Les collections d'art africain au fil du temps, une certaine vision de l'Afrique

La colonisation

Jusqu’au 18e siècle, les Européens se contentaient de s’approvisionner sur les côtes africaines en esclaves et biens précieux, l’abolition de l’esclavage au 19e change la donne : il faut désormais s’installer en Afrique, coloniser et préalablement explorer le continent.

La colonisation est présentée comme une opportunité commerciale, mais pour l’homme du 19e siècle, elle est également et même souvent avant tout une œuvre de bienfaisance : elle doit apporter aux Africains les lumières de la civilisation, les bienfaits de la médecine, le réconfort de la religion et mettre une fin définitive à l’esclavage.

Les Africains voient initiallement eux aussi des opportunités commerciales à l’installation des Européens, mais malheureusement pour eux, les colonisateurs deviennent assez vite encombrants, autoritaires voire franchement hostiles. Même animés de bonnes intentions, leurs methodes peuvent laisser songeur, comme dans cette anecdote relatée par le marquis de Compiègne en 1875 :

«Ce noir s’était couché sur le haut d’une des berges escarpées qui dominaient la rivière; il se laissa choir, je ne sais trop comment, et roula jusqu’au bas. À la suite de cette chute, il se plaignit pendant plusieurs jours de douleurs dans le dos et ne laissa à Marche ni trève ni repos jusqu’à ce que celui-ci entreprît sa cure. Marche ne trouva rien de mieux que de le badigeonner de la tête aux pieds avec de l’acide phénique, ce qui, à sa profonde stupeur, le fit passer du noir au blanc, couleur qu’il conserva jusqu’à ce qu’il eût fait une nouvelle peau, ce qui ne tarda pas du reste, toute sa peau primitive étant tombée au bout de huit jours.»

...croyez-le ou non, après cet episode...

«Dès notre retour, nous eûmes, Marche et moi, un autre spécimen de l’ingratitude des Gabonais. François, Ouakanda et Joseph vinrent nous déclarer qu’ils ne nous accompagneraient pas dans le haut Ogooué.»

 

Au 19e, le ton a donc largement changé : l’Afrique a cessé d’être cette distante inconnue pour devenir un terrain en voie d’être conquis. Henry Morton Stanley écrit en 1879 en guise de préambule à À Travers le continent mystérieux les lignes suivantes :

«Étant, je l’espère, libre de tout préjugé de caste, de couleur, de race ou de nationalité, et m’efforçant de juger d’une manière que je crois équitable les nègres de Zanzibar, je vois un peuple venant à peine d’entrer dans l’âge du fer, livré tout à coup au jugement de nations qui possèdent sur lui une avance de plus de quatre mille ans.»

En à peine deux siècles, l’Africain a donc accumulé quatre mille ans de retard, et cette Afrique peuplée de royaumes étranges est devenue un enfer préhistorique :

«Ce peuple, sans aucun doute, a tous les vices de l’homme à l’état de barbarie; mais il comprend l’infériorité d’une pareille condition, il en sent la bassesse. Nous devons donc l’aider à sortir de cet état déplorable; notre religion nous en fait un devoir; le commandement sacré du Fils de Dieu nous l’impose.»

Si Stanley (que j’ai choisi ici en raison de ses rapports avec l’histoire du Congo dont sont issus les objets du fonds Firket) n’est pas réputé pour sa grande indulgence envers les Africains, ses écrits restent sobres par rapport à bien d’autres auteurs de l’époque.

Goddefroy

Photo de M.L.J. Goddefroy du Museum ethnographique de Leyde prise vers 1885 de retour de l’expédition Veth en Angola.
 

Les explorateurs de l’Afrique, lorsqu’ils reviennent, comptent sur la publication de leurs aventures pour rentrer dans leurs frais. Il est donc important que ces récits à succès (souvent divisés en deux volumes obligeant le lecteur à acheter le second pour lire comment le héros se tire d’un effrayant calvaire) soient palpitants. Le cannibalisme, les guerres tribales et les embuscades de toutes espèces en sont donc des rouages vitaux, quitte à les exagérer un peu...

Page : previous 1 2 3 4 5 next