Lectures pour l'été 2016 - Poches - Essais, Documents, Non-fiction

BregeonJean-Joël Brégeon, Carrier et la terreur nantaise

En cent jours, de fin 1793 aux premières semaines de 1794, entre 2000 et 5000 personnes furent noyées à Nantes. L’artisan de ce carnage est Jean-Baptiste Carrier, sans doute l’un des personnages les plus noirs de l’Histoire de France. Que Jean-Joël Brégeon se garde bien de réhabiliter mais qu’il resitue dans son époque avec le recul de l’historien, portant sur ce «technicien» aussi efficace que sans état d’âme, comme le note Yves Durant dans sa préface, «un jugement toujours nuancé et prudent». Membre de la Société des Jacobins, cet Auvergnat est député à la Convention où il se montre discret et vote la mort du roi. Inquiet de la montée de la révolte vendéenne, il participe à la chute de Girondins. Après avoir parcouru la Normandie, il est envoyé en Bretagne qu’il tient pour «éminemment suspecte», fermant probable de la contre-révolution. Et principalement Nantes, selon lui «le principal foyer infectieux». Si la ville s’est distinguée par son «verbalisme révolutionnaire», l’abolition de la traite négrière entraînant une chute spectaculaire des activités du port et le vote de la constitution civile du clergé l’ont transformée en poudrière. D’autant que l’insurrection vendéenne menée par les royalistes est à ses portes. Secondé par les sans-culottes nantais regroupés dans un Comité révolutionnaire d’une quinzaine de personnes, il va mettre la cité au pas, fusillant, affamant ou noyant des milliers de «brigands». Un chapitre est consacré à ces noyades, certaines avérées (notamment de prêtres), d’autres controversées quant à leurs nombre, importance et circonstances, qui procèdent «d’une démarche criminelle qui tient surtout de la fuite en avant». Arrêté en septembre 1794, Carrier est condamné à mort par le Tribunal révolutionnaire et guillotiné le 16 décembre. (Tempus)

 

ProstAntoine Prost, Si nous vivions en 1913

Cet essai reprend les trente chroniques diffusées sur France Inter l’été 2013. L’ancien directeur du Centre d’histoire sociale du XXe siècle y dresse le tableau sociologique de la France à la veille de la Première Guerre mondiale. Il rappelle que l’espérance de vie est de 50 ans, qu’il n’existe que très peu de lycéens et d’étudiants et que le troisième âge est une notion inconnue, que les vacances sont un privilège, que la France est majoritairement paysanne, que la base de l’alimentation est le pain et que les femmes représentent un tiers de la main d’œuvre ouvrière. Il parle aussi des logements exigus et du surpeuplement, de l’importance des cafés, de l’âge d’or de la presse et de la bourgeoise, de l’existence d’une classe moyenne «populaire par son mode de vie et ses manières, comme par ses revenus» mais qui vise une ascension sociale pour ses enfants. Ou encore de l’influence de l’Eglise et du cinéma comme grand spectacle familial et populaire. (Librio)

 

ClemenceauGeorges Clémenceau, Grandeurs et misère d’une victoire

C’est juste avant de mourir, en 1929, que Clémenceau met le point final à ce qui constitue à la fois des mémoires partielles et un testament politique. Contrairement à De Gaulle, remarque Jean-Noël Jeanneney (auteur de Clémenceau: portrait d’un homme libre en 2005) dans sa longue présentation, le Tigre ne veut pas «sculpter sa propre statue» mais répond au livre-interview de Foch paru au printemps 1929. Le maréchal s’y montre, une fois de plus, après d’autres attaques, violemment hostile à son égard, notamment pour ce qui concerne le Traité de Versailles qu’il juge «désastreux». Ce traité est d’ailleurs au centre de ce texte qui en retrace l’élaboration et en rappelle les contraintes, tout en en déplorant les «mutilations» dont il a été victime. Selon lui, l’échec dans la tentative d’instaurer une paix durable ne tient pas, en effet, au traité mais à ce qui en été fait. Ses reproches, note le préfacier, se portent essentiellement sur la politique menée par les Etats-Unis en Europe, concernant notamment le règlement rapide des dettes américaines non liées à celui des réparations allemandes. Auparavant, l’ancien journaliste devenu Président du Conseil avait développé ses relations avec celui qu’il avait élevé en mars 1918 au grade de généralissime. (Tempus)

