Les collections d'art africain au fil du temps, une certaine vision de l'Afrique

Un art africain

Pendant tout le 20e siècle, et jusqu’à nos jours, deux grandes conceptions des collections africaines vont cohabiter : l’une, en quelque sorte héritière des collections scientifiques fondées au 19e et mettant l’accent sur l’ethnographie, l’autre héritière de l’avant-garde artistique du début du 20e et mettant l’accent sur l’aspect esthétique et sur la supposée «universalité de l’art».

Si ces deux visions s’affrontent parfois avec violence (comme par exemple lors de la création du musée du Quai Branly en 2006), elles finirent (à de rares exceptions près) toutes deux par reconnaître l’existence d’un art africain. Si cette reconnaissance semble aller de soi, elle se fait sans toutefois consentir à de grands efforts pour tenter d’en comprendre le sens et identifier les artistes ou leur démarche.

Cette reconnaissance dont nous sommes à juste titre fiers n’évite malheureusement pas quelques écueils. Un critique d’art que j’interrogeais me confia à propos des objets africains «qu’ils n’étaient pas de l’art, mais des artefacts», un propos qui peut paraître choquant mais qui, à la réflexion, n’est pas sans fondement : peut-il y avoir uneœuvre d’art sans artiste, sans message et sans une histoire africaine de l’art ? Quant à nos exigences de pureté et d’authenticité, si elles paraissent de prime abord faire honneur à l’art africain, elles en signent en même temps l’acte de décès. Il y a certes eu un art africain, mais comme le disait Paul Guillaume : «L’œuvre d’art nègre est maintenant une chose du passé».

C’est ainsi qu’assez vite nos missionnaires vont se mettre en tête d’apprendre aux Africains les bases de l’art. L’Archevêque Celso Costantini, dans son Art Chrétien dans les missions écrit à propos de l’Afrique en 1949 :

«L’art nègre a, en général, un caractère enfantin; l’idée de l’artiste s’exprime avec un schématisme dur et sous une forme grossière et souvent embarassée. C’est un art qui chante en balbutiant, qui ne possède pas encore un langage élégant et correct pour exprimer ses concepts.»

...et de continuer un peu plus loin sur une note d’espoir (si j’ose dire)...

«L’art chrétien nègre, tel un rameau d’olivier franc greffé sur un olivier sauvage, pourra, croyons-nous, faire éclore du vieux tronc une floraison nouvelle et créer une renaissance artistique chrétienne qui répondra à la nouvelle civilisation chrétienne apportée aux noirs. Si l’Islam, introduit en Afrique par les Arabes, a pu çà et là marquer de son esprit le pauvre art africain et l’enrichir, le christianisme est certainement destiné à exercer une influence plus vaste, plus profonde et plus bienfaisante.»

hutte devin

Intérieur de la hutte d'un devin au bas Congo. Holas (Bohumil), L'Afrique Noire. Religions du Monde, Bloud & Gay (Paris), 1964
 

Les missionnaires ne sont pas les seuls, d’ailleurs, à s’intéresser au devenir de l’art en Afrique. À titre d’exemple, Pierre-Romain Desfossés, ancien militaire et peintre, fondera en 1947 à Élisabethville (maintenant Lubumbashi) une école libre d’art qui révèlera très vite le travail de Philippe Mulongoyi Nkulu Mitenga, dit Pili-Pili, connu comme l’un des précurseurs de la peinture congolaise contemporaine.

maisonBeaucoup d’européens amateurs «d’art nègre» désormais appelé «art africain» reprocheront (et reprochent d’ailleurs encore !) aux peintres du Congo l’emploi de la peinture comme medium artistique, y voyant encore une fois une influence occidentale malvenue. L’influence y est sans doute, mais on oublie un peu vite que l’art pictural était courant en Afrique, ainsi que le remarque le père Colle:

«Souvent les dessins ornent les écuelles, les pipes, les ustensiles de ménage, les armes, les parois de maisons. Les propriétaires de ces meubles ornés y attachent une grande valeur. On trouve de-ci de-là des planches ornées de dessins géométriques dans les huttes ou devant la porte des habitations de notables. Ces dessins sont soulignés de couleur rouge, jaune, noire ou blanche.»

