Lectures pour l'été 2016 - Poches - Essais, Documents, Non-fiction

ChauveauSophie Chauveau, Manet, le secret

Il y a un paradoxe Manet. Auteur de plus de trente tableaux avant qu’Impression soleil levant de Claude Monet donne son nom à l’Impressionnisme, il est généralement considéré comme le précurseur de ce mouvement. Or, lui qui disait peindre «ce que je vois et non ce qui plaît aux autres de voir» n’a jamais accepté d’être exposé avec les Impressionnistes dans les années 1870. C’est cette personnalité finalement mal connue et attachante que dévoile Sophie Chauveau dans cette biographie légèrement romancée. Manet a fait scandale toute sa vie sans trouver la reconnaissance. Il peint avec une totale sincérité sans se demander si c’est correct par rapport aux conventions édictées par les institutions. Il peut peindre une prostituée comme si c’était un empereur romain et c’est insupportable pour l’époque. Il peint ses contemporains en l’état, sans les magnifier. Ce n’est que cinq ans après sa mort en 1883 qu’il sera reconnu comme un immense peintre.

Les Salons sont les seuls lieux où il est possible de montrer ses œuvres au public, donc avoir des chances d’exister. Celui de 1861 le refuse, ruinant plusieurs années d’efforts. Il ne comprend pas. Deux ans plus tard, rebelote. Mais cette fois, les bannis, Monet, Renoir ou Cézanne, crient leur colère. Et leurs cris arrivent aux oreilles de Napoléon III qui, trop heureux de moucher les institutions, les autorise à exposer juste à côté des officiels. Les 1200 œuvres rassemblées dans des salles annexes du Palais de l’Industrie, des chefs d’œuvres ainsi que des croutes, forment ce qui restera dans l’histoire sous le nom du Salon des Refusés. Mais Olympia n’y figure pas. L’artiste n’a pas osé sortir cette toile où Victorine Meurent, sa modèle et maîtresse déjà à l’avant-plan du déjà «scandaleux» Déjeuner sur l’herbe (nommé ici Le Bain), est étendue nue sur un lit. Le tableau est présenté pour la première fois au Selon de 1865 où, trop explicite, le réalisme de ce nu fait scandale. Du jour au lendemain, à 33 ans, l’artiste devient célèbre. Jamais une toile n’a connu pareil retentissement. Les critiques, le public se déchaînent, s’esclaffent grassement. C’est la curée. Et Manet ne comprend toujours pas pourquoi tant de haine. Il appelle au secours Baudelaire, son vieux compagnon réfugié en Belgique, en vain. Il est blessé et a du mal à trouver le réconfort auprès de sa mère et de sa femme.

Vingt-quatre ans plus tard, lors de l’Exposition universelle de 1889 où sont exposés  des Manet, un Américain voudra acheter l’Olympia. Grâce à une souscription suscitée par Monet, le tableau restera en France mais devra encore patienter quelques années au Musée du Luxembourg avant d’être transportée nuitamment au Louvre. (Folio)

 

PoulainVéronique Poulain, Les mots qu’on ne me dit pas

«C’est la guerre entre nous. Je les déteste», peut-on lire.  Et plus loin: «J’aimerais tellement avoir des parents normaux.» Et aussi: «Et je m’en veux de leur en vouloir.» Ce ne fut pas facile pour Véronique Poulain, de grandir seule entre deux parents sourds: Jean-Claude, suite à une encéphalite diagnostiquée à neuf mois, et Josette, de naissance. Des parents aimants qui lui prodiguent de l’affection mais avec lesquels elle ne peut pas avoir de conversation. Elle est donc une enfant très bavarde – mais avec les autres, notamment avec ses cousins, enfants de sourds eux aussi. Et une adolescente sourde à leur surdité. Et, d’où, aujourd’hui, à près de cinquante ans, ce livre. C’est en voyant ses parents se battre pour se faire une place dans la société, son père ouvrier devenant prof, sa mère faisant du théâtre d’abord proche du mime puis en langue des signes, que son regard a changé. Son père, Jean-Claude Poulain, est l’un des précurseurs de l’enseignement de la langue des signes en France et est l’un des personnages principaux du documentaire réalisé par Nicolas Philibert en 1993, Au pays des sourds (disponible en DVD).