 

OudinBernard Oudin, Aristide Briand

Aristide Briand (1862-1935) est l’un des personnages de l’Histoire de France du XXe siècle les plus injustement ignorés. Si son nom est connu (parfois confondu avec le chansonnier Aristide Bruant, son exact contemporain), son importance et son actions sont largement oubliées. Onze fois président du Conseil entre 1909 et 1929 (notamment pendant la bataille de Verdun de 1916), plus de vingt fois ministre (principalement aux Cultes et aux Affaires étrangères), c’est lui qui, en décembre 1905, fait voter la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat (il est député radical-socialiste). Mais, surtout, artisan de la réconciliation franco-allemande, président du Conseil de la Société des Nations, il veut mettre la guerre «hors-la-loi» et reçoit le Prix Nobel de la Paix en 1926, deux ans avant la signature du pacte de Paris qui porte son nom (Briand-Kellog), qui condamne le recours à la guerre pour régler les différents internationaux. En effet, l’écrit son biographe, contrairement à Clémenceau auréolé du titre de «Père la Victoire», mais «sourd aux souffrances de son pays», Briand, qui s’est avéré «impuissant à écourter le conflit, fera tout pour éviter son retour». L’homme politique incarnant la IIIe République va ainsi se transformer en «grand homme d’Etat». Pourquoi, dès lors, laisse-t-il le sentiment «d’un grand destin raté»? C’est à cette question que répond cette biographie de neuf cent pages qui est aussi la reconstitution minutieuse d’un pan crucial de notre histoire. Apparaît un homme aussi déconcertant et contradictoire qu’inclassable, partageant avec ses successeurs Blum ou Mendes-France le «privilège» d’avoir été copieusement injurié et calomnié. (Tempus)

 

CymesMichel Cymes, Hippocrate aux enfers

«Comment un médecin peut-il devenir un bourreau? Comment un homme qui s’est donné pour destin de soigner les autres peut-il les faire souffrir?». C’est pour répondre à ces questions que Michel Cymes, lui-même médecin et dont les deux grands-pères sont morts en déportation, a écrit Hippocrate aux enfers. Il est allé «voir» ce qui s’est passé à Auschwitz, Dachau ou Mauthausen pour essayer de comprendre comment, au nom de la science et du progrès médical, des prisonniers juifs, tziganes et autres ont été transformés en cobayes, mourant pour la plupart au terme d’atroces souffrances. Hitler, végétarien, a en effet interdit toute expérimentation animale. Et Himmler, scientifique raté, obsédé par la science, a fondé l’Ahnenerbe, un organisme scientifique qui envoie des missions partout sur la terre à la recherche des origines de la race aryenne. Il donne le feu vert à tous les expérimentateurs en disant: «Essayez toujours, il en sortira peut-être quelque chose.» Outre Mengele, le plus célèbre d’entre eux pour qui tout est inné, rien n’est acquis, les gênes de dégénérescence sont donc dans les races juives et tziganes et rien ne pourra les améliorer, des dizaines de médecins, ni fous, ni incompétents, se sont ainsi livrés au pire. Ils sont convaincus d’œuvrer au nom de l’amélioration de la science. Rascher fait ses expériences en hypothermie et en cabine de dépressurisation pour sauver les aviateurs allemands et Beiglböck celles sur l’eau pour sauver ceux qui tombent dans la mer et se déshydratent. Les recherches sur le typhus sont menées parce que, sur le front, les soldats allemands tombent comme des mouches à cause de cette maladie. Gebhardt casse les jambes à coups de marteau pour vérifier si les sulfamides peuvent être efficaces contre les infections. Dans la plupart des livres sur ce sujet écrits par des historiens ou des journalistes, on ne sait pas comment les organismes réagissent, quelles sont les souffrances endurées. Que ressent-on par exemple lorsqu’on est dans une cabine de dépressurisation ou plongé dans une eau glacée? Or Cymes invite le lecteur se mette à la place des victimes de ces expériences. (Le Livre de Poche)

 

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