Salman Rushdie, Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits

RushdieLe titre du nouveau roman de Salman Rushdie, docteur honoris causa ULg 1999, qui renoue avec la veine des Enfants de Minuit et des Versets sataniques après un détour par l’autobiographie à la troisième personne (Joseph Anton), est la traduction en années, mois et nuits de mille et une nuits. Ce temps est celui au cours duquel, à la charnière des XIIe et XIIIe siècles, une jinnia, ou goule, soit une jinn femelle appelée Dunia, fut enceinte à trois reprises, donnant le jour à une multitude d’enfants dont les oreilles étaient semblables aux siennes, dépourvues de lobes. Leur père était Ibn Rushd, «le philosophe qui ne pouvait plus enseigner sa philosophie» également connu sous le nom d’Averroès.

Les descendants de cette abondante progéniture, nous les retrouvons «plus de huit siècles et quelques années plus tard, à plus de cinq mille kilomètres de là et il y a à présent plus de mille ans». Dunia est de retour pour affronter une «entité terrifiante», le jinn personnel de Ghazali de Tus, un Perse qui, un siècle avant Averroès, attaqua les philosophes qui l’avaient inspiré, devenant ainsi «le plus grand pourfendeur de la philosophie de toute l’histoire du monde». Il symbolise ici, naturellement, l’obscurantisme que combat Salman Rushdie qui en est une victime emblématique depuis la fatwa lancée contre lui en 1989. «La lutte entre la raison et la superstition peut être considérée comme une longue adolescence de l’humanité et le triomphe de la raison sera sa maturité», estime Ibn Rushd, face à son vieil adversaire qui considère que ses descendants sont «la lie de l’Occident et de l’Orient».

Ces «sans Dieu» sont les héros de cette fable qui se déroule de nos jours à New York. Ce sont quelques-uns d’entre eux, victimes d’«étrangetés» - un jardinier qui lévite, un dessinateur dont la créature se matérialise, etc. - qui, pendant mille et une nuits, vont lutter contre ce fanatisme visant à asservir l’humanité. S’adressant toujours à Ghazali, le philosophe libéral a cette prophétie à laquelle on aimerait croire. «Tu verras qu’avec le temps, lui dit-il, c’est la religion qui finira par amener les hommes à se détourner de Dieu. Les croyants sont les pires avocats de Dieu. Cela prendra peut-être mille et une années, mais à la fin la religion va se ratatiner jusqu’à disparaître et alors seulement nous commencerons à vivre dans la vérité de Dieu.»

Salman Rushdie, Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits, traduit de l’anglais par Gérard Meudal, Actes Sud.
Voir aussi DOSSIER/ Salman Rushdie, les années de traque
 

Sorties de presse des ULgistes - Automne 2016
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