Dans ce récit, on apprend plein de choses sur les sourds. Par exemple qu’ils sont très bruyants, qu’ils parlent mais, ne s’entendant pas, ne parviennent pas à faire les sons. Ils ne sont donc pas muets comme on le dit erronément. D’autant plus qu’ils ont une langue, celle des signes, longtemps interdite dans certains pays. On découvre aussi qu’ils entretiennent avec le corps, partant avec la sexualité, un rapport très différent de celui des entendants, moins inhibé, plus décomplexé. (Le Livre de Poche)

 

DepardieuGérard Depardieu, Ça s’est fait comme ça

Vaut-il mieux lire une biographie ou une autobiographie (sous la forme d’un récit ou d’une interview)? La première offre un recul, un regard critique que ne possède pas la seconde. Elle peut recouper ses infos, les relativiser par d’autres témoignages ou fournir des éléments, des détails ou des anecdotes que l’intéressé ne mentionnera pas. En revanche, un biographe ne pourra jamais rendre compte de cette vérité intérieure qui anime tout être humain. C’est vraiment ce que l’on se dit en lisant Ça s’est fait comme ça qui donne à entendre la voix de Gérard Depardieu grâce à la plume empathique de l’écrivain Lionel Duroy. Spécialiste du genre, l’auteur de plus de trente autobiographies et témoignages, mais aussi de romans d’une densité humaine exceptionnelle (Le Chagrin, L’Hiver des hommes, Vertiges…), Duroy a rencontré de manière informelle le comédien pendant plusieurs soirs, sans être sûr d’aboutir à un livre.

Le résultat est saisissant d’authenticité. Les pages sur la réappropriation par Depardieu de la parole lors de sa découverte du théâtre, par exemple, après une décennie de borborygmes, sont très fortes. En acceptant dans son cours de théâtre ce jeune homme imprésentable, sorte d’homme des bois incapable d’aligner deux phrases correctes, Jean-Laurent Cochet a fait émerger un comédien hors-norme. Le fils totalement inculte du Dédé et de la Lilette, rescapé des aiguilles à tricoter de sa mère qui ne voulait pas de ce troisième enfant (trois autres suivront), a été pris aux tripes par les vers de Molière ou de Racine sans en comprendre le sens. Cet enfant livré à lui-même, petit trafiquant, a eu la révolution de «l’immensité du monde» en lisant Le Chant du monde de Giono et s’est progressivement lové dans les textes d’Handke, Duras, Barbara ou Pialat pour les magnifier.

Au fil de ces pages où il parle longuement de sa première femme, Elisabeth, de ses deux aînés, Guillaume et Juliette (il a deux autres enfants avec deux autres femmes), de sa haine de la famille («une abomination, ça tue la liberté, ça tue les envies, ça tue les désirs, ça te ment»), Depardieu, monstre insaisissable, ne cesse de dire son amour de la vie qu’il dévore à pleines dents avec une voracité quasiment inhumaine. Une voracité qui l’a conduit à reconnaître une sorte de frère en Poutine, venu comme lui de la rue, à deux doigts de tomber dans la délinquance, mais passé par le KGB. Sur ce terrain, il est très difficile de le suivre, d’autant plus lorsqu’il s’étonne que, sortant de prison, les Pussy Riot semblent arriver «d’un défilé de mode». Mais de ses amitiés avec les présidents despotes et mégalos d’Ouzbékistan et de Tchétchénie, il n’en est pas question. (Livre de Poche)

 

MenthéourErwann Menthéour, Et si on décidait d’aller bien

Début 1999, peu après l’affaire Festina, l’ancien coureur Erwann Menthéour dénonce dans Secret défonce le dopage dans le cyclisme. Il entame ensuite une carrière de chanteur, passant en première partie de Calogero, avant de créer sur Internet Fitnext, un programme de coaching sportif et nutritionnel développé dans un livre, La méthode Fitnext. Après Si on arrêtait de se mentir (Pocket), il nous dit, dans ce nouvel ouvrage, qu’il est temps de prendre soin de notre corps et de notre santé mis à mal par l’agriculture intensive, la production industrielle et la dérégulation économique. Il dénonce la publicité «fallacieuse» et rappelle par exemple que huit maladies sur dix sont dues à une mauvaise alimentation. Afin que chacun devienne un acteur de sa santé, il prône le retour au «bon sens», déplorant la «désinvolture» et «l’ignorance volontaire». Chacun possède en effet une arme imparable pour acheter «responsable»: sa carte de crédit. Chroniqueur dans l’émission télé de Stéphane Bern, Comment ça va bien, il y dénonce régulièrement l’excès de sucre et les méfaits de lait, ce qui lui vaut de violentes attaques de fermiers et de l’industrie agroalimentaire. (Pocket)

 

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