Lectures pour l'été 2016 - Poches - Essais, Documents, Non-fiction

CompagnonAntoine Compagnon, Les antimodernes

«Qui sont les antimodernes ?, s’interroge Antoine Compagnon dans la préface (inédite) à la réédition de cet essai publié en 2005. Non pas tous les champions du statu quo, les conservateurs et réactionnaires de tout poil, non pas tous les atrabilaires et les déçus de leur temps, les immobilistes et les ultracistes, les scrogneugneux et les grognons, mais les modernes en délicatesse avec les Temps modernes, le modernisme ou la modernité, ou les modernes qui le furent à contrecœur, modernes déchirés ou encore modernes intempestifs.» Dans cette réflexion d’une grande pertinence, le docteur honoris causa de l’ULg se garde bien d’étudier tous les antimodernes – ils sont trop nombreux –, se contentant d’en distinguer une poignée de natures diverses. Il navigue ainsi entre ceux qu’il considère comme les fondateurs de l’antimodernisme – de Maistre, Châteaubriant, Baudelaire –, dont il explore dans une première partie quelques «idées fortes», «constantes thématiques» et «lieux communs», et des antimodernes «plus négligés» des 19e et 20e siècles: Lacordaire, Ernest Renan et Léon Bloy (autour de l’antisémitisme), Charles Péguy, Albert Thibaudet, Julien Benda, Julien Gracq et Roland Barthes.

Son chapitre consacré à Thibaudet (1874-1936) lui permet, par exemple, de remettre à l’honneur «l’un des observateurs les plus avisés de la vie politique et littéraire de la IIIe République» largement oublié. Une fois de plus, en réalité, car c’est lui qui a assuré, en 2007, l’édition de ses réflexions politiques et littéraires respectivement dans les collections Bouquins et Quarto. «Le destin des critiques est peut-être de s’effacer avec la génération qu’ils initièrent à la littérature, écrit-il, mais, dans le cas de Thibaudet, le contraste est d’autant plus rude entre sa notoriété à la fin de sa vie et l’oubli où il tomba vite, qu’on aurait pu imaginer qu’il allât compléter la série des trois grands critiques du 19e siècle: Sainte-Beuve, Taine et Brunetière.» Dont, à défaut d’être lus, les noms restent connus.

La présence de Julien Gracq dans cette sélection n’est guère surprenante, lui qui, en 2000, non sans humour, avouait ignorer «non seulement l’ordinateur, le CD-Rom, le traitement de texte, mais même la machine à écrire, le livre de poche, et, d’une façon générale, les voies et moyens de promotion modernes qui font prospérer les ouvrages de belles-lettres». «Je prends rang, ajoutait-il, professionnellement, parmi les survivances folkloriques appréciées qu’on signale aux étrangers, auprès du pain Poilâne et des jambons fumés chez l’habitant.» Dans ce chapitre, Compagnon montre qu’à l’instar de Stendhal, Baudelaire ou Proust, l’auteur du Rivages des Syrtes peut s’accommoder sans souci des épithètes «nouveau» et «réactionnaire» ce dernier terme renvoyant au décalage historique et politique d’une œuvre lors de sa publication. (Folio essais)

 

Peguy Charles Péguy, Notre jeunesse et Mystique et politique

Deux éditions reprennent Notre jeunesse, l’œuvre majeure de Charles Péguy (1873-1914), soit seule (chez Tempus, par Arnaud Teyssier), soit parmi d’autres écrits de l’écrivain (chez Bouquins, par Alexandre de Vitry, préface d’Antoine Compagnon). Publié sous la forme d’un Cahier de la Quinzaine en 1910, ce texte entre manifeste et pamphlet permet à son auteur de s’exprimer, au sortir de l’affaire Dreyfus, sur la gauche qui l’a déçu et sur l’esprit républicain incarné dans la défense du militaire, notamment par le journaliste Bernard Lazare. «Notre jeunesse, se réjouit Arnaud Teyssier, est un examen de conscience sans nulle concession ni doute sur ce qui fut le grande cause d’une courte vie: le combat pour l’innocence du capitaine Dreyfus». C’est aussi, poursuit-il, «un fabuleux autoportrait, Péguy par lui-même, saisissant composé d’apparentes contradictions. Voici la figure d’un socialiste porté jusqu’aux limites de l’anarchisme par la fièvre d’agir».

