractère rustre de ces objets, sur leur couleur terreuse, leurs attributs primitifs et enfin, sur leur aspect techniquement peu élaboré. Il y a également une propension à montrer beaucoup d'armes pour insister sur le caractère belliqueux et brutal de ces populations. » 

Déclasser

La troisième et dernière section, nommée Déclasser, participe d'une sorte de savoir éclaté dans lequel le public peut librement associer des objets entre eux. Dans ce dispositif proprement contemporain qui renvoie au principe d'œuvre ouverte, les vides intentionnellement laissés sont propices à la déconstruction des clichés et au questionnement.

On y retrouve des vidéos d'animations produites par l'artiste qui figurent les actes de destruction perpétrés par les terroristes islamistes à l’encontre de ce que nous considérons comme le « Patrimoine mondial de l’humanité ». Cette section, qui est peut-être la plus engagée des trois, interroge la notion de fétichisation et le caractère sacré conféré aux objets d'art dans nos sociétés marchandes. « La situation est pour le moins paradoxale. D'un côté, on condamne sévèrement ceux qui s'en prennent au patrimoine culturel, et de l'autre, on se délecte d'objets qui ont été arrachés avec autant de violence et de mépris à leur culture », remarque Toma Muteba Luntumbe.

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Montage de l'exposition, par Julie Bawin et Toma Muteba Luntumbue. Photos © Didier Pepin

 

Labyrinthe - Fétiches est pour conclure inclassable, tout comme les objets africains qu'elle tente de déclasser. Réflexive et engagée, elle n'a néanmoins pas la prétention de dénoncer ou de proposer un modèle muséographique idéal. Elle entend plutôt questionner de façon constructive notre rapport à l'autre et au patrimoine.

 

Exposition Labyrinthe-Fétiches
à la Cité Miroir, place Xavier Neujean 22 à Liège
à voir jusqu'au dimanche 26 février 2017, en complément de l'exposition Zoos humains

 

Marjorie Ranieri
Janvier 2017

crayongris2Marjorie Ranieri est doctorante au département d'Arts et Techniques de Représentation au sein de la Faculté d'Architecture et d'Urbanisme de l'UMons. Ses recherches portent sur l'art participatif en milieu urbain. Elle est aussi journaliste indépendante.

 

microgrisToma Muteba Luntumbue est artiste et historien d'art. Il enseigne à l'École de Recherche Graphique et à l'École Supérieure des arts visuels de La Cambre à Bruxelles.

 

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Julie Bawin enseigne l'histoire de l'art contemporain à l'Université de Liège

 

Voir aussi : Les collections d'art africain au fil du temps, une certaine vision de l'Afrique par Frédéric Cloth (2017)

Voir aussi : DOSSIER/ Art africain (2009)