Lectures pour l'été 2016 - Poches - Essais, Documents, Non-fiction

BileSerge Bilé, Noirs dans les camps nazis

C’est un aspect totalement occulté de la Deuxième Guerre mondiale que dévoile le journaliste martiniquais dans ce livre: la déportation et l’extermination des noirs dans les camps nazis. Stérilisés de force, les Afro-allemands ont en effet formé, dans les années 1930, les premiers contingents déportés par Hitler. Qui, déjà, dans Mein Kampf, écrivait: «Les Juifs ont emmené les Nègres en Rhénanie dans le but de souiller et de bâtardiser la race arienne.» Dès lors, les lois de Nuremberg de septembre 1935 interdisent les mariages mixtes. Serge Bilé évoque plusieurs cas individuels, dont certains concernent des Afro-américains. Et il revient sur un épisode historique peu connu (raconté il y a quelques années par Elise Fontenaille dans Blue Book), le premier génocide du XXe siècle, celui des Héréros et des Namas perpétré en 1904 en Namibie par l’armée colonisatrice allemande commandée par Lothar Von Trotha. (Le Rocher Poche)

 

HartzfeldJean Hatzfeld, Englebert des collines

Ancien grand reporter à Libération, Jean Hatzfeld a arpenté plusieurs terrains de guerre, principalement le siège de Sarajevo pendant le conflit des Balkans (il faut lire à ce sujet le magnifique Robert Mitchum ne revient pas) et le génocide rwandais autour duquel il a écrit quatre livres dont les personnages sont tantôt des victimes, tantôt des bourreaux. C’est à cette tragédie qu’il revient avec Englebert des collines. Il se met dans la peau d’un homme qui a survécu en vivant jours et nuits dans les marais et qu’il a rencontré ensuite au marché de Nyamata. Il raconte son enfance et sa scolarité brillante (souvent premier en primaire, il a pu suivre des études gréco-latines au Christ-Roi), rappelle les premières «querelles ethniques» de 1959, obligeant les Tutsis à se cacher ou à fuir, revient sur ses années universitaires au Cameroun et son impossibilité ensuite, comme Tutsi, de trouver un emploi dans son pays malgré des capacités reconnues de tous. Il évoque aussi ses trois mois passés dans des trous de boue non loin de «cadavres pourrissants», le massacre de sa sœur et de ses frères ainsi que d’une partie de sa famille. Et puis, finalement, son retour dans sa parcelle. Et sa vie d’après, devenant une sorte de curiosité locale qui n’hésite pas à raconter son histoire contre une bouteille d’Urwagwa, bière de banane moins chère mais nettement plus alcoolisée que la bière ordinaire. Sans haine, ni rancœur, presqu’étonné d’être devenu «optimiste». (Folio)

 

WeberPatrick Weber, La grande histoire de la Belgique

Dans une bonne décennie, la Belgique fêtera ses deux cent ans. Si du moins elle tient jusque-là. Pour certains, ce pays n’est en effet qu’une fiction amenée à disparaître. Patrick Weber se veut plus nuancé. Il retrace son histoire, de Jules César (selon qui «de tous les peuples de la Gaulle, les Belges sont les plus braves», comment l’apprend tout écolier belge) à Albert II (le livre est initialement paru en 2013, avant son abdication), en quinze parties qui sont autant de grandes étapes de cette «aire géographique spécifique» qui deviendra la Belgique. «Dans l’épopée des nations européennes, écrit-il, l’histoire a rarement été aussi instrumentalisée afin de revendiquer pour son camp le bon droit et l’assurance de la vérité. Après des décennies d’histoire patriotique destinée à affirmer la légitimité nationale, les historiens (relayés par les hommes politiques) tiennent depuis le milieu du XXe siècle un discours radicalement contraire.» Ce basculement a été, d’une certaine manière, institutionnalisé par la création le 8 novembre 1962 de la frontière linguistique qui, consacrant «l’existence d’une démarcation intangible au sein d’un même pays, a ouvert la voie au fédéralisme. Même si, pour Weber, cette crise trouve sa source lors de la création même du royaume conçu comme un Etat centralisé, une forme de gouvernement qui n’entrait pas «dans les gènes d’une terre qui a toujours réussi à préserver ses particularismes». (Tempus)

 

MicheletJules Michelet, La Sorcière

A côté d’une Histoire de France et d’une Histoire de la Révolution française qui font référence, Jules Michelet (1798-1874) a écrit de nombreux autres ouvrages, tel La Sorcière (1862), considéré, après L’Amour et La Femme, comme le troisième volume d’une trilogie consacrée à la femme. Menacé de saisie à sa sortie, cet essai très personnel et engagé, très littéraire aussi, fait scandale, l’historien se voyant accusé de faire l’apologie du satanisme. Divisé en deux parties, l’une plus historique, l’autre davantage psychologique, il réhabilite le personnage extrêmement controversé de la sorcière en montrant qu’il n’est que le résultat de son époque. A rebours des idées reçues, Michelet met en avant sa féminité, son humanité et son innocence. Il dénonce l’obscurantisme du Moyen Age, période qu’il a en horreur, ou la stupidité des inquisiteurs et, au-delà, de l’Eglise. Cette Eglise qui a plongé la femme au cœur des ténèbres, comme le remarque dans sa préface Richard Millet, constatant que l’historien se trouve avec ce livre sur «son terrain d’élection». Ces pages lui permettent en outre de laisser libre cours à son anticléricalisme, dénonçant le prêtre, et surtout e jésuite, qui, comme directeur de conscience, «règne sur les femmes». (Folio classique)

 

BrancheRaphaëlle Branche, La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie.

Cet ouvrage de quelque huit cent pages est le fruit de la thèse soutenue par son auteure en décembre 2000 à l’Institut des Sciences politiques de Paris. Comme Pierre Vidal-Naquet avant elle, mais à une époque plus prompte à l’écouter et à l’entendre, Raphaëlle Branche fait le point sur un sujet qui a été longuement tabou. Elle montre intelligemment que, pendant ce que l’on appelle les «événements», le personnel politique de la IVe République est bien peu regardant sur les faits et gestes des militaires au-delà de la Méditerranée. Elle raconte également l’état d’esprit de l’époque qui, à quelques exceptions près, témoigne une suspicion teintée de méfiance et de mépris à l’égard les musulmans et d’hostilité franche envers le FLN-ALN considéré comme un groupuscule de terroristes peu représentatifs de la population. Pour écrire ce livre, l’historienne s’est appuyée sur de nombreuses archives ainsi que sur des témoignages d’une quarantaine de militaires ayant servi en Algérie, à la fin des années 1990 où le sujet de la torture n’a pas encore l’écho qu’il a eu ensuite. «De ces micro-histoires de la douleur infligée et de la souffrance éprouvée se dégage une violence difficile à supporter», avertit-elle dans son introduction. (Folio histoire)

 

 

Michel Paquot
Juin 2016

 

crayongris2Michel Paquot est chroniqueur littéraire indépendant

 

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