Peguy2

Dans le volume de la collection Bouquins, cette œuvre est accompagnée de plusieurs autres du soldat tombé au combat dans les premiers jours de septembre 1914, principalement Notre patrie et les deux parties de L’argent. S’interrogeant sur son actualité, Antoine Compagnon rappelle que ce «produit exemplaire de la méritocratie scolaire républicaine» «exalta la «mystique républicaine» aux origines de la IIIe République» et «plaida pour le respect de la tradition chrétienne aux origines de la vieille France». Il n’est dès lors guère étonnant, pour lui, qu’à l’heure où la société française se déchire autour de nombreux sujets politiques, sociaux, sociétaux, culturels, des intellectuels aussi opposés que Jacques Julliard, Edwy Plenel ou Alain Finkielkraut se réclament de celui qui se préoccupait d’abord des conditions du «vivre ensemble».

 

ZweigStefan Zweig, Le Monde d’hier

C’est au Brésil, à Persépolis où il s’est installé en 1941, que Stefan Zweig rédige ses mémoires dont il envoie le manuscrit à son éditeur la veille de son suicide, le 22 février 1942. Le Monde d’hier, sous-titré «Souvenirs d’un Européen», est un témoignage précieux sur l’Europe de la fin du 19e siècle à l’aube de la Deuxième Guerre mondiale. S’ouvrant sur la description de la Vienne de son enfance (il y est né en 1881), l’auteur du Joueur d’échecs s’attarde sur la Première Guerre mondiale qui le place dans une position extrêmement inconfortable. Il n’hésite pas, au début des hostilités, à publier dans le Berliner Tageblatt une lettre intitulée «À mes amis de l’étranger» qui lui vaut l’hostilité de certains lecteurs mais, surtout, une réponse fraternelle de Romain Rolland («un des grands moments de bonheur de ma vie»), écrivain dont il restera proche. Il se souvient, dans les années 1920, ne pas trop s’inquiéter du dénommé Hitler qui organise à Munich des réunions au cours desquelles il s’époumone contre la République et les juifs. Avant que surgissent dans les rues des localités voisines de la frontière – il vit en Autriche, à Salzbourg – des bandes de «gaillards» en chemises brunes arborant des croix gammées, emblème dont ils barbouillent les murs. Même s’il lui faudra encore quelque temps avant de prendre réellement conscience du danger qui guette l’Europe. Car, écrit-il, «on peut difficilement se débarrasser en quelques semaines de trente à quarante années de foi intime dans le monde.» (Traduit de l’allemand par Dominique Tassel, Folio Essais).

 

GaryRomain Gary, Le sens de ma vie

Voici pour la première fois éditée la longue interview donnée par Romain Gary à Radio Canada en 1980, quelques mois avant son suicide en décembre de cette année-là. L’auteur de La Promesse de l’aube raconte sa naissance en Russie et son arrivée à Nice à 14 ans après un passage par la Pologne, le rêve de sa mère de faire de lui un écrivain français et un ambassadeur de France – ce qu’il deviendra mais sans qu’elle le sache puisqu’elle mourra au début de la guerre. Dans ce texte touchant et sincère, Gary parle de sa guerre et de sa tricherie pour la vivre dans l’aviation alors que ça lui était interdit, de la publication en Angleterre de son premier roman, Éducation européenne, de ses liens très forts avec De Gaulle qui le fera Compagnon de la Libération, de son entrée dans la carrière diplomatique en 1945, de son séjour à Hollywood entre 1956 et 1960, de sa rencontre avec Jean Seberg, etc. Dans la dernière partie, qui donne son titre à l’ensemble, il confie ses rapports au cinéma et aux médias et son attention portée à l’éducation de son fils. Et dit son «impression d’avoir été vécu par [sa] vie, d’avoir été objet d’une vie plutôt que de l’avoir choisie». Concluant: «la seule chose qui m’intéresse, c’est la femme». (Folio)

 

 

 

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