Décoration traditionnelle d’une maison Congolaise
©Archives P. Loos, Bruxelles)

 

Les sujets «naifs», souvent animaux ou végétaux, parfois abstraits de ces précurseurs (Pili-Pili et bien d’autres comme Lubaki, Tshyela...) se retrouvent également dans les décors traditionnels et ne constituent en fait pas la rupture que l’on pourrait imaginer.

TshielatendoL’aspect souvent abstrait (ou naïf quand il était figuratif) de l’art pictural traditionnel (s’il fallait déjà beaucoup d’efforts à l’européen pour accepter la sculpture figurative africaine, que dire d’un art abstrait !) ainsi que les difficultés de transport ont quasiment banni de nos collections cette forme d’art. Il n’en reste que quelques photos et un oubli presque total.

Tshielatendo, sans titre (1931)
 

Il faudra donc attendre la seconde moitié du 20e siècle (je dirais même son dernier quart) pour que quelques collectionneurs s’intéressent sérieusement à la peinture et à l’art contemporain africain. Citons pour le Congo les collections Bilinelli, Pigozzi... et quelques (trop rares) succès comme celui de Cheri Samba.

Il convient toutefois de se poser la question suivante : l’aspect souvent naïf ou politique de l’art contemporain africain reflète-t-il notre vision actuelle de l’Afrique ? L’histoire et une meilleure compréhension de la culture africaine permettront peut-être un jour de trancher cette question.

 Frédéric Cloth
Janvier 2017

 

 

 crayongris2Frédéric Cloth est expert en arts africains, collaborateur scientifique de l'Université de Yale.

 

 >>> Labyrinthe-Fétiches, une exposition qui en cache une autre, jusqu'au 26 février 2017 à la Cité Miroir

 

Bibliographie :

1686 - Dapper (Olfert): Description de l’Afrique, Wolfgang, Waesberge, Boom & van Someren (Amsterdam)
1861 - Du Chaillu (Paul Belloni) : Exploration and adventures in Equatorial Africa, (London)
1876 - de Compiègne (marquis) : Okanda, Bangouens, Osyeba, Plon (Paris)
1878 - de Compiègne (marquis) : Gabonais, Pahouins, Gallois, Plon (Paris)
1879 - Stanley (Henri M.):  À Travers le Continent Mystérieux, Hachette et Cie (Paris)
1902 - Notes analytiques sur les Collections Ethnographiques du Musée du Congo, Tome I: les Arts - religion, Annales du Musée du Congo (Bruxelles)
1913 - Colle (R.P.): Les Baluba, Sociologie descriptive, Tome II, Monographies ethnographiques Cyr. van Overbergh XI (Bruxelles)
1920 - Fénéon (Félix) : Iront-ils au Louvre ? Enquête sur des arts lointains, Toguna (Toulouse), 2000
1926 - Guillaume (Paul): La sculpture nègre et l’art moderne, Toguna (Toulouse), 1999
1949 - Costantini (Celso):  L'Art Chrétien dans les Missions, Desclée de Brouwer (Bruxelles)
1986 -  Ouvertures sur l'Art Africain, Édition Dapper (Paris)
 1989 - Cornet (Joseph-Aurélien), de Cnodder (Remi), Toebosch (Wim): 60 ans de peinture au Zaïre, Les éditeurs d'Art Associés (Bruxelles)
1991 - Felix (Marc Leo): Kipinga, (Bruxelles)
1991 - Rubin (William), Paudrat (Jean-Louis): Le primitivisme dans l'art du XXe siècle, Flammarion (Paris)
1994 - Vogel (Susan): Africa Explores, XXth century African Art, The Center for African Art (New York)
1996 - Bomoi Mobimba Toute la Vie, Musée des Beaux Arts (Charleroi)
2006 - Dupaigne (Bernard): Le scandale des arts premiers, la véritable histoire du musée du quai Branly, Fayard (Paris)
2006 - Léopoldville - Liège - Liège - Kinshasa, Les collections Africaines de l'Université de Liège, Université de Liège (Liège)
2007 - Why Africa ? La collezione Pigozzi, Fondazione Pinacoteca (Torino)

 

Page : previous 1 2 3 